Coucher du Soleil noir d’Anatole

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Difficile d’écrire ce dernier article sur Anatole sans tomber dans la remémoration et les récits personnels. Paradoxalement, je crois que c’est représentatif de l’état dans lequel l’ensemble du public est sorti de l’Impérial, le 29 février dernier, à la fin d’un spectacle d’adieu qui clôt vraisemblablement un chapitre de la scène locale de Québec. 

Dans la salle, plusieurs visages connus découverts au fil des années dans différents projets musicaux qui ont hanté les murs du Pantoum, ou réverbéré leurs ondes sur le béton du sous-sol du Cercle. Des gens qu’on n’a pas vu depuis longtemps, plus calmes peut-être, un peu comme l’Alexandre Martel qui nous rejoint sur scène avec ses cinq acolytes: « Est-ce que tout le monde est assis? »

Les premières notes de Toune 5 (ma Toune préférée) commencent à nous envelopper avec les timbres chaleureux qui caractérisent l’ensemble du troisième album. Sur scène, les musiciens jouent tout en douceur – le son pas fort comme d’habitude – dans une complicité où l’on entend presque le silence des regards. On dirait que, cette fois, leurs interactions sont aussi teintées de la timidité d’une dernière fois, ce qui se ressent aussi dans l’écoute religieuse du public et dans le goût des larmes qui montent déjà aux yeux de quelques un-es. 

La lumière se fait sur Anatole, pièce centrale de ce tableau d’allure classique que nous a monté le groupe. Visuellement, même avec une esthétique très épurée, Alexandre Martel démontre une fois de plus son talent pour la mise en scène. Au son de Toune 1, l’éclairage naturel vire au bleu, puis se dessinent, sur le grand drap qui sert de trame de fond, les silhouettes des musiciens en ombres chinoises. 

Comme c’est un spectacle d’adieu, Anatole en profite pour revisiter son répertoire d’une manière à la fois créative et traditionnelle: on nous offre une « version Ben Harper » de la trémoussante Testament, on a l’impression de voyager dans une lava lamp sur Nausée, avant que le groupe se lance dans un pot-pourri de ses anciens succès, « pour les fans du sous-sol du Cercle » (je me suis sentie visée). Nous pourrons ainsi dire qu’on aura eu la chance d’entendre, notamment, une version presque western-sci-fi de Discollins ainsi qu’une Baladeur Sony aux chaleureuses influences sixties.

Après cette promenade nostalgique, le groupe nous ramène avec lui dans le moment présent avec les compositions du troisième album, sur lesquelles chaque musicien a son humble moment de gloire. Déjà sur Toune 7, Jean-Michel Letendre-Veilleux (guitare) et Antoine Bourque (claviers) s’échangent quelques lignes mélodiques qui font lever l’atmosphère, mais pas trop : parce qu’il faut qu’on reste assis. 

Voyez, Anatole a déjà exploré les extrêmes, alors maintenant il explore l’extrême nuance. C’est d’ailleurs lui qui se lève, au milieu de la chanson, pour aller faire son solo de guitare backstage avec son talk box. Un genre d’anti-solo, où on ne le voit pas – enfin, presque pas, car sa silhouette se découpe malgré tout, plus grande que nature, sur le drap derrière les musiciens. L’effet est saisissant. C’est dans ces moments-là du spectacle qu’on réalise qu’Anatole a gardé quelque chose de son immensité, qu’il a trouvé un moyen de faire vivre de grandes émotions à son public même en enlevant tout « le clinquant ». 

Le niveau d’énergie continue de monter avec le groove de Toune 6, pendant laquelle Jean-Etienne Collin Marcoux (batterie) se permet un petit solo aux chaudes couleurs latines. On nous fait même taper des mains, histoire de rester dans la thématique « spectacle commémoratif ». Cédric Martel (bassiste officiel du projet) fait inopinément son entrée et remplace Samuel Beaulé (basse) pour Mais ce soir, une composition à quatre mains réalisée par Alexandre Martel et Lou-Adriane Cassidy (voix, claviers). Leurs voix se mêlent d’ailleurs encore une fois dans une suave harmonie, riche d’une complicité qui s’est sentie au travers de tout le spectacle. Il faut dire que les compositions du troisième album ont toutes été co-écrites par le duo. 

Le spectacle se termine avec D’où c’que j’viens, une reprise de Bolduc tout croche, et sur les derniers commentaires d’Alexandre Martel/Anatole, qui nous a parlé tout au long de la soirée. Il en profite pour nous dire adieu, qu’il souhaite finir ça en beauté, dans un esprit de communauté et de famille. Comme il l’a si bien dit, c’est la fin d’Anatole, mais cette fin laisse place à la nouvelle génération de musiciens qui foisonnent désormais dans la ville et au-delà. Le spectacle se termine ainsi sur un arrière-goût de temps qui passe, mais surtout en nous laissant l’impression qu’on a participé, ensemble, à quelque chose de plus grand que nous. Parce qu’Anatole, c’est aussi toute la collectivité qui s’est réunie autour de ce projet pendant ses dix années d’existence foisonnante. 

Alors voilà. Avant, j’aurais sans doute écrit que ce dernier spectacle d’Anatole était un chant du cygne. Mais en dix ans, lui comme moi on a évolué, et je pense que sa propre définition est la meilleure : jeudi dernier, nous avons donc assisté au coucher du soleil noir d’Anatole, un événement paisible mais non moins chargé d’émotions. C’était Anatole; il présentait Alexandre Martel. 

Ici Marie-Ève Fortier, qui présentait, pour une dernière fois, Anatole. En le remerciant d’avoir jalonné l’ensemble de mon expérience de rédactrice. 

Arielle Soucy

Parlant de relève, la première partie de ce spectacle d’adieu avait d’ailleurs été confiée à Arielle Soucy, qui a fait paraître son premier long-jeu en 2023. 
Seule à la guitare, mais armée de ses multiples loops, l’autrice-compositrice-interprète a peint devant nous les paysages qui tissent « Il n’y a rien que je ne suis pas ». Penchant définitivement du côté de la chanson québécoise, ses compositions mettaient de l’avant un vocabulaire imagé qui tire sa poésie dans le quotidien, entre les verres d’eau et les post-its. On se laissait bercer par ses mélodies, aussi inventives que douces, brodées de dentelles d’harmonies vocales.

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