Les «aubades» de Jean Michel Blais, plaisir contagieux de l’orfèvre

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Après trois albums ( « II », « Dans ma Main », et « Matthias et Maxime »), le pianiste-compositeur revient avec « aubades », une œuvre pour laquelle il a décidé de mettre un peu moins le piano en avant, de se plonger dans l’orchestration, une première pour Jean-Michel Blais.

On nous informe qu’aubade est un terme médiéval désignant une chanson chantée à l’aube, heure ou les amoureux se quittent. L’album promet au passage d’être influencé par les textures instrumentales de la renaissance. On plonge donc du balcon, tête baissée, et on en ressort 42 minutes plus tard, ravis, émerveillés.

Dès murmures, on comprend que le piano est toujours là, pilier de l’identité de ce compositeur. Mais il est vite tassé du centre de l’attention pour donner la réplique à un ensemble qui nous accompagnera tout au long de ces 11 pièces : des vents (flûte, clarinette, hautbois, et basson il me semble) et des cordes (violons, violoncelle, alto, contrebasse).

La magie opère tout de suite, et Jean Michel Blais va nous servir ces petites scénettes avec beaucoup de plaisir. Ainsi s’enchainent la danse ludique passepieds, l’entêtante mélodie de nina, la majestueuse marche inlassable de ouessant, ou la douceur de amour.

La mélodie semble être le centre de l’attention de Blais, et les instruments s’en échangent avec beaucoup d’aisance. Le piano renvoie la balle à l’ensemble et on assiste à un jeu de passes. Souvent simple, l’idée mélodique passera d’une texture à une autre avec agilité, sans nous perdre.

C’est que l’orchestration n’est jamais pompeuse ici, le choix d’un petit ensemble et d’une prise de son intimiste empêche l’émotion d’être trop épique ou trop larmoyante. Le tout est contenu, on voyage léger parmi les peintures de ce musée. Parfois on n’est pas loin de Phillip Glass (dans yanni par exemple, avec sa mélodie répétitive à vous faire perdre le nord), on pense aussi à des compositeurs du début du XXe siècle comme Francis Poulenc (if you build it, they will come). D’autres fois, on se croirait presque en présence d’une chanson d’un autre temps, absinthe par exemple n’aurait pas dépareillé dans un enregistrement de Barbara des années 50 ou dans une partition de Michel Legrand. Ces multiples références, qui sont peut être le fruit de mon imagination, puisqu’après tout Jean-Michel Blais dit être parti d’improvisations, donnent à l’ensemble un caractère enjoué ou le plaisir de l’orchestrateur est très contagieux. Jean-Michel Blais s’amuse à installer une ambiance et à la casser aussitôt. Il joue avec l’attente de l’auditeur, on passe alors d’un souffle épique à un thème léger, d’une ambiance à l’autre avec une grande facilité.

J’admire cette capacité à rester simple, à mettre en avant les instruments d’une manière ludique. Pas de grands tourments ici, mais des choses légères, sans gravité. En agençant les timbres comme un enfant qui joue au lego, Jean-Michel Blais ouvre la porte sur un univers lumineux. On pense à un confiseur qui ferait des bonbons raffinés à l’extrême, un orfèvre œuvrant dans le petit. Chaque morceau est une mini fresque merveilleuse, chacune avec ses couleurs et son caractère propre. Saluons au passage le geste d’offrir une musique tirant ses influences dans le monde du «classique» tout en restant accessible.

Quelquefois on entend les musiciens respirer, la prise de son semble très proche. On les entend même à plusieurs reprise parler ou rire après leur take, un choix pas anodin, qui nous rappelle qu’on est en présence d’humains, de quelque chose d’humain. Le quatrième mur se brise pour notre plus grand plaisir. On sent alors l’odeur du café que les instrumentistes boiront avant leur prochaine prise, l’atmosphère qui règne semble apaisée. L’album se termine sur doux, on y retrouve le piano intime de Jean Michel Blais qu’on connait si bien.

Je ne continuerai pas l’éloge de cet album éternellement : vivez l’expérience en l’écoutant vous même. Ces 11 bijoux m’on bercé avec une douce mélancolie, et quelque chose comme un horizon souriant.

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