E27 musiques nouvelles et le Pantoum présentaient DooDooDoo le 16 octobre dernier dans le cadre de Québec musiques parallèles, un festival de musiques rafraîchissantes et d’art sonore qui évoluent en marge de l’industrie. Compte rendu en deux temps de cette expérience technique et cathartique.
DooDooDoo – FACE A
Sur scène, les instruments attendent leurs maîtres. La batterie trône, au centre, et l’œil attentif remarque les myriades de fils qui s’en échappent pour aller se connecter plus loin sur deux stations composées de consoles, de pédales, d’oscillateurs : ce sont les postes de garde des trafiqueurs du son, Alexandre Martel et Hubert Lenoir. Un peu plus à gauche, un drumpad, un handpan, un micro, des machines. C’est le poste satellite de Lou-Adriane Cassidy, qui se connecte au reste du réseau intraveineux d’instruments.
Pierre-Emmanuel Beaudoin prend place au cœur de la scène, lui qui est aussi le cœur de ce projet d’improvisation musicale et de traitement sonore. Ses baguettes s’élancent: il goûte différents motifs rythmiques entrecoupés de silences. Les trois autres corps s’animent avant les instruments électroniques, afin de s’accorder, de trouver leur unisson. Un rythme continu émerge – texturé de sons et d’effets – et, les musiciens comme nous, nous embarquons dans l’aventure qui commence…
Lou-Adriane brode sur les rythmes au drumpad et catalyse l’intensité croissante du groupe de sa voix rendue monstrueusement grave. Sons et halètements parachèvent un premier tableau sonore sous le signe du retour à l’instinct, nimbé d’un éclairage rouge sang.
Place ensuite au deuxième round, le focus se recentre sur la batterie acoustique: Beaudoin y explore des battements saccadés, qui distillent en eux-mêmes l’originalité du musicien (on peut d’ailleurs souligner qu’il en est à plus de 200 improvisations musicales à son actif au sein de la LIMQ). Lenoir, Martel et Cassidy sont passés de la transe à l’écoute. La batterie semble être ce sur quoi tout se construit, même l’éclairage, qui est passé du rouge à un bleu clair sous les doigts de Mya Perrier.
Dans ce deuxième tableau complété, on est devant une masse sonore qui évoque la musique industrielle: plus froide, entrecoupée de stroboscopes et allégée de temps à autre d’une cascade de carillon. Martel et Lenoir appuient avec emphase sur les différentes pédales qui transforment visiblement les sons émis par Beaudoin à la batterie. Cassidy trafique elle-même les sons du handpan qui s’ajoutent au portrait.
Troisième temps – si l’on tient vraiment à découper ce qui défie les formes – les mains du percussionniste sont libérées et explorent à présent la coque de ce qui semble être un cajon incliné, avant de passer sur les peaux des tambours. Il décortique et joue avec les sons, avec les possibilités. Ces sons sont ensuite décuplés, distordus, transformés par les autres musiciens pour en faire, à travers leurs machines mais surtout par leur sens humain, des sons complètement nouveaux, écho auquel peut ensuite répondre le batteur en un véritable dialogue sonore.
Des grincements de cymbales se font prélude d’une transition vers des rythmes plus doux, ponctués de la voix muée de Cassidy, qui rivalise alors d’originalité avec le batteur dans un entrelacement sublime. Instant de flottement avant le retour progressif d’un rythme soutenu, suivi du retour progressif des différents effets sonores en un crescendo où les musiciens se laissent véritablement aller, dessinant un bouquet noise pailletté d’un solo de baguettes de Pierre-Emmanuel.
Entre deux phrases rythmiques, un sourire passe comme un influx nerveux d’une bouche à l’autre sur scène. La connexion des musiciens passerait-elle par les fils qui relient leurs instruments? La co-dépendance des créateurs sonores en pleine improvisation semble magnifier leur sens de l’écoute. Un solo de cymbale ramène mon attention vers le crescendo suivant, qui présente une envolée de sons à la fois cauchemardesques et festifs (y verrais-je une touche latine?), transitionnant ensuite abruptement vers un rythme punk énergique et soutenu.
L’éclairage passe du rouge au blanc, annonciateur d’une accalmie. Lou-Adriane entame une mélodie jazz qui prend des airs surannés sous les effets et les modulations, comme le son vintage et mélancolique d’un vieux vinyle poussiéreux. PE Beaudoin accompagne d’abord en douceur cette complainte aux balais, pour ensuite jouer seul, répétant doucement les mêmes sons à la manière d’une aiguille de tourne-disque qui tourne à vide.
DooDooDoo – FACE B
Conçu lors d’un voyage à Tokyo en mars 2019 pour la tournée d’Hubert Lenoir, le projet prend racine dans une improvisation de 30 minutes à la batterie réalisée par Pierre-Emmanuel Beaudoin (Apophis, Gabrielle Shonk, Lou-Adriane Cassidy, Ariane Roy, Keith Kouna et on en passe). Cette performance, enregistrée en une prise au Red Bull studio par l’ingénieur de son Ryu Kawashima, était retravaillée en direct par Félix Petit (FELP, Oblique, Les Louanges, et on en passe), Alexandre Martel (Apophis, Anatole, Hubert Lenoir, Mauves, et on en passe) ainsi qu’Hubert Lenoir (le connaissez-vous?), créant à partir des rythmes du batteur une œuvre collective, riche de sonorités et de textures.
De retour au Québec, le résultat a été retravaillé en collaboration avec Marius Larue et Lou-Adriane Cassidy (Alex Burger, Hubert Lenoir), qui se sont ajoutés au noyau de créateurs. De cette collaboration naquit un album à paraître en 2022.
Près d’un an après sa première vie, le projet a pu se ranimer cet automne grâce à E27 musiques nouvelles ainsi qu’au Pantoum, qui a accueilli Beaudoin et certains collaborateurs dans ses murs afin d’adapter le concept à la scène. Jean-Etienne Collin Marcoux – co-fondateur du Pantoum, ingénieur de son et aussi dans beaucoup trop de groupes pour tous les nommer – a contribué lors de cette résidence à rendre possible la cohabitation des sons acoustiques et des effets numériques sur scène.
Ainsi, pour en arriver à la performance décrite en Face A de cet article biscornu, les créateurs ont d’abord capté les sons individuels de chaque percussion à l’aide de micros contact, des dispositifs permettant d’enregistrer et de retransmettre un son non pas à partir des vibrations de l’air, comme le font les micros traditionnels, mais bien à partir d’un matériau solide (p.ex un corps de guitare ou encore la peau d’un tambour).
Les micros contact des instruments de PE Beaudoin étaient connectés au moyen de fils au matériel de traitement sonore utilisé par Hubert et Alexandre. Ceux-ci étaient armés de consoles et de pédales d’effet (delay, reverbs, octave, harmonizer, distorsion, wah wah, etc., généralement utilisées avec les guitares) à partir desquelles ils pouvaient modifier les sons émis par le percussionniste. En jouant sur la vitesse et la longueur des effets, ils avaient accès à une possibilité quasi-infinie de combinaisons pour complémenter l’expérimentation sonore déjà riche du batteur.
Fait intéressant, aucune pédale de loop n’a été utilisée, ce qui fait que les créateurs sonores devaient toujours travailler directement avec les signaux entrants immédiats. Cependant, les delay leur permettait de créer un écho de son qui perdure dans le temps, de modifier ce dernier et de progressivement remplir l’espace sonore en créant des timbres et même des notes à partir des coups de baguettes de Beaudoin.
Lou-Adriane Cassidy, pour sa part, traitait le son de sa voix à l’aide d’un VT-4 (processeur d’effet pour la voix qui permet notamment de l’harmoniser ou de la vocoder) ainsi que le son provenant de ses propres instruments.
Au-delà du développement technique, la résidence au Pantoum a permis aux musiciens d’harmoniser leurs idées et de perfectionner leur improvisation collective. La performance du 16 octobre s’asseyait ainsi sur la capacité des musiciens à s’écouter les uns les autres et à se laisser influencer par les idées de chacun – un peu à la manière des musiciens jazz de la Nouvelle Orléans dans les années 20, mais avec de tout autres instruments. Comme quoi certaines choses changent et d’autres restent les mêmes!