On ne tournera pas autour du pot : « Journal d’un loup-garou », le troisième album complet de Lou-Adriane Cassidy, est un grand album. Généreux selon les normes actuelles (42 minutes), éclectique à souhait pour de la chanson pop, écrit et composé avec une grande sensibilité, on peut d’ores et déjà dire que cette nouvelle offrande de l’autrice-compositrice-interprète de la vieille capitale fera partie de nombreux palmarès de fin d’année.
Ici, pas de cadeau écrit par quelqu’un d’autre. Lou-Adriane signe ou cosigne les paroles et la musique de l’ensemble des 14 pièces de cet album ambitieux (presque tout le temps avec Alexandre Martel, qui agit également à titre de réalisateur, en plus de jouer plusieurs instruments). Il en résulte un album extrêmement personnel, chargé d’émotions, où l’artiste se met à nu plus que jamais. Chacune des chansons nous transporte là où on ne s’y attend pas, chacune étant construite comme une oeuvre complète en elle-même, même si elles font partie d’un tout rempli de cohésion.
Dès le départ, sur Dis-moi, dis-moi, dis-moi, Cassidy nous met le motton dans la gorge. Cette pièce aux arrangements orchestraux luxuriants est un cri du coeur qu’elle adresse à son père, qui l’a abandonnée à 16 ans. Ça commence tout en douceur, mais ça monte d’un cran à chaque couplet, pour finir cinq minutes plus tard dans un maelstrom libérateur, comme si le fait de crier toute cette détresse avait brisé des chaînes. Ça commence bien.
Sur Cours, Cora, cours, Cassidy revisite le mythe de Perséphone (ah, la mythologie grecque, source intarissable de bonnes histoires depuis des millénaires). Beaucoup plus légère que la première, cette pièce est également plus lumineuse et entraînante.
Les émotions fortes reviennent sur Souffle, Souffle, une ballade pleine de questions sans réponses où les fantômes du passé reviennent hanter l’artiste. Et elle n’y va pas de main morte :
Quand un jour, j’aurai donné la vie,
me redonneras-tu la mienne,
papa?
Ouais. Encore lui.
Il y a quelques belles collaborations sur « Journal d’un loup-garou », notamment avec N Nao (qui sort son nouvel album le 31 janvier) sur TDF, mais il y a également Ariane (avec… Ariane Roy, quelle surprise!), un morceau sur le lien très fort qui unit les deux BFF, les comparaisons inévitables – et difficiles – entre deux artistes qui avancent presque côte-à-côte, mais surtout un mot doux et plein de bienveillance.
Trip musical à la fois surprenant et entraînant, Journal d’un loup-garou est une fichue belle pièce pop, un banger où se mélangent trop de sonorités différentes pour toutes les remarquer à la première écoute. La talk box est savoureuse, les marimbas sont chaleureux, l’ensemble est audacieux et nous montre à quel point Cassidy a évolué en tant que compositrice.
Une autre pièce toute personnelle, Odile nous fait vivre la belle-parenté du point de vue de l’autrice-compositrice-interprète. À l’instar d’Ariane, il se dégage de cette chanson une bienveillance qui contraste avec la douleur des premiers morceaux. C’est beau, léger, et c’est probablement le morceau le plus accessible de l’ensemble.
C’est avec 16 ans bientôt 30 que l’album se termine officiellement. On termine un peu là où on a laissé, avec des peurs, des angoisses, celles qu’on vit lorsque la trentaine arrive trop vite et qu’on ne se sent pas mieux outillé·e qu’à l’adolescence. Et pourtant, Lou-Adriane fait preuve d’une grande lucidité et d’une maturité que l’auteur de ces lignes aurait bien aimé avoir au même âge.
Je ne peux pas vous parler de toutes les chansons de l’album parce que vous en auriez encore pour plusieurs paragraphes, mais chacune nous montre une autre facette de l’artiste (y compris son côté irrévérencieux sur Je pars en vacances). Bien qu’il soit accessible, « Journal d’un loup-garou » est un album sur lequel Cassidy ne se donne aucune limite et se permet autant la chanson populaire qui plairait à nos grands-parents que les expérimentations un peu weirdo qu’on ne voit que pendant une soirée très confidentielle au Pantoum. C’est un album d’une grande beauté en raison de sa force, de la puissance de ses propos, de l’assurance d’une artiste prête à vivre sa vulnérabilité sous nos yeux.
À la réalisation, Alexandre Martel a fait ce qu’il fait de mieux : laisser l’artiste shiner tout en l’encourageant à se tenir au bord du précipice, les yeux grands ouverts, même si ça donne un vertige fou. Ça sonne comme une tonne de briques, notamment grâce au travail incroyable de David Boutet-Tremblay (qui assure également le mixage) et Francis Bélanger-Lacas. Plein d’autres ami·es participent à l’album, dont les susmentionnées Naomie de Lorimier et Ariane Roy, mais on y trouve aussi les complices habituels PE Beaudoin, Vincent Gagnon et Thierry Larose, ainsi que les voix d’Odile Marmet-Rochefort et Lysandre Ménard. J’en passe, la liste des crédits remplit une page à simple interligne. Lou-Adriane se permet d’ailleurs de remercier une bonne partie de tout ce monde-là sur Celle-ci vient du coeur.
Bref, « Journal d’un loup-garou » est une oeuvre sans aucun compromis, autant dans la musique que dans le propos, avec l’attitude qui vient avec. Celle d’une fonceuse qui, malgré la crainte de ne pas tout le temps avoir tout ce qu’il faut pour aller de l’avant, n’hésite pas à se jeter dans le vide, la main bien serrée sur le cordon du parachute, prête à l’ouvrir au bon moment, pour nous offrir le plus beau des spectacles auditifs.
Le pire, c’est que le meilleur reste encore à venir!