Marie-Pierre Arthur – « Des feux pour voir »

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Déjà cinq ans se sont écoulés depuis le joli Si l’aurore de Marie-Pierre Arthur. Deux années à tourner, puis à se chercher, à vouloir changer d’air, à tenter de trouver l’étincelle qui lui donnerait le goût de sortir de sa tanière. S’en est suivi un long processus, différentes sessions d’enregistrement dans une variété de studios… et à la maison. Si l’album porte un seul nom, il s’agit toutefois d’un exemple flagrant d’un effort en collaboration : réalisation à trois (Arthur, François Lafontaine, Samuel Joly), écriture à quatre mains, voire plus (avec Gaële, Émilie Laforest, Laurence Nerbonne et Louis-Jean Cormier), Des feux pour voir est le fruit d’un dur labeur, et ça paraît!

Certaines choses n’ont pas changé : l’auteure-compositrice-interprète s’inspire toujours de ce qui se passe dans son univers et de ce qu’elle ressent pendant ces événements. Ajoutez à cela toutes les remises en question qui arrivent avec la quarantaine, et vous vous retrouvez avec autant d’ombre que de lumière sur huit excellents tableaux.

L’ombre, on la voit dès le départ sur La guerre, où Arthur exprime sa peur pour cette personne qui « va au combat », visiblement contre ses propres démons. Dans cette chanson en apparence tranquille, la voix triturée de la bassiste pendant qu’elle chante « J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur pour toi / Jamais je croyais que tu irais là » nous fait ressentir cette crainte de manière fort efficace.

C’est pourtant dans la douceur qu’on retombe ensuite avec Les nuits entières, toute en finesse avec les cordes de Mélanie Bélair, les choeurs tout masculins de Lafontaine, Joly, Robbie Kuster et Joe Grass et la voix nuancée d’Arthur (maudit que j’aime sa voix). Et on plonge dans la lumière sur Tiens-moi mon coeur, une chanson plus hop-la vie qui sent l’amour maternel. Puis arrive Faux, pièce-maîtresse de l’album, elle-même aussi éclatée que l’ensemble de la galette. Un morceau de cinq minutes où Arthur prend le temps d’explorer, de jouer avec sa voix en la trafiquant et en la superposant sur un air de plus en plus jazzy, entrecoupant le toux de bout pas mal plus organiques (et chauds). Le chaud, le froid, l’humain, la machine, le vrai, le faux.

Je ne reconnais plus rien
À la croisée de mes chemins
J’arrive à peine à voir
Où est le mien
Où est le faux
Je laisserai ma trace
Si j’avance trop

Faux

On ne retourne pas au vrai tout de suite, puisqu’on s’en va Dans tes rêves, une pièce aux accents extrêmement funky où le groove de la basse d’Arthur crée un besoin irrésistible de bouger le bassin. La pièce suivante, Des feux pour voir, arrive à point : après avoir bougé les hanches, c’est au tour de la tête de se faire aller. Une pièce pop-rock teintée de grunge de plus de cinq minutes où Arthur utilise absolument tous ses atouts : des musiciens de choc (Brad Barr se joint à Joly et Grass à la guitare, et le résultat est divin), une mélodie absolument irrésistible, des couplets lents dominés par les guitares, un refrain balancé comme un cri du coeur par une Arthur en pleine maîtrise de ses moyens, un texte simple, mais imagé, où chaque mot est à sa place. Le genre de pièce que t’as envie de réécouter immédiatement tellement l’envie de crier « Je penche encore » avec Arthur est forte.

On est pas au bout de nos surprises : Les nuages tombent commence bien tranquillement, mais prend assez vite beaucoup de punch, se lançant même dans une grosse cacophonie noise avant de se terminer tout en douceur. Un genre de montagne russe où la descente est beaucoup plus le fun que la montée, et qui, selon ce qu’on a pu lire on ne se souvient plus trop où, pourrait éventuellement à d’autres expérimentations plus punky du genre.

Et puis Puits de lumière, écrite par notre Louis-Jean national, vient terminer ça en beauté, tout en lumière jazzée, avec les voix de Cormier, Erika Angell et Lisa Iwanycki-Moore, et les instruments à vent de Frank Lozano et le toujours excellent Pietro Amato. Une fin toute en beauté pour un album qui a filé beaucoup trop rapidement.

Des feux pour voir me rappelle Tu m’intimides de Mara Tremblay. Musicalement, les deux albums ont très peu en commun, mais Mara s’est également servie de son quatrième album, sorti au tournant de la quarantaine, pour prendre une certaine distance par rapport à ses oeuvres précédentes. Sur Des feux pour voir, Marie-Pierre fait de même, se permettant de mélanger les genres, d’expérimenter sans cesse, allant chercher un peu partout cette étincelle dont je parlais au début. Toujours avec l’incroyable minutie qu’on lui connaît. Le résultat est semblable : un album surprenant qui nous accroche dès la première écoute, mais qu’on réécoute sans cesse, question de découvrir toute la richesse de cet ensemble de huit morceaux ou tout simplement pour le pur plaisir d’apprécier de la maudite bonne musique écrite, composée et réalisée par une de nos meilleures… et son entourage.

Avec ses nombreux collaborateurs, Marie-Pierre Arthur nous offre ici une oeuvre complète qui nous montre qu’en sortant des sentiers qu’on a nous-mêmes battus, on peut retrouver la flamme qu’on croyait peut-être avoir perdue, tout en le faisant avec la même empathie qu’on lui a toujours connu. En allant visiter le jazz, la soul, le grunge, le punk, le noise pour s’inspirer, en comptant sur de nombreux collaborateurs et collaboratrices (notamment aux textes, où elle faisait déjà du fort joli boulot avec Gaële, mais l’apport d’Émilie Laforest et de Laurence Nerbonne dans certaines chansons a permis à Arthur de sonner « naturelle » là où on ne l’attendait pas), Marie-Pierre a réussi à se renouveler complètement tout en faisant de la musique qui nous fait bien plaisir, mais qui, surtout, LUI fait plaisir.

Tant mieux. Parce que Des feux pour voir nous donne le goût de regarder en avant.

Marie-Pierre Arthur sera en spectacle à l’Impérial Bell le 14 mars prochain. Billets en vente ici

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