Comment Debord
(Audiogram)
Oh, ce qu’il était attendu, ce premier album de la commune musicale Comment Debord. Coup de coeur d’ecoutedonc.ca au Cabaret Festif! de la relève 2019 (où il a remporté AVEC RAISON le prix du public), le septuor montréalais nous offre « Comment Debord », une première offrande complète composée de dix chansons groovy-funky qui offrent à la fois nostalgie et nouveauté.
Réalisé par Warren Spicer (Plants and Animals), Comment Debord est un heureux mélange de chanson québécoise et de rock funky des années 1970, un genre de relecture groovy de l’univers de Beau Dommage. Une orgie d’instruments organiques, d’harmonies vocales et de mélodies accrocheuses où un vers d’oreille n’attend pas l’autre.
On vous avertit, l’écoute de cet album crée une grave dépendance. Vous le comprendrez dès la première écoute de la première chanson, Chalet, une pièce qui donne le goût de faire des handclaps dès les premières mesures. On remarque immédiatement ce qui sera la signature de Comment Debord : une section rythmique omniprésente, où la basse et la batterie sont mises de l’avant, un party chaud aux claviers, un jeu de guitare aussi funky que bluesé, la voix de Rémi Gauvin, appuyé avec brio par le reste du band et quelques artistes invités, et surtout, les textes, simples, mais ludiques et imagés à souhait, au vocabulaire qui me rappelle un peu celui des parents de mes amis montréalais.
J’aurais tellement tellement aimé ça
« Chalet »
Que mes parents aient un chalet
Sur le bord de quelque chose
La simplicité. C’est pas mal ce qui caractérise cet album à la bonne franquette. Le groupe a beau avoir un gros membership, on remarque, tout au long de Comment Debord, que les nombreuses textures qui se superposent sont naturelles (et qu’elles se transposent à merveille sur scène, comme on a pu le constater au lancement). Ça sonne comme un gros jam entre amis qui trippent plutôt que le résultat de centaines et de centaines d’heures en studio à tout fignoler pour que tout soit parfait.
La pièce suivante, Ville Fantombe, poursuit dans la même veine, mais avec un peu plus de wah-wah à la guitare (Karolane Carbonneau) et à la basse (Étienne Dextraze-Monast). Ajoutez un peu d’orgue (Willis Pride), et nous voilà en train de plonger avec plaisir dans un doux groove où on se déhanche sans trop se poser de questions. On sourit énormément en écoutant les paroles, où Gauvin passe avec une aisance désarmante d’un niveau de langue soutenu (en utilisant un verbe comme arborer) aux québécismes flagrants (en arborant des espadrilles blanches ou en ne sachant pas chauffer standard). Le traducteur en moi capote! Pourquoi passer son temps à chercher la rime parfaite dans le Grand Druide des synonymes quand on peut tout simplement utiliser des générations de perles que tout le monde comprend aisément?
Mots d’église, c’est un maudit beau slow dans lequel on se reconnaît pas mal, quand ça va pas trop ben, mais qu’on se retient pour éviter de cracher tous ces gros mots qui ont envie de sortir.
J’vais t’faire accroire que je trouve ça jamais difficile
« Mots d’église »
De faire semblant devant vous autres
Que toute va ben
Des jobbers-compositeurs comme moé
J’en connais plein y’en a
Quarante-mille facile s’a rue Beaubien
Ceux qui avaient déjà entendu Comment Debord ont sûrement déjà entendu la suivante. Quatorze piastres de l’heure a beaucoup évolué depuis son premier enregistrement. C’est la même chanson, mais les arrangements sont beaucoup plus réussis. C’est étrangement la chanson qui a la couche de synthés la plus synthétique, aux accents doucement psych qui accompagnent à merveille les petits pets de guitoune et le jeu de bongos de Lisandre Bourdages. Et que dire de cette finale atmosphérique où nous aussi, on a envie de chanter « na, na, na, na, na » de façon désinvolte…
Sur Chandail principal, c’est au tour du batteur Olivier Cousineau de prendre les devants en nous invitant à se calmer la framboise, le raisin et le komboucha. Le refrain est irrésistible, cathartique, surtout dans le contexte actuel où tout le monde a des opinions très tranchées et où on traite tous ceux qui n’ont pas le même avis disent de la marde.
Le monde qui pense que le monde
« Chandail principal »
Qui pense pas comme eux
C’est des cons
Tout à coup, surprise, la toune se semi-arrête pour un petit interlude (just sayin’) pour nous informer que Rémi a perdu son chandail principal. Le beat, le groove et les WO WO WO WO reprennent immédiatement. En vlà une dont le refrain va rester gravé dans vos têtes fort longtemps.
Papier Foil, c’est le rock à 110 à l’heure sur la 20 (ou arrêté sur le pont Champlain). Clairement la toune la plus pop de l’album, avec le refrain le plus accrocheur, où Gauvin s’amuse à faire rimer Beau Dommage, sparages et Choses Sauvages (le pire, c’est que ça décrit assez bien le band, ça… les textes près de nous et l’envie irrésistible de danser…). La pièce où tout le monde chante en sautillant à l’unisson, sourire aux lèvres. Une bombe estivale jouissive qui montre en 3 minutes 40 à quel point ce groupe-là a tout ce qu’il faut pour écrire une méchante bonne toune (parfaite pour les rédios commerciales en plus).
Ogunquit, c’est le slow cochon de l’album, probablement la toune où sent le plus la présence du réalisateur. Y’a une petite touche Plants and Animals ici, pis c’est pas juste parce que Spicer y joue de la guitare.
On n’avait pas encore parlé d’Alex Guimond, mais bon, c’est parce que jusqu’à maintenant, on ne l’entendait que subtilement aux choeurs. Mais sur Bay Window, elle shine telle une Marie-Michèle Desrosiers en feu. On le savait déjà, l’ancienne membre de Caltâr-Bateau a une des voix les plus soul au Québec. Une voix forte, capable de toutes les fantaisies, tantôt cristalline, tantôt craquante. Un instrument que Guimond maîtrise, et ici, sur une toune vachement funky, on a un match parfait. Pis ce refrain tellement de circonstance :
D’la bay window j’ai vu
« Bay Window »
toutes sortes de monde
Se faire confiance autour d’une table
Se donner des tapes din mains
Même si y s’connaissaient pas
Faut truster le monde en titi, ces temps-ci, pour se donner des tapes din mains! En tout cas, une maudite belle chanson pleine de soleil, de groove et de soul. Tu peux pas demander plus! En fait, c’est pas vrai, tu peux demander plus, genre un solo de feu de Karolane Carbonneau à la fin de la toune, un solo plein de blues, bien senti, où la maîtrise de l’instrument se marie à merveille avec l’émotion véhiculée. Bon. Là, la toune est complète!
Comme pour montrer que Comment Debord, c’est pas juste des tounes funky, on passe à Travailleur autonome, la chanson où tout le monde se met à jouer de la guit et à chanter avec Gauvin. Ça commence doucement, à l’orgue, on pourrait presque deviner une toune gospel, jusqu’à ce que les guitares acoustiques embarquent. Si ça existait, on appellerait ça du gospel de bord de feu de joie. Ça monte lentement en intensité jusqu’au premier refrain. Au fil de la chanson, on sent ses poils se hérisser, on se laisse emporter par les paroles qui donnent le goût de chanter avec le septuor (chu sûr que Spicer chantait lui aussi derrière la console). Finalement, Travailleur autonome, c’est un genre de gospel folk à la fois introspectif et rassembleur, comme une invitation à se regarder le nombril… en gang.
Cette belle oeuvre se termine en douceur, comme il se doit, avec la sublime Chasseur de tournades. On y retrouve tout ce qui nous a fait flipper depuis le début de l’album : une instrumentation riche, qu’on découvre un peu plus à chaque écoute, une mélodie accrocheuse qui nous donne le goût de chanter avec le groupe, un texte qui rejoint pas mal tout le monde, une esthétique un peu vintage, mais pas trop.
Pis là, tu vois le pick-up de ta table tournante s’en retourner sagement à sa place. Tu te dis que tu viens de vivre un beau moment. Le genre de moment que mes parents ont dû vivre, la première fois qu’ils ont mis Beau Dommage (1974) sur leur chaîne stéréo toute neuve. Ce moment où tu découvres qu’au fond de toi, il y avait ce soupçon de funky qui ne voulait que s’exprimer tout en gardant ta propre identité.
Comment Debord, c’est un regard vers l’arrière pour faire plein de grands pas en avant. C’est célébrer la musique pour ce qu’elle est : un véhicule efficace pour transmettre des émotions, pour en vivre d’autres. C’est ramener la poésie à quelque chose de simple, quelque chose que je peux envoyer à ma mère ou faire lire à mes enfants, et avoir une réaction positive dans tous les cas. C’est être créatif avec les moyens du bord, même si ces moyens comprennent un réalisateur de premier plan. C’est tout ça, avec l’énergie mise en commun de sept beaux êtres humains, le trip de faire de la musique en gang, de transmettre sa passion à tout le monde (on s’y connaît, côté transmission de passion, pis ils font bien ça).
Comment Debord, c’est à la fois Beau Dommage et Choses Sauvages. C’est la musique qui donne le goût de danser avec des paroles qui viennent nous chercher, dans une langue qui nous ressemble.
C’est simplement bon. Et funky. Une grosse beurrée de beurre d’érable sur un pain 14 céréales.
Le bonheur, quoi!