FME 2020 – Trois jours de musique à Rouyn-Noranda

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Le week-end dernier marquait notre baptême du Festival de Musique Émergente en Abitibi Témiscamagne. COVID-19 oblige, cette première visite différait des festivités habituelles avec une majorités des spectacles en salle, toujours assis et distanciés. Malgré les réglementations nécessaires, le FME a fait bien des heureux en présentant une programmation étoffée et, surtout, en offrant la chance à plusieurs de vivre leur seul festival de l’été 2020. Voici notre résumé d’un gros week-end musical, bonne lecture !

Rédaction : Danaé Maltais et Marie-Ève Fortier
Photos : François Larivière et Marie-Ève Fortier / Retouche : Charline Clavier

JOUR 1

Même après avoir assisté à deux de leurs spectacles en moins d’une semaine, on ne sait toujours pas si Gus Englehorn (voix, guitare) et son acolyte Estée Prada (batterie, choeurs) portent habituellement des imperméables en spectacle, ou si c’est à cause de toute la pluie qui s’est abattue sur eux les deux fois. Ce qu’on sait, par contre, c’est qu’ils ont affronté les intempéries avec le sourire lors de leur passage au Club de golf Noranda, devant les groupuscules formant le public. 

Sous une pluie orageuse, ils ont joué avec enthousiasme des pièces tirées de Death & Transfiguration ainsi que plusieurs nouvelles compositions. Au coeur de ce véritable cocktail météo, l’indie-rock un brin garage de l’artiste alaskain faisait aussi ressortir ses couleurs post-punk déjantées. Au rappel, on a eu le plaisir de découvrir l’inédite The Gate, même si pour y arriver il y a fallu que plusieurs personnes tiennent la tente qui abritait la console de son pour éviter qu’elle s’envole!

Marie-Ève Fortier

Encore un peu détrempés, on était contents de se retrouver à l’intérieur au Petit théâtre du Vieux Noranda, où l’on avait aménagé des ilôts de chaises pour les spectateurs qui voulaient venir assister au premier set de Corridor. « Êtes-vous ben assis? », nous a demandé le groupe à la blague. Difficile, en effet, de rester scotché à sa chaise lorsque les cinq musiciens font s’envoler leur rock motorik aux dentelles de guitare élaborées. Dans leur musique, tout est dédoublé : les voix qui s’alternent, les guitares qui brodent en contrepoint et les percussions, qui décuplent ainsi leur force. Bref, quand on entend ça, on veut se lever et se pitcher sur les murs.

Dans ce contexte un peu inhabituel autant pour le groupe que pour les spectateurs – et surtout après un hiatus de plusieurs mois de part et d’autre – ça a pris quelques chansons avant qu’on puisse vraiment se plonger avec eux dans leur univers psychédélique et dansant. Or, compensant l’impossibilité de bouger avec leur côté théâtral, les musiciens ont fini par créer une ambiance survoltée qui a culminé sur Domino, tirée de leur dernier album, juste avant de faire un rappel impressionnant de trois tounes. Le tout s’est fini sur Demain déjà, et on en aurait pris bien davantage. 

Marie-Ève Fortier

Fuudge a punché la fin de cette première soirée du FME avec son stoner rock pesant habituel. Être assis à ce show-là faisait un drôle d’effet, mais la majorité des gens présents ont tout de même pu se permettre du headbanging sur leurs chaises. Nous avons pu entendre le morceau Satan, tiré de leur EP Man ! (2017) et Beurré d’marde, chanson dédiée à ceux qui ont fait une dépression pendant la pandémie.

Le band a surtout livré des pièces de leurs deux derniers albums, Les Matricides (2018) et Fruit-Dieu (2020). Terminant en grandeur avec On est une gang de moumounes, Fuudge a offert une prestation décapante et amusante qu’on est contentes d’avoir vu et entendue. 

Danaé Maltais

JOUR 2

Rosie Valland présentait son spectacle à une vingtaine de minutes d’auto du centre-ville de Rouyn-Noranda. Elle est montée sur scène accompagnée de Frédéric Levac (Pandaléon) et nous a instantanément amenés dans une ambiance super cozy. Sous un arc-en-ciel après quelques gouttelettes, l’autrice-compositrice-interprète a présenté les morceaux de son album Blue sorti en février dernier. De plus, nous avons entre autres entendu la magnifique pièce Olympe et avons également eu droit à sa reprise de Désenchantée de Mylène Farmer. Dans une ambiance intimiste et authentique, Rosie nous a mentionné la venue d’un EP acoustique piano-voix à paraître en novembre prochain. On restera assurément à l’affût !

Danaé Maltais

Le FME a donné l’occasion à la formation disco pop Le Couleur de tester sa nouvelle formule à six musiciens : en plus du trio habituel, Jean-Etienne Collin Marcoux bonifiait les rythmes de ses congas, bongos et autres percussions tandis que Jean-Cimon Tellier et Sheenah Ko ajoutaient leur touche respectivement psyché et expérimentale à la guitare et aux claviers. En plus de dynamiser la performance live – de quoi nous faire danser en pleine rue Principale comme s’il n’y avait pas de lendemain – cette nouvelle formule a permis au groupe de revisiter ses classiques, comme Femme ou encore L’amour le jour. Le groupe en a aussi profité pour nous jouer quelques pièces de Concorde, à paraître le 11 septembre prochain, et qui s’annonce magistral.

Marie-Ève Fortier

Artiste ambulant au FME cette année, Gab Bouchard nous attendait dans un terrain vague en lieux inconnus, qui semblait être un grand stationnement de dix-huit roues. Au lieu des enclos qu’on pouvait retrouver à la plage du lac Kiwanis, il y avait là-bas d’accueillants braseros qui indiquaient la distance à respecter entre les groupuscules de spectateurs. Par un froid pareil, et après les deux jours de pluie orageuse qu’on a subis, on peut vous dire que ce petit setup était vraiment le bienvenu! 

Gab Bouchard était lui aussi visiblement heureux de pouvoir finalement se donner en spectacle au sec avec son batteur Victor Tremblay-Desrosiers et son claviériste Mathieu Quenneville (Max). Le trio s’en donnait à coeur joie dans les parties instrumentales, faisant ressortir un côté un peu noise et plus psychédélique des chansons tirées de Triste pareil. La boucane et les gros trucks aidant, ces compositions sentimentales mêlant habilement le rock coat-de-cuir et l’exploration champ gauche avaient un arrière-goût de fin du monde (tout particulièrement sur Une valse pour toi). Finalement, ça s’est terminé en douceur, avec la pièce éponyme de l’album interprétée par Gab à la guitare acoustique.

Marie-Ève Fortier

Afin de permettre à un plus grand nombre de voir les spectacles malgré la distanciation sociale, le FME a choisi de programmer deux spectacles l’un à la suite de l’autre à pratiquement tous les artistes du festival. Cette expérience, nouvelle pour beaucoup d’entre eux, a donné lieu à de nombreuses réactions différentes, surtout lorsqu’on ajoute le facteur ne-pas-avoir-joué-sur-scène-depuis-des-mois. 

Avec Les Louanges, un groupe qui se donne à fond pour son public, l’effet a été double: si d’un côté on avait un Vincent Roberge peut-être plus brouillon et confus en termes de paroles, de l’autre on avait son enthousiasme bienveillant et son énergie du désespoir, qui contaminaient tous les musiciens en leur donnant une audace renouvelée. À défaut d’avoir un concert propre, l’audience de 22 h 00 a eu droit à un concert wild, largement contaminé de l’esprit jazz et d’une intensité presque métal. Le claviériste Gabriel Godbout-Castonguay s’est permis un solo sur Les yeux sur la balle juste avant de se déchaîner sur Jupiter, de concert avec le saxophoniste et flûtiste Félix Petit. Ils semblaient avoir encore plus de plaisir sur Westcott, alors que Les Louanges chantait toutes ses tripes, poussé comme les autres par le batteur William Côté. Ça a continué comme ça, en crescendo, jusqu’au solo de batterie sur la chanson du rappel, Drumz. Après avoir couru, crié, sauté partout et chanté sa vie pour une deuxième heure complète, Vincent Roberge nous a chaleureusement remerciés sous les applaudissements d’une foule impressionnée et conquise malgré les accrocs.

Marie-Ève Fortier

Le spectacle de Backxwash à lui seul justifie les interminables heures de route à faire pour aller à Rouyn-Noranda ; je m’y serais rendue aller-retour juste pour ça. La puissance émanant de l’artiste était impressionnante et inégalable. Montant sur scène vêtue d’une longue robe en dentelle noire et d’un look overall très sombre, Backxwash arborait un grand sourire et parlait au public avec gentillesse.

Elle a livré plusieurs chansons tirées de son album God Has Nothing to do With This Leave Him Out of It, telles que Spells, Redemption et Black Magic. Des pièces de son récent EP Stigmata ont également été performées ainsi que Don’t Come to the Woods de l’album Deviancy (2019). L’énergie que Backxwash à offerte à la foule était empowering. Indéniablement un coup de cœur du FME 2020 !

Danaé Maltais

JOUR 3

Il fallait conduire passé Évain pour se rendre au lieu bucolique qui allait accueillir le spectacle de Flore Laurentienne, projet musical électro-néoclassique de Mathieu David Gagnon où les synthétiseurs dialoguent avec un orchestre à cordes. On est arrivés juste à temps au Centre de plein air du lac Flavrian, qui sert habituellement de camp d’été pour enfants handicapés, pour s’installer sur le gazon au soleil, devant la pergola bordées de pins et surplombant le lac, avant que ne s’élèvent les premières notes de Volume 1. Sous nos yeux, l’album s’est transformé en concert sous les mains expertes des quatres cordistes et des trois claviéristes. 

D’une beauté contemplative, les compositions de Flore Laurentienne semblaient faites pour être jouées en nature. Une pluie, d’abord légère, s’est mise à tomber dès le début de Soir, s’intensifiant finalement au point de détremper même les plus équipés des spectateurs sur Fugue. L’intensité dramatique de la météo se transposait sur scène, où les synthétiseurs rivalisaient de puissance à en faire saturer les caisses de son. Tandis que les violonistes, l’altiste et la violoncelliste redoublaient de précision malgré le froid qui désaccordait leurs instruments et endolorissait leurs mains, les claviéristes osaient des improvisations audacieuses qui rappelaient le meilleur du live des années 60 et 70. L’un d’eux, aussi percussionniste, impressionnait par son exploration polyrythmique. Et pendant ce temps, la pluie continuait de s’abattre sur nous.

Se promenant constamment entre le symphonique et l’électronique, entre le silence et le bruit, Flore Laurentienne nous a fait traverser une panoplie d’émotions toutes empreintes d’émerveillement, et ce jusqu’à l’éclaircie qui a accompagné la dernière note de Chaton de saule au rappel. D’une main de maître, mais avec toute l’humilité du monde, Mathieu David Gagnon a dirigé son orchestre et conduit son public à travers cette aventure somme toute éprouvante, mais unique.

Marie-Ève Fortier

N’ayant pu l’attraper la veille au Cabaret de la Dernière Chance, on était heureux de retrouver le nouveau projet solo de Charles Lavoie (Dear Criminals, b.e.t.a.l.o.v.e.r.s, lackofsleep) sur la rue Principale, à 20h. Accompagné de ses trois Rubies, Carla Blanc présentait pour la deuxième première fois ses compositions électro-pop d’une sensuelle tendresse. Les textes dans un français ponctué d’anglais, imagés et pleins de références, s’accompagnaient d’une trame laidback où l’on sentait bien les douces influences hip-hop et R&B contrebalancées par des lignes de guitares délavées. De quoi se trémousser langoureusement en hochant de la tête. 

« Nah je ne crois pas que toutes les femmes savent danser
and anyways si c’est pas toi qui me grab well je préfère m’arrêter
prends ma main j’te promets I’ll be the one that lasts
Say my name viens j’entends les waves qui blastent »

– Moondog, Carla Blanc

L’auteur-compositeur-interprète nous a laissé sur Moondog, après avoir partagé le micro avec Frannie Holder (Dear Criminals, Random Recipe) sur Blue Note, deux chansons qui figureront – comme toutes les autres – sur son premier album, à paraître 11 septembre prochain.

Marie-Ève Fortier

Pour la troisième soirée du FME, Le Cabaret de la Dernière Chance a reçu Zoo Baby. Le projet solo de Xavier Dufour-Thériault (Gazoline) propose un son à la bedroom pop assez funky et des claviers vaporeux. On a pu entendre plusieurs titres de son album sorti en février dernier, tels que Cœur de pomme, Cauchemar en cauchemar et Une métaphore pour l’amour. À mon grand bonheur, Zoo Baby a également repris la chanson Say So de la queen Doja Cat.

C’était une première fois sur scène pour le band et on a pu le ressentir à quelques moments, mais leur performance a tout de même été très bien maîtrisée. Xavier prenait son temps entre chaque morceau pour raconter une blague et a rendu l’atmosphère authentique et personnelle. Quelques retardataires se sont joints à la fête en fin de soirée (pas facile de bien planifier son horaire quand les spectacles se chevauchent ainsi) pour la terminer tout en groove sur la piste Limonade.

Danaé Maltais

KNLO sait animer une foule mieux que personne. Accompagné de sa douce Caro Dupont et de Vlooper sur les platines, il a fait couler ses verses avec précisions samedi dans le Petit Théâtre du Vieux Noranda. Nous avons eu droit à plusieurs mouvements dansants qui nous donnaient envie de décoller de nos chaises nous aussi, ce que quelques personnes se sont d’ailleurs risquées à faire malgré les consignes. Offrant au public les hits de CLUB Mixtape 2020 telle que PLAFOND, MAGASIN, L’ÉCOLE À LA MAISON, et COMME ÇA, KNLO nous a donné un gros boost d’énergie positive.

La Brown Family a ensuite pris le relais du spectacle. Lorsque le trio est embarqué sur scène, la complicité familiale se ressentait jusque dans le fond de la pièce. Greg (Dead Obies) et son frère Jam étaient visiblement fiers de leur père et ils semblaient prendre un plaisir fou à performer ensemble. Nous avons pu entendre des chansons des albums Brown et Brown Baby Gone telles que Brown Baby et Au revoir. Le métissage entre le rap queb et le reggae soul donnait un résultat musicalement très intéressant. KNLO et Eman sont également apparus sur scène spontanément pour Nervous, une collabo entre les deux groupes.

Danaé Maltais

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