En route pour le festival, dans notre caravane de presse, comme je l’appelle affectueusement. À bord de notre furieux bolide, nous sommes prêt.e.s à franchir les quelques 600 kilomètres qui séparent le Shell du Boulevard Laurier et le Théâtre de la Vieille Forge. La musique y est bonne, les gens sont sympathiques. Il est bien plaisant d’envisager passer les quelques jours suivants en leur compagnie. La fébrilité pré-festival se ressent de tous.te.s, que ce soit devant la charge de travail qu’implique ce festival ou comme moi, en anticipant tout le beau qui viendra éveiller mes sens endormis par la ville et la vie du rock, je l’espère.
On dira ce qu’on voudra, mais la route vers la Haute-Gaspésie est particulièrement magnifique. Quand mon fleuve devient mer et qu’il se change en infini, je ne peux qu’être pensif, serein, en longeant ses berges ou en en fixant l’horizon. Je réalise encore un peu plus, à chaque fois, l’immense chance qu’on a d’avoir ça sur notre territoire. De cette beauté grandiose qui s’offre à nous.
Arrêté à une lumière de construction, j’entends notre conducteur, tout aussi admiratif devant cette étendue d’eau sans fin : Y’a pire comme lumière rouge. Et tous.te.s d’acquiescer, dans un sentiment d’apaisement évident face à ce décor.
On se rend au café pour un premier repas au sein des festivaliers et de l’équipe déjà bien en place pour la première soirée, le jour zéro de l’édition 2023 du festival. L’ambiance est festive et familiale, la danse en ligne se fait aller à souhait et la première pinte de Colborne se fait bonne après ce sinueux trajet.
Jour 1 : 28 juillet
On se fait accueillir à Petite-Vallée autour d’un déjeuner sur la terrasse avec vue sur la mer. C’est dur de faire mieux, pour moi, en terme de réveil. Autour de la table et ayant pour mission de discuter avec nous, le directeur général et artistique du festival Alan Côté, la mairesse de Petite-Vallée Monika Tait et Michel, un membre émérite du C.A. Et nous, c’est une délégation de médias des quatre coins de la province (dont la fameuse caravane de presse) ainsi qu’une équipe de pros d’outre-mer qui sont des ami.e.s du festival ou viennent bâtir des liens, découvrir des artistes d’ici. Les discussions s’entremêlent en abordant les enjeux de territoire, sociaux et organisationnels qu’engendrent un événement de la sorte.
Ensuite, les jours qui ont suivi ont pas mal consisté en la même routine. Beaucoup de spectacles, sur plusieurs sites différents, entrecoupés de longues pauses à me faire venter la face et à méditer au bruit des vagues qui s’échouent contre les amas rocheux. Et ce photoreportage est là pour faire voyager un peu, à ma manière, en Gaspésie et voir tout ce qui a fait de cette une expérience une des plus marquantes pour moi, en terme de festival. Petite-Vallée 2023, les spectacles commencent maintenant pour moi.
Spectacle hommage aux artistes passeurs, Richard Séguin et Florent Vollant
OUF! Ce premier spectacle ne nous ménage pas les émotions et nous emplit déjà de beau d’une manière que je n’avais pas vécue depuis un moment. Quand un village entier et des familles fortes s’unissent pour rendre hommage à deux grands hommes qui ont marqué plusieurs générations, ça ne peut qu’être fantastique. On voit une immense enfilade de gens qui viennent interpréter des pièces de Richard Séguin et Florent Vollant. Et ça fonctionne comme prémisse à tout ce que le public s’apprête à vivre pour les dix prochains jours. Le tout est grandement animé par Marc Hervieux et Stanley Vollant, de manière tout aussi amicale que sérieuse. La famille Lebreux ouvre le spectacle, on a droit à André Lachance (le guitariste de Florent Vollant depuis plus de 20 ans) en solo, pour son ami, jouer une chanson pour le festival Innu Nikamu. Quelques reprises à saveur humoristique par Manuel Gasse ont allégé l’atmosphère alourdie par la beauté, une tradition m’a t’on soufflé à l’oreille. D’autres moments touchants par la famille de M. Vollant ou lorsque les passeurs ont chanté sur scène avec les chansonneurs 2023. Un bel échange entre la relève et la légende. On a entendu des réinterprétations de pièces de Richard Séguin (dont Marc Hervieux qui a poussé la note sur Sous les cheminées, venant me chercher droit au cœur) et d’un hommage incommensurable où l’entièreté du public s’est levé. Armé.e.s de leurs paroles imprimées, tout le monde en chœur entonnait Tshishe Manitu, dans les dernières prestations de ce long et intense spectacle. C’était doux, touchant, plein d’espoir et en parfait hommage aux passeurs. Mission réussie, assurément.
La Faune
Étant un ancien chansonneur (en 2021), il est clair que Jérémie Essiambre connaît bien Petite-Vallée. Et il a su en charmer plus d’un.e en présentant son projet La Faune au Camp en chanson. Pour son premier spectacle complet suite à son passage il y a deux ans, il a su livrer la marchandise, assurément. L’attitude scénique dégagée par l’artiste est très agréable pour le photographe que je suis. Son pop-rock en français nous met de bonne humeur et même le public assis gigote sur son siège. Impossible de s’en empêcher.
Les Saisons de Vigneault
Ce spectacle spécial, présenté comme spectacle d’ouverture du Grand Chapiteau, m’a un peu laissé sans mots. C’était un moment unique et assez dur à décrire. L’ensemble vocal Tourelou, dirigé par la chef de chœur Guylaine Fournier, dresse un portrait impressionnant de la carrière de ce grand poète québécois qu’est Gilles Vigneault. Un hommage grandiose à cet homme qui a su marquer tant de générations par ses mots et ses idées. Énormément d’invité.e.s de tout acabit sont venu.e.s interpréter des succès de M. Vigneault, en accompagnement à l’ensemble vocal. Un assemblage puissant de grandes pièces ayant marqué notre histoire musicale, entrecoupé d’interventions audio et vidéo, pour marquer différents moments importants de ce spectacle.
Les Hay Babies
WOOOOOOWWW. C’est tout ce que j’ai à dire.
Quand je suis de retour dans l’antre de la Vieille Forge, j’avoue avoir hâte au spectacle de ces trois acadiennes qui rock en maudit. Mais le spectacle des Hay Babies que j’ai vu à Petite Vallée a surpassé mes attentes et j’étais complètement ébloui devant la performance livrée. C’était explosif, grandiose et l’énergie débordante du public s’échangeait avec le groupe, pour un résultat plus grand que nature et exceptionnel.
Jour 2 : 29 juillet
Alan Côté
Le conte a toujours pris une place très importante dans ma vie. J’ai grandi avec cet art de la parole très près, toujours dans ma petite poche d’en arrière. Quand j’ai vu Alan Côté sur scène, j’ai découvert un artiste qui savait allier musique et conte, racontage dans une dualité rassurante et fort intéressante. On en apprend plus sur sa vie, sa famille, son entourage (ses voisin.e.s par exemple). C’est une musique d’ici, avec les gens et les histoires à cœur. Et ça m’a touché, directement à la bonne place. C’était beau comment tout ça sonnait simplement vrai.
Miss Sassoeur
Se présentant elle-même comme une artiste faisant du gospel de ruelles, Miss Sassoeur ne laisse aucun membre du public du Camp en chanson indifférent, en ce début d’après-midi. C’est dansant, la musique s’influence de rythmes plus pesants rappelant le rap par moments, le hip-hop par d’autres. Tout ça accompagné de mélodies accrocheuses et belles. Même moi, j’avais envie de danser, c’est pas peu dire. J’ai aussi pu voir l’artiste en performance acoustique dans la Shed à Léon, plus tôt en journée. Je dis voir, mais c’était plutôt entendre un peu et voir par ma caméra vu la quantité de personnes qui se déplacent pour vivre ces moments uniques d’intimité artistique.
Richard Séguin
J’avais beaucoup d’attentes en allant au spectacle de Richard Séguin. J’avoue que c’est l’artiste qui a fait pencher ma décision vers l’affirmative quand on m’a demandé de couvrir le festival cette année. On se spécialise en musique émergente, au blogue, normalement. Mais cet artiste a tellement eu d’influences de toutes sortes sur une innombrable quantité d’artistes, tous genres confondus. Pour moi, c’est un peu la même chose. Richard Séguin fait partie de ceux qui m’ont suivis, entre autres, dans ma découverte de la vastitude de talents qu’on a ici. Je peux assurément dire qu’il est marquant et influent, dans ma vie aussi. Sur scène, il est grandiose. J’ai été ébloui devant ce talent et cette pureté d’âme qui fait du bien à voir sur scène, absolument. Une performance plus grande que nature, à mon avis, devant les yeux et les oreilles émerveillées du public chantant. Bien content d’avoir pu coché cette case dans ma liste de rêves photographiques.
Louis Jean Cormier
Je n’avais pas encore eu la chance de voir cette formule du spectacle de Louis-Jean Cormier et je n’ai pas été déçu. C’était empreint de douceur et de maîtrise de ses instruments assurément. La projection vidéo a tout de suite attiré mon attention, rapport à mon travail. Je n’ai simplement trouvé que ce feu roulant de chansons présentées à la guitare et à la voix ne correspondait pas avec l’ambiance que je recherchais pour les spectacles de fin de soirée. On sent que ce cousin d’Alan Côté est chez lui sur cette scène, littéralement à côté de la maison familiale. Il chante pour un public déjà charmé et ça demeure efficace comme proposition. L’ajout de la voix de sa fille sur quelques pièces ajoute une harmonie et une profondeur plus qu’intéressante à celle de Cormier.
Jour 3 : 30 juillet
Florent Vollant et invités
Frère du festival depuis plus qu’un bail, Florent Vollant a su transporter avec lui et briser les barrières de langue, avec ce public qui lui est fidèle. C’était un magnifique spectacle, tout simplement. Je me suis senti choyé de vivre ces moments immensément forts en émotion où l’artiste innu a performé aux côtés d’ami.e.s de longue date, de la famille. Au festival comme partout au Québec, Florent Vollant a toujours été au front pour ce peuple qui est le sien, pour la réconciliation entre tous.te.s. Et on sentait cette douceur, cette force, cette tempérance dans la prestation offerte ce jour-là.
Patrick Norman
Avec son charisme qui n’est plus à prouver, Patrick Norman vient célébrer ses 50 ans de carrière sous la toile du Grand Chapiteau. Il s’agit en effet du dernier tour de piste de l’artiste qui se retirera sous peu. Patrick Norman a su faire chanter les gens de tous âges avec ses pièces qui teintent fortement l’héritage musical québécois. N’ayant jamais été le plus grand fan de M. Norman, je me suis tout de même surpris à chantonner toutes les chansons (ou presque). J’ai eu beaucoup de plaisir à redécouvrir ces chansons qui ont tant joué dans la maison familiale, dans le camion bleu royal de mon grand-père quand je n’étais que bambin. À mes côtés, le public de Petite-Vallée était charmé de voir ou revoir ce grand homme de la musique jouer son répertoire et maîtriser une guitare comme peu. Il nous a livré une performance grandiose, à l’image de son talent. Tous.te.s semblaient satisafait.e.s et reconnaissants d’avoir pu assister à Patrick Norman dans toute sa splendeur, une dernière fois.
Q052
Ah, Q052 est assurément une de mes grandes découvertes de 2023. Il s’agit du nom de scène de Quentin Condo, originaire de Gesgapegiag, qui se sentait assurément chez lui sur la scène du Théâtre de la Vieille Forge. Oeuvrant depuis plusieurs années sur la scène rap et hip-hop, cet auteur-compositeur-interprète mi’gmag ne laisse personne indifférent avec sa prose frappante accompagnée de rythmes éclatés. Dans des textes très engagés, Q052 n’a pas peur des mots ni de faire danser tous.te.s au rythme de son groupe en puissance ce soir là. Je me suis laissé aller le fisheye un peu, fidèle à mon habitude lors de spectacles aussi énergisants.
Jour 4 : 31 juillet
Tamara Weber & Sandrine Masse
Je n’ai pas été voir beaucoup de spectacles en avant-midi durant mes quatre jours au festival. Le matin, c’est toujours peu simple pour moi de me lever, en parallèlle à mon rythme de vie nocturne. J’étais toutefois bien content d’assister ce matin-là au spectacle de deux des chansonneurs 2023, Tamara Weber & Sandrine Masse. Par leur voix douces aux multiples harmoniques, aux instruments loopés et aux quelques passages au piano d’Alphonse Bisaillon, j’ai eu un réveil fort agréable accompagné de mon éternel café noir. Un matin bien teinté de folk, de rock et de rythmiques en tous genres.
Vendôme
Connaissez-vous ça, Vendôme? C’est une question que j’ai entendu graviter dans la salle en début de spectacle où les festivaliers fidèles au poste se mélangeaient aux fans du groupe, sous le toit du Camp en chanson. Vendôme, c’est Marc-Antoine Beaudoin, Tom Chicoine, Cédrik St-Onge et Bobo Laurent. Un groupe qui rock comme il fait bon entendre. C’est explosif, dans une maîtrise des instruments et avec une énergie contagieuse que le groupe conquiert son public et donne envie à tous.t.e.s de lâcher son fou, assurément. Chose plutôt unique, il y a même eu du bodysurf dans l’antre de ce lieu mythique gaspésien. Plus tard en soirée, j’aurai la chance d’entendre quelques pièces de Vendôme en formule acoustique, dans la Shed à Léon. Pour la première fois, le festival s’offre une Shed de nuit. C’est au son de chansons de Marco Ema et de Tom Chicoine en solo ainsi que du powerband de Montréal que ce moment unique a encore une fois su charmer un grand nombre d’amateur.ice.s de musique d’ici.
La Marée du Gars du Lac
Quand un festival offre l’opportunité à un grand spectacle comme ça de voir le jour, ce serait bien mal me connaître de penser que je vais manquer ça. La Marée du Gars du Lac, merveilleusement mise en scène par Alan Côté, nous présente Ariane Roy, Caroline Savoie et Pierre Flynn présent.e.s pour jouer de leurs pièces ou de celles de l’invité d’honneur de la soirée, Gab Bouchard. C’est lui, le gars du lac et il est venu faire remuer le Théâtre de la Vieille Forge avec son groupe qui le suit en tournée. Un savant mélange de doux, de rock et de fortes amitiés, nouvellement créées suite à ce projet ou de longue date. Deux grandes artistes de la relève, un homme marquant dans la musique d’ici guidés par Bouchard, tous.te.s en parfait contrôle. Un magnifique moment que je suis complètement reconnaissant d’avoir pu vivre aux côtés des grands vents de la mer gaspésienne et du public de Petite-Vallée en admiration devant cette musique qu’iels aiment tant découvrir ou redécouvrir.
C’était beau le Festival en chanson de Petite-Vallée. J’ai fait des rencontres marquantes, qui auront chamboulé certaines choses chez moi. J’ai vu des spectacles d’artistes qui ont marqué toute ma vie. J’ai vu des spectacles d’artistes qui vont changer la scène de la musique d’ici. J’ai pu revoir des artistes pour la deuxième, la troisième fois cet été. Et voir à quel point la scène d’ici est incroyable, unique et que nous sommes chanceux de l’avoir. Préservons-la. J’ai finalement pu découvrir l’énérgie sans contredit unique entourant le festival. Les gens sont ici pour apprendre, pour découvrir, pour socialiser entre eux et avec les artistes. J’ai adoré me mêler à tout ça. La musique qui unit tous.te.s et chacun.e.s crée une proximité charmante qui rend ce festival tellement humain. Tellement beau! Je me suis fait des amis. J’ai pris des photos importantes pour moi. J’ai développé des relations professionnelles fortes. J’enregistre ce texte de fermeture en message vocal pour ne rien oublier de ce festival, ma dernière nuit sous la voûte étoilée de Cloridorme. Ces constellations qui ont su illuminer mes parcours à Petite-Vallée et autour. J’ai passé quatre jours intenses. Intensément doux, intensément incroyable et magique. Au Festival en chanson, cette année, j’ai pu entrecouper ces spectacles marquants de longues pauses de sérénité appuyé contre un bois de grève échoué sur la plage. Ça ne faisait qu’amplifier le côté unique de tout ça. J’en suis grandement reconnaissant.
La route de retour s’entame, sous le soleil quasi-éternel de la Haute-Gaspésie, un cafélimo à la main et Paper Mâché Dream Balloon qui illumine la caravane de presse, en adéquation symbiotique avec les rayons lumineux. Les discussions sont intéressantes, pertinentes. On se rappelle du festival, déjà, avec une petite nostalgie. On repense aux ami.e.s qu’on a laissé derrière, qu’on reverra au prochain festival, je l’espère. Merci, Petite-Vallée, je ne t’oublierai pas. En ayant déjà bien hâte de refouler tes berges et de me reperdre dans tes vagues musicales, les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres.