Hubert Lenoir – « PICTURA DE IPSE : Musique directe »

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Dans l’histoire de l’humanité, trois ans, c’est vraiment un grain de sable dans le Sahara. Mais si vous demandez à Hubert Lenoir, il va sans doute vous répondre que c’est tout ce qu’il faut pour chambouler une vie. Voyez-vous, c’est qu’il s’en est passé des choses depuis la sortie de « Darlène » en 2018.

Le p’tit Chiasson de The Seasons avait déjà goûté au succès avec le groupe qu’il partageait avec son frère. Groupe culte à Québec, belle percée dans les Europes, ça se passait bien, mais c’était rien par rapport à l’ouragan qui allait suivre.

« Darlène », ça a été un raz-de-marée. Une vague qui est partie doucement (je me souviens encore de l’absence des grands médias à son lancement de Québec), mais qui s’est transformée en tsunami. Pas pire pour un album qui se voulait surtout la trame sonore d’un livre et d’illustrations!

Le truc, c’est qu’Hubert sort du moule. Son attitude sans compromis, sa grande fluidité (dans tous les sens), sa personnalité unique (comme toi qui me lis présentement, en passant) dérangent. On dira ce qu’on voudra, mais le Québec est encore pas mal conservateur quand il s’agit de musique. On aime les Patrice Michaud, Louis-Jean Cormier, Vincent Vallières, Klô Pelgag (pis encore, Klô est vue comme une pas pire bibitte par ben du monde). Du monde ben rassembleur, quoi.

C’est ainsi que la personne qui a passé son adolescence à se faire traiter d’Hubert Fifi-Brindacier, qui a trouvé l’art et la musique comme exutoire et qui avait enfin la chance d’être vraiment apprécié pour ce qu’il était a reçu ben de la marde. Montrer une grosse fleur de lys sur la hanche à La Wâ? De la marde. Jouer lascivement avec un saxophone? De la marde. Faire un blow job à un trophée? Encore de la marde. Affirmer que ça va pas si bien et qu’il aimerait se crisser en feu, des fois? Rarement vu autant de haine alors qu’on aurait dû lui demander si on pouvait faire quelque chose pour l’aider.

Ce long préambule, c’est pas juste une « défense » d’Hubert, un être humain affable, drôle, curieux et mauditement observateur, mais surtout une personne extrêmement sensible qui a un coeur gros comme l’arrondissement de Beauport. C’est surtout une mise en contexte fort importante, parce que tout ça explique un peu le propos de « PICTURA DE IPSE : Musique directe », un deuxième premier album (« Darlène » est une trame sonore, remember?) réalisé par Hubert lui-même et aussi cru que personnel. Une oeuvre importante dans notre paysage qui comporte son lot de malaises bien placés.

Pendant ces trois dernières années, Hubert s’est promené un peu partout (quand il le pouvait) en enregistrant plein de trucs sur son téléphone. Et quand je dis « plein de trucs », c’est parce que c’est vrai : des conversations, des commentaires, des berceuses (on y reviendra), des freestyles, tout y passe. Il a conservé tout ça précieusement, un peu comme des notes qu’un autre artiste aurait consignées dans son calepin.

Ça lui a donné une idée : pourquoi pas faire musicalement ce que Pierre Perreault avait fait au cinéma? Perreault allait partout, caméra à l’épaule. Hubert allait faire de même, le cell dans la main. Documenter sa vie, ses émotions, ses bons et ses mauvais moments. Et s’en servir à profusion dans ses chansons, pendant qu’il se promène de Québec à Paris et à Montréal avant de revenir à Québec.

C’est pas la première fois qu’Hubert s’inspire du cinéma pour faire de la musique. À l’époque, j’avais glissé quelques mots sur l’aspect cinématographique de « Darlène ». Mais au lieu d’une production qui rappelle un film à grand déploiement, « PICTURA DE IPSE » est une oeuvre beaucoup plus rugueuse, plus ancrée sur des sentiments réels.

On n’a qu’à penser à 9 h 42 Nouvel enregistrement, un collage de sons qu’il a tous enregistrés, sauf un, qui a été enregistré à son insu par Noémie, sa meilleure amie pendant qu’il lui chantait une berceuse. Un truc qui semble tout à fait improvisé, mais tu sens l’émotion quand il chante « Mais t’as l’air de quelqu’un qui pourrait apprécier le fait que j’suis pas quelqu’un d’ordinaire ». Comprendre ici « quelqu’un de différent ».

Différent comme dans Secret, une chanson inspirée par le kick qu’Hubert avait sur son meilleur ami au secondaire. Un kick qu’il n’avait jamais dévoilé par peur de gâcher sa vie au complet. Un kick qui ne pouvait pas être valide, « ma psycho m’a dit que c’était juste une phase ». Différent comme dans 418 wOo, où s’entremêlent musique jazz tantôt cacophonique, tantôt juste assez douce, et des conversations qu’Hubert a enregistrées. Sur la haine, entre autres, comme celle véhiculée par notre sympathique animateur de radio-vidange sur uber lenoir, c’est confirmé.

La réplique d’Hubert vient dans les deux chansons suivantes. La première, Quatre quarts, est aussi exubérante que Lenoir sur une scène. Grosse pop dansante avec trois ou quatre couches de synthés ben ben funk. La deuxième, Dimanche soir (produite avec High Klassified), avec sa grosse vibe hip hop, est beaucoup plus intimiste. D’un côté, le Mister Hyde qui enflamme la scène. De l’autre, un Dr. Jeckyll qui sent le roussi.

Et c’est comme ça que se termine la première partie. Hop! On prend l’avion vers Paris! Pour passer le temps, Hubert et CRABE se lancent dans un extrait vraiment déjanté de Tout écartillé, de Robert Charlebois. CARBE reviendra plus tard pour d’autres beaux voyages qui sont autant de belles lettres d’amour au gars ordinaire qui n’est qu’un chanteur populaire.

Le séjour à Paris n’est pas très long, mais il est coloré. Sur Octembre, Hubert invite l’artiste française Bonnie Banane à lui donner la réplique. Ça donne une pièce sexy qui dégage énormément de chaleur, un savoureux mélange de pop, de hip hop et de R n B, du gros fun qui donne envie de danser. C’est suivi par Hula Hoop, une pièce minimaliste où on s’émeut devant la beauté toute simple du texte. « J’mesure 5’6″, juste assez pour toucher mon destin du bout de mes doigts. » Scuse, j’trouve ça brillant.

De son côté, le séjour à Montréal semble beaucoup plus lourd. Il y est beaucoup question d’identité, en tout cas, c’est ce qu’on peut ressentir en écoutant Mtl Style Libre, un genre de freestyle qui parle pas mal de mort. Quand on vous parle de moment de malaise, en vlà un, et il est lourd, parce que la réflexion qui compose les textes de cette pièce, on est plusieurs à l’avoir déjà eue, même si c’était pas mal moins poétique. Heureusement, les deux parties de Ville-Marie (a et b) sont beaucoup plus légères. Funky en sale. Si on ne vous l’avait pas déjà dit, y’a du Prince en masse chez Hubert.

Et c’est là qu’on arrive à mon bout préféré de « PICTURA DE IPSE ». Le retour à la maison. La pop irrésistible de Boi. Chaude. Bouncy. Un peu de lumière après toute cette ombre. Golden Days. Un peu plus dure dans son propos, mais probablement la pièce que j’ai le plus hâte d’entendre live. Je me souviens d’avoir déjà entendu Sucre + Sel en spectacle. Un gros « OK BOOMER ». Un gros fuck you à la rigidité. Un gros statement identitaire. Celle d’Hubert, qui est complètement valide. Non, c’était pas juste une Phase.

Avec f.p.b., Hubert se permet une finale toute en douceur et en vulnérabilité. Les gros respirs. Le son cacanne qui s’améliore juste à temps pour entendre clairement « On va mourir ensemble pis ce sera fini pour de bon ». Juste à temps pour qu’on pogne le motton.

Je m’en voudrais de ne pas souligner l’apport des nombreuses personnes qui ont collaboré à l’enregistrement de cet album : En plus de High Klassified, Bonnie Banane, CBRAE et Noémie D. Leclerc, on retrouve aussi le roi des chilleurs Mac DeMarco, ainsi que Félix Petit, Kirin J. Callinan et Gabriel Desjardins, entre autres.

Cette musique directe dont parle Hubert, elle n’était pas toujours belle. Elle n’était pas toujours propre. Mais à chaque écoute, y’a pas un morceau qui m’a laissé froid. Pourquoi est-ce qu’on est si méchants avec la différence? Pourquoi faudrait-il qu’on soit tous pareil? Crisse, y’a pas juste la crème glacée à la vanille! (J’aime pas mal la napolitaine…)

Je comprends mieux pourquoi Hubert nous demande de l’écouter à plus d’une reprise. « PICTURA DE IPSE » ne fait pas que divertir (et il est divertissant!). C’est une belle occasion d’entreprendre une grande réflexion sur notre rapport à l’art, à la culture, au divertissement. À la différence. À la fluidité qui n’est pas juste une phase. À l’amour. Avec un petit a et un grand A. À l’isolement. À l’intimidation qu’on fait vivre à du monde qui ne nous a rien demandé.

J’pense qu’on doit bien ça à cette oeuvre. Elle n’est pas faite pour plaire à tous. Elle n’est pas pleine de LA LA LA LA qu’on va pouvoir chanter en choeur en show. Elle est juste pleine de moments où on se dit « Oh, j’ai déjà vécu ça! » (c’est pas le fun). Et d’autres où on se dit « Calice, j’ai déjà fait ça! C’était pas cool. »

La musique directe va peut-être faire un peu mal, mais dans quelques années, avec le recul nécessaire, on va sûrement se dire qu’elle nous aura permis de faire quelques pas en avant. Thank Hubert Lenoir for that.

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