Après une longue série de tournées, Hubert Lenoir et ses musiciens revenaient à la maison pour boucler l’année en un spectacle ultime. Accompagnés de Klaus et de Jérôme 50, ils ont donné un spectacle qui, en plus de déstabiliser plus d’une matante et de charmer plus d’une fille prépubère, a su satisfaire plus d’un fervent partisan de la scène locale.
Klaus
Les musiciens qui composent Klaus sont les premiers à apparaître sur scène. Sous un éclairage verdâtre, les voix du guitariste Joe Grass (Patrick Watson) et du claviériste François Lafontaine (Karkwa) se fondent dans une harmonie inondée d’effets tandis que de leurs instruments s’élèvent des sonorités aériennes et étranges. On a presque l’impression qu’ils viennent d’une autre planète. Mais l’atmosphère musicale change aussi vite que l’éclairage, qui passe au rose alors que la musique se fait festive et intense pour Blue Telephone, puis sensuelle et planante pour Can’t Turn Back.
Elle est comme ça, la musique de Klaus : c’est une chimère qui se transforme dès qu’on essaie de la saisir. Elle passe par le métal, l’afrobeat, la musique psychédélique, les années 1980 et le drone, même! Pourtant, dans son esprit, parce qu’elle rapièce autant de styles qui a priori sont contradictoires, elle reste prog. Définitivement, c’est une bête qui ne pourrait être domptée par d’autres musiciens que ce trio complété par le batteur Samuel Joly (Marie-Pierre Arthur).
Jérôme 50
C’est alors au tour de Jérôme 50 de prendre les devants de la scène, de divertir cette salle qui affiche complet. Solidement soutenu par ses fidèles aides animateurs (Simon Lachance à la batterie, Martin Plante à la basse, Nathan Vanheuverzwijn aux claviers et Simon Kearney à la guitare), le futur ministre de l’éducation nous accueille à bras ouverts dans son camp de vacances pour adultes. Le thème cette année? Sexe, drogues et rock and roll.
Jérôme est en forme, c’est un feu roulant de blagues aussi drôles que grinçantes, un peu comme ses chansons. Il se lance en skateboard avant de nous faire faire une chanson à répondre. C’est qu’il a pris l’habitude de piger dans notre répertoire national de comptines! Qu’à cela ne tienne, la culture hip-hop a elle aussi sa place dans ce pot-pourri de références qui caractérise le phénomène 50, ce que l’artiste prend la peine de nous rappeler autant avec sa nouvelle calotte G-Unit que par son attitude sur Wéke n’ Béke
Dans le public, les réactions sont très disparates. Sur la délicieuse Ouh la la, on en voit autant qui chantent les paroles en sautillant que d’autres qui sourient, étonnés, fascinés ou mal à laise, ou qui, de leur visage dubitatif, nous montrent qu’ils ne sont pas encore sûrs de savoir ce qui se passe. Nous, on sait, et on apprécie le party que nous fait la troupe de 50. Ils terminent en beauté avec Hierarchill, chantée par Jérôme du haut de l’échelle sociale et bonifiée par la participation du rappeur et flûtiste Philippe Gagné.
Hubert Lenoir
Comme autant de bêtes déchaînées, Hubert Lenoir et ses musiciens se lancent ensuite sur leurs instruments pour entamer Fille de personne II. Pas le temps de reprendre leur souffle, les spectateurs sont captivés pendant que Lenoir saute, crie, chante et enfile avec J.-C.. Le public est en extase, ça commence déjà à faire des moshpits.
Dans la salle de spectacle, il y a désormais une énergie à faire venir l’été un 21 décembre, comme nous lance amicalement l’artiste sur Si on s’y mettait. Pendant ce temps là, je m’émerveille du tour de force qui fait chanter cette oeuvre de Jean-Pierre Ferland à autant de milléniaux. C’est qu’Hubert Lenoir a lui aussi du goût pour les références, comme en témoigne en outre son collier de punk; comment les Sex Pistols et Ferland auraient-ils pu se retrouver ailleurs que dans l’univers d’Hubert Lenoir!
Je peux aussi constater, au fil des chansons, à quel point le spectacle a évolué depuis le lancement au Dagobert. Déjà, les nouvelles compositions se démarquent par leur dose de rock musclé et leur son vogue tout en conservant l’irrésistible côté pop qui a fait le succès des précédentes. Il me semble aussi que l’exécution de « Darlène » est à la fois plus spontanée et plus agressive: la force brute des compositions est dévoilée, alors que les pièces s’habillent de nouvelles teintes. Le meilleur exemple de cette évolution est la ribambelle de styles que revêt la pièce instrumentale Momo, se terminant dans une apothéose de rock psychédélique.
Entre les chansons, Hubert Lenoir se permet aussi de parler à sa tribune de médias ainsi qu’à ses différents fans et amis. Tantôt fier de mentionner que ses musiciens sont tous de la ville de Québec, tantôt acerbe à l’égard de l’industrie de la musique, ses interventions mêlent amour, reconnaissance, humour grinçant et sentiment de révolte. On retient qu’il ne faut jamais – au grand jamais! – deep throat quelqu’un qu’on ne respecte pas (tenez-vous le pour dit), mais surtout que sous le couvert d’un « Fuck Mario Pelchat pis sa gang de prêtres! », Lenoir met le doigt sur le malaise général devant un système absurde.
La fête atteint son paroxysme alors qu’entre deux solos endiablés ou deux frenchs, Hubert Lenoir laisse son micro à ses musiciens, qui interprètent des succès de leur choix. C’est comme si, un instant, on se retrouvait au Karaoké avec nos amis… ou c’est la meilleure façon d’installer les premiers doutes dans la tête des admirateurs éconduits. Après cet interlude, le groupe reprend sur Ton hôtel avant de se lancer dans un rappel aussi généreux que déconcertant: Une version française de Santa Baby pour les fêtes, Recommencer et Fille de personne III pour les fans, et une reprise bien hardcore de Big Girls Don’t Cry de Fergie pour le fun. La soirée se termine sur ça, et sur une reprise avortée de Smells Like Teens Spirit, qui laisse les spectateurs dans un état de consternation profonde. Eh bien, pas tous les spectateurs : nous, on se marre.
C’est que, popularité oblige, Hubert Lenoir a appris à jouer avec son public, à faire monter la tension et à déchaîner les spectateurs. C’est enivrant, sans doute, mais aussi sans doute un peu laid. Ça fait que ça donne à Hubert le pouvoir, et le loisir, de fabriquer le plus beau moment de communion, pour ensuite crasher son propre party. Un peu comme on est satisfait de détruire notre beau château de sable devant ceux qui le convoitent pour leur rappeler qui l’a construit.
Darlène, le 21 décembre dernier, c’était :
PE Beaudoin: Batterie, percussions
Cédric Martel: Basse
Vincent Gagnon: Piano, piano électrique, synth
André Larue: Saxophone, clarinette
Simon Kearney: Guitare
Lou-Adriane Cassidy: voix, percussions
Alexandre Martel: Guitare, synth
Ben Shampouing: Guitare
Jean-Étienne Collin Marcoux: son
Kevin Savard: éclairages
Hubert Lenoir: Voix, guitare, piano, piano électrique, synth, percussions