« Ta théorie sur la lumière », de Juste Robert : à rideaux grands ouverts

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Après un premier album qui sentait l’urgence (« Des autoportraits ») et un deuxième qui respirait l’amour (« Mon mammifère préféré »), Juste Robert (Jean-Robert Drouillard) est de retour avec « Ta théorie sur la lumière », où la mélancolie et l’espoir font très, très bon ménage.

Sur cette oeuvre que l’auteur-compositeur qualifie d’autofiction, on déambule d’un tableau à l’autre, redécouvrant au fil des dix pièces un artiste très sensible qui carbure à l’amour tout en se permettant quelques subtiles critiques du monde dans lequel nous vivons. Dix chansons taillées avec minutie et polies avec tendresse.

Ici, le sculpteur s’est laissé inspirer par les choses simples, les petites comme les grandes. Cette dizaine de pièces s’écoute comme on lit un recueil de nouvelles. Des nouvelles où les personnages principaux sont Juste Robert, sa conjointe Hélène (c’est de *sa* théorie sur la lumière qu’on parle) et le quotidien vu avec une grande sensibilité. Si Drouillard parle de fiction, on sent assez rapidement que les sentiments, eux, sont bien réels.

la malle c’est pus ce que c’était
on reçoit que des comptes
qui comptent jamais pour vrai

Juste Robert – La lettre

À la réalisation, Benoit Villeneuve (Shampouing) se montre efficace. La production est impeccable, et on a ici un album qui colle très bien à la zénitude que propose Drouillard dans ses chansons. Toutefois, on se le cachera pas, c’est encore aux mains de sa six-cordes que Shampouing se démarque. On le sent s’amuser follement, notamment sur Le chien, où il nous offre un de ses soli bien sentis qui à eux seuls peuvent vous donner la chair de poule. On a également le plaisir d’entendre ses fidèles acolytes Frédérick Desroches, qui pianote encore des ambiances riches, ainsi qu’Yves Marquis, dont le jeu de basse subtil s’accorde à l’unisson avec la batterie de Kenton Mail. Y’a Benoit Paradis qui vient ajouter un peu de chaleur à l’ensemble à la trompette et au trombone, et aux choeurs, on peut souvent entendre les voix magnifiques d’Ariane Roy et Émilie Clepper, qui s’harmonisent à merveille avec celle de Drouillard.

Je me suis habitué, au fil des ans, à voir les artistes mettre leurs chansons les plus fortes au début de l’album, à un point tel qu’il arrive souvent qu’on change de disque à la quatrième toune. « Ta théorie sur la lumière » ne fait pas partie de cette liste. Pas que le début de l’album soit faible, loin de là. Mais j’aime le pacing de cet album. La route sur laquelle Drouillard nous emmène est vallonneuse, mais il n’y a pas de grosse montée suivie de descente vertigineuse. Peut-être que certains trouveront ça plutôt linéaire, mais ne vous en faites pas, on se surprend d’avoir passé 40 minutes avec l’artiste lorsqu’on entend les dernières notes de l’instrumentale Un abri pour regarder la pluie (une référence à En amont).

Le voyage vers le doux amorcé sur « Mon mammifère préféré » se poursuit sur cet album. Drouillard maîtrise sa voix mieux que jamais, et il joue avec comme il joue avec les mots et la façon de les prononcer. On y retrouve quelques-unes de ses formules préférées comme la répétition. C’est flagrant sur Le silence et la lenteur, mais on apprécie beaucoup comment chacune de ces répétitions a sa petite nuance, comme sa petite émotion bien à elle.

tu as trouvé de l’or t’as trouvé de l’or dans ta cour arrière
il y a ta femme dans ta chemise blanche
il y a ta femme dans ta chemise blanche
elle te parle elle te parle du soleil

Juste Robert, Le silence et la lenteur

La pièce-titre est un petit bijou aux sonorités country-folk qui servent follement bien les paroles et les intonations toutes en douceur de Drouillard. « La haine, tu comprends pas ça, toi », c’est une phrase tellement forte, à la fois pleine d’amour, d’admiration et… de crainte. Sept mots qui disent tout, et qui sont renforcés par la suite :

j’ai gardé ça pour moi
on s’en est pas parlé
je t’ai regardé ouvrir les rideaux
te laisser pénétrer par la lumière

Juste Robert, Ta théorie sur la lumière

Sur Soudé à toi, le piano de Desroches, les cuivres de Paradis et les choeurs ajoutent une atmosphère chaleureuse à une pièce qui déborde déjà d’amour. Le chien nous rappelle que Drouillard est fort sur les métaphores canines (on se rappelle encore Il tombe des cordes ici). Et je vous ai déjà parlé de la guitare de Shampouing sur cette pièce! Quant à Sous le bruit des hélicos, on est à des années-lumières de la pop franchouillarde qu’on pouvait entendre sur l’album précédent. On est plutôt dans un univers feutré à la Watson/Avec pas d’casque, d’autres artistes qui nous font l’éloge de la lenteur. À la première écoute, on pourrait croire que Le gris des fées est la pièce la plus « chanson française » de l’album, mais v’là-tu pas Clepper qui vient chanter quelques mots en anglais, et nous voilà plus proches de Fleetwood Mac que de Bashung!

give me three days of your mouth and mine
time is blind love i see my eyes in your eyes

Juste Robert, Le gris des fées

Dans le fond, on peut dire qu’au fil des ans, Juste Robert s’est créé un petit cocon musical, un bel univers qui a bien sûr quelques influences, mais qui a fini par former un son typique qu’on peut reconnaître en quelques secondes. « Ta théorie sur la lumière » est un de ces albums à la fois bien de leur époque et tout à fait intemporels. C’est une oeuvre d’introspection ouverte, un doux regard sur le monde à travers la fenêtre de la chambre, une mélancolie pandémique qui se veut toutefois porteuse d’espoir. C’est l’amour, encore et toujours.

Et Dieu sait combien l’amour est back-order ces temps-ci.

Une chance que t’es là, Drouillard.

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