On se transporte maintenant dans le sous-sol de l’église pour la fin de soirée la plus folle qu’on a vécue dans cette enceinte mythique.
Choses Sauvages
Il devait y avoir quelque chose dans l’air du sous-sol de l’église samedi dernier. Peut-être des relents de reliques en décomposition, ou bien tout simplement la tension électrisante que les gars de Choses Sauvages savent faire apparaître dans les conditions propices. Inondés de faisceaux de lumières, ils se lancent dans une Nuages upbeat, presque punk, à laquelle Anna Frances Meyer (BAYBEEEEE) se joint à la flûte. Tel un vrai prêtre – mais plus du genre satanique – le chanteur Félix Bélisle appelle la foule du fond de ses profondeurs intérieures. Il nous fait crier, scander, sauter: «Ça, c’t’un party», nous lance-t-il avant d’onduler sur Ariane. On peut pas s’empêcher de faire pareil. On est Kevin, ils sont Julia.
Le set se poursuit et je remarque à quel point les musiciens sont à l’aise avec leurs compositions: ils les tordent, les déforment et les déguisent à volonté, ce qui rend la prestation d’autant plus organique. Même leur nouvelle pièce s’étire et se déroule en passant du vogue au disco dans des élans chimériques. Lentement, le public se mute en véritable bête, lui aussi. Et quand Bélisle vient se placer au milieu de nous et que, tous accroupis, on sent la tension monter, le gros nuage éclate et on finit par tous se rentrer dedans joyeusement. Tu parles d’un public bien réchauffé pour Lydia Képinski!
Marie-Ève Fortier
Lydia Képinski
Ça fait combien de temps qu’on suit Lydia Képinski? Trois ans, trois ans et demi? Je me souviens encore de ses passages au Cabaret Festif de la relève en 2016. La jeune auteure-compositrice-interprète en avait soufflé plus d’un et si ce n’avait été d’un Gab Paquet au sommet de sa forme, elle serait probablement repartie de Baie-Saint-Paul avec les grands honneurs (en plus de notre prix coup de coeur). À l’époque, j’avais autant été charmé par sa candeur que par la qualité de son écriture et c’est avec le plus grand des plaisirs qu’on a invité Lydia à notre party du 5e anniversaire (surtout qu’en plus, elle venait de gagner les Francouvertes). Puis est venu le EP, une mise en bouche qui a donné à votre humble serviteur le goût d’en entendre encore davantage. Encore là, même si le côté musical était excellent (en montrant plusieurs facettes de la jeune femme), c’était encore par ses textes qu’elle a brillé. Il faut une grande habileté pour manier avec autant d’aisance la mythologie grecque et s’en servir pour imager ses pièces. Enfin, 1er juin est arrivé, un album coup de poing qui va musicalement dans plusieurs directions et qui montre une Képinski plus groundée dans ses textes. Souvent plus sombre, aussi. Avec des chansons comme Les balançoires, Belmont et Pie IX (surtout), qui sont allées me titiller jusque dans mes propres coins sombres à moi. Une chance que le reste de l’album est plus léger (si une telle chose est possible…).
On venait de voir Lydia au OFF dans une de ses prestations les plus énergiques (et avec une des foules les plus folles) que j’ai vues à date. Et j’en ai vu beaucoup. Et pas grave, il fallait que j’y retourne une fois de plus, à quelques mètres du lieu où je l’ai connue, parce que même si elle me brasse beaucoup, la Képi, j’aime son travail et celui de sa bande de musiciens, et c’est une belle façon pour moi de boucler cette boucle qu’on a entreprise en 2016.
On se remet à peine de la prestation endiablée de Choses Sauvages quand les musiciens, accompagnés d’un “prêtre” (on est au sous-sol ou on l’est pas), se lancent dans Les routes indolores, que Lydia commence au fond de la salle (comme d’habitude). Lorsqu’elle s’approche, je remarque quelque chose dans ses yeux, un feu que j’ai rarement vu chez quelqu’un, une urgence de mettre le feu à quelque chose, de fracasser autre chose, de faire sortir le diable de chacun d’entre nous pour une grosse heure de sombres plaisirs.
L’éclairage me fait capoter. Il fait visiblement capoter Lydia aussi, dans le bon sens du terme, qui joue avec celui-ci comme elle joue avec nous. Vraiment, ces faisceaux lumineux qui viennent de partout, ces crucifix, ce “prêtre” qui lui sert le “sang du Christ” (le sang du Christ semble composé de bière de la Micro Charlevoix), toute cette esthétique chaotique présagent un autre de ces moments spéciaux que seule cette salle surchauffée (malgré les ventilateurs qui marchent au maximum) peut livrer.
Dès Andromaque, Lydia et la foule s’enflamment. Y commence à faire chaud, ça danse en fou, ça crie les paroles en choeur comme si tout le monde dans la salle avait du méchant à faire sortir. Et ce qui devait arriver arriva : un moshpit (tout doux) sur Maïa. J’comprends plus rien. C’est pas grave, j’arrive à danser tant bien que mal tout en essayant de prendre deux ou trois photos. Bon, on s’est bien défoulé, c’est le temps de danser avec une série de remix comme on avait entendu au OFF. Tout le monde danse seul ensemble, avec Lydia qui chante, danse, joue avec ses pads, et ses musiciens toujours parfaits qui l’appuient si solidement… D’ailleurs, les quatre sont ben ben cool de sauter à pieds joints dans ce trip un brin techno et ils pourraient montrer à quelques « spinneux » de records qu’un band, ça ajoute du punch à des tracks dance.
Malgré tout cela, le gros nuage noir qui m’a accompagné toute la fin de semaine est revenu faire un tour à la toute fin, pendant Pie IX, une pièce qui me rappelle douloureusement ma vingtaine à moi et qui semble transformer tout le monde en Kurt Cobain des temps modernes tellement le moment semble cathartique pour tant de personnes dans la salle. J’ai pas à parler, j’étais juste à côté des haut-parleurs en train de me percer les tympans et de crier tout le mal qui me rongeait ce soir-là. Une finale violente, hargneuse, qui a aspiré une foule en toute apparence aussi bouleversée que moi à la sortie de l’église.
On aurait pu croire que le sous-sol de l’église aurait été un tremplin pour Lydia Képinski.
Non.
Parce que malgré tout ce qui s’y est passé au fil des ans, le tremplin ici, c’est Lydia. Cette salle est encore plus mythique aujourd’hui à cause d’elle, et c’est tant mieux.
J’t’aime fort, Lydia. Même quand tu me fais mal comme ce samedi soir de juillet, même quand tu profites de cette plaie qui s’est ouverte pour m’enfoncer ton couteau bien profond. J’espère juste que ton horloge t’a pas autant sonnée que ta prestation l’a fait avec moi.
Après ça, je suis sorti, y’avait Steve & Ginie Jackson qui se préparaient à jouer un petit set surprise devant la billetterie. Je suis resté cinq minutes, les bénévoles étaient tous là à faire le party, mais moi, fallait que je prenne des forces, Philippe B s’en venait dans seulement… deux heures et demie.
Jacques Boivin