Beaucoup d’eau a coulé sous le pont de Saint-Casimir depuis la sortie de « Boats » (2021), l’album lumineux d’Alexandra Lost. Des départs douloureux. Des pertes déchirantes. Un important besoin de prendre un brin de recul et de « faire sortir le méchant ».
Lancé vendredi dernier, « Smoke » est fortement inspiré des événements qui ont chamboulé la vie du couple : Simon Paradis a perdu son père. Jane Ehrhardt a fait une fausse couche. Deux événements difficiles qui auraient eu raison de duos pas mal moins solides, mais Jane et Simon se sont plutôt serré les coudes et transformé leurs émotions en chansons épurées, mais vivantes. Souvent très sombres, mais laissant aussi place à beaucoup d’espoir.
Le résultat de cette catharsis? « Smoke », un magnifique album qui nous rappelle à quel point notre existence est éphémère et que même l’incendie qui est en train de tout brûler dans notre entourage génère de la lumière. Jane et Simon abordent tout ça avec la sensibilité qu’on leur connaît sur un opus particulièrement généreux de 12 chansons totalisant près de 45 minutes.
La pièce-titre, qui ouvre l’album, donne le ton. On reconnaît déjà les talents de mélodistes du duo. Ça a beau être épuré, on accroche rapidement, on se ferme les yeux et on hoche doucement la tête en écoutant la voix douce et mélancolique de Jane. Les petites boucles donnent une petite touche trip-hop à l’ensemble. Orange, qui suit, est beaucoup plus complexe et explosive grâce à la basse nerveuse de Luke Dawson et aux choeurs d’Isabeau Valois qui se marient à merveille aux voix du duo. On sent dans ce morceau une urgence qui nous étourdit un brin sans toutefois exploser nulle part, comme un incendie maîtrisé juste avant qu’il ne touche la bombonne de propane dans la cour.
Quel contraste avec Uplift, où Dawson s’amuse à la contrebasse pendant que le duo (et Valois) y va de ses plus belles harmonies vocales. Jazzy à souhait, ce morceau, tandis que la chaleureuse Sometimes Warm rappelle vaguement les mélodies des Beach Boys époque Brian Wilson.
Y’a trois pièces en français sur « Smoke », ce qui est beaucoup pour un album d’Alexandra Lost. La première, Le monde est en feu, sent l’urgence d’agir avec son beat lourd et son texte répété comme un mantra. Tout un contraste avec Tu peux pas, une courte pièce dépouillée aux accents reggae qui nous rappelle qu’on peut pas tout prendre sur ses épaules. Et y’a Feu follet et ses accents psychédéliques.
Avez-vous remarqué qu’il y a beaucoup de références au feu sur cet album?
Il y a plein d’autres bons moments, comme East Coast 3D et sa pop atmosphérique qui nous fait hocher doucement la tête, Going Down qui rappelle vaguement la vague trip-hop de la fin des années 1990, et la douce Friends nous rappelle le fond folk de la paire. Et il y a Get Lost (Again), qui commence mollo avant de se terminer dans un jouissif jam où le piano vole la vedette aux autres instruments.
Prise individuellement, chaque pièce a sa saveur distincte et se tient sans problème, mais dans son ensemble « Smoke » est un plat de bonbons mélangés qui goûtent bon quand on en prend une poignée. Le fil conducteur est solide malgré l’éclectisme des chansons, la flamme n’est jamais loin, qu’elle brûle tout sur son passage ou qu’elle nous éclaire simplement le chemin, et les morceaux sont ordonnés de manière à nous faire vivre toute la gamme des émotions avec Jane et Simon. Les textes sont d’une grande finesse, qu’ils soient infiniment personnels ou qu’ils peignent un tableau très orangé de notre société.
J’pense que ça va mauditement bien sonner le 19 avril prochain au Pantoum, cet album-là.