Natasha Kanapé Fontaine
Nui Pimuten – Je veux marcher
Théâtre du petit Champlain – 25 novembre
Jeudi soir, c’était avec émotion et face à une salle comble que la poétesse innue originaire de Pessamit nous livrait son microalbum de six chansons intitulé « Nui Pimuten I ».
Sur scène, tout se passait dans la complicité entre Natasha Kanapé Fontaine et le musicien Manuel Gasse (Guitare, piano et voix) originaire de Havre-Saint-Pierre.
La mise en scène était épurée pour mettre l’accent sur les artistes et seul l’éclairage finement exécuté venait habiller et transformer l’espace.
Dès les premières paroles dans sa langue, les larmes sont montées. Pour sa première chanson, c’est un univers in vitro océanique bleuté dans lequel Nastasha nous a bercés pour nous ramener progressivement vers le soleil.
Le jeu de représentativité des éléments par la scénographie était extrêmement bien réussi, nous vivions à chaque chanson une nouvelle étape de cette envoûtante marche au travers de la mémoire.
Une vraie mise à nu, avec ses mots poétiques, d’une telle vulnérabilité et d’une telle sincérité qu’il était bien difficile de ne pas pleurer du début à la fin.
Celle qui a fait beaucoup de chemin nous a accueillis, non pas dans une simple salle, mais bien dans son âme où elle se tenait fière d’être et cette fierté était bouleversante.
« Il est à moi le monde »
Les étrangères – Natasha Kanapé Fontaine
Comme poétesse, forestière, survivante, queer et en quête de ma propre identité, le spectacle de Natasha Kanapé Fontaine m’a secoué comme jamais. Puisque c’est un peu les femmes de ma famille que je voyais au travers de son visage. Ma sœur, ma mère et mes tantes. Une chance pour moi que ma compagne était là pour me prendre la main et des notes quand mes yeux se brouillaient.
Un spectacle et des paroles comme une nécessité, comme un acte de reconnexion avec les autres, certes, mais surtout avec soi et sa propre histoire. Elle nous a raconté avec beaucoup de résilience la mémoire comme un grand tout, plus grande que nous. Plus fort que le vivant, comme une force poétique spirituelle.
Natasha Kanapé Fontaine nous offre avec ce spectacle ce qu’il y a de plus beau, une aurore boréale dans les ténèbres, un rayon de lune ou une marche dans le bois. Dans le tambour traditionnel qu’elle frappe, ce sont nos cœurs à nous de spectateurs qui sont frappés par le cristallin de sa langue ancestrale.
Natasha nous a tenu la main au travers des tourbières, des montagnes et des forêts. Elle a remonté avec nous les cours d’eau et les rivières pour nous emmener par une danse lente et cérémoniale au plus profond du Nitassinan. À la rencontre de son peuple rieur et de l’âme du monde, traversant les saisons aux côtés des ancêtres et des littoraux qui n’en finissent plus de s’étendre à l’horizon.
La poétesse nous a entraînés frissonnant d’émotion jusque dans l’hiver, pour y suivre les traces des caribous et de Papakassik.
« J’écris des poèmes pour purifier l’espace de vos mots »
Natasha Kanapé Fontaine
Natasha Kanapé Fontaine nous a parlé de ses voyages, mais surtout des humains qu’elle a rencontrés. De la chance de voir d’autres nations comme la nation Maori (Nouvelle-Zélande) et de partager son expérience d’Innue du Québec. De pouvoir avoir accès à des peuples qui ont choisi de se réapproprier leur langue en la parlant, alors qu’elle aurait pu disparaître il y a 20, 30 ans. En hommage, elle chante avec puissance et en anglais un douloureux Where can I bleed, if I have no where to go. Where can I have a rest, where can I be a human being, where can I be Innu.
Natasha nous fait ensuite l’immense surprise d’inviter une de ces fabuleuses rencontres, le talentueux Shayne Michael venu lire pour l’occasion des extraits de son recueil « Fif et Sauvage » publié chez les Éditions Perce-Neige.
Le poète queer de la nation Wolastoqiyik a invité le public à avoir une pensée pour les femmes de notre entourage avant de partager ses mots. Un fort moment très beau et significatif. Comme une passée du flambeau pour mettre de l’avant un talent qui mérite de faire connaître sa voix.
« Nous venons tous d’une femme et l’ont doit les remercier »
Shayne Michael
La balade n’était pas terminée et Natasha nous a amené encore plus loin, chez elle, dans l’intimité de son bois et dans l’art contemporain avec l’artiste Rebecca Belmore, grande inspiration pour la poétesse. Elle nous a invités à découvrir Rebecca, une femme qui n’avait pas peur de se battre et de dénoncer les injustices envers les Premières nations, au travers d’un poème qu’elle a écrit. Elle nous a chanté doucement ce texte inspiré directement des œuvres de Rebecca Belmore.
« Je ne resterai pas une crise d’Oka, enfermée dans un livre d’histoire de toute façon»
Lames de tannage – Natasha Kanapé Fontaine
Pour la finale nous embarquons sur la route 138, nous allons sur la Basse Côte-Nord avec la chanson Horizon Trouble. Sur les dernières notes, c’est une déferlante d’applaudissements, où de nombreux visages en larmes sont visibles, pour une ovation debout très sentie.
Mais ce n’est pas tout à fait fini, puisque Natasha Kanapé Fontaine gardait une surprise de taille dans ses manches vaporeuses, comme une dernière déflagration émotionnelle avant de finir ce parcours. Elle entonne la chanson Je reste, écrite après le décès de Joyce Echaquan de la nation Atikamekw, pour que l’on pense à ses derniers moments ensemble et pour que son nom continue de nous rassembler dans le recueillement, tout comme la poésie.
Avec ce spectacle Natasha Kanapé Fontaine entame une reconstruction incroyable. Avec elle, ce n’est plus la grande noirceur, mais l’espoir hurlant comme un vent apaisant sur nos corps échoués. Puisque devant la tristesse de la langue qui disparaît comme le territoire, il y a des artistes qui se tiennent debout pour partager leur fierté, que nous puissions à notre tour la répandre comme des grains fertiles.
Pour plus de cette poétesse incroyable et de sa parole essentielle, vous pouvez vous procurer chez votre libraire indépendant ou en ligne ses excellents titres. Son dernier livre Nauetakuan, un silence pour un bruit aux éditions XYZ est officiellement disponible depuis le 3 novembre.
Son album «Nui Pimuten I» est aussi disponible à l’écoute sur Spotify ainsi qu’à l’achat sur le site de La Tribu.
Crédit Photo : Julie Artacho