Pêle-mêle
(Chivi Chivi)
Ô combien je me sens privilégié de vous parler du premier album de Valence, ce doux bordel intitulé « Pêle-mêle ». Privilégié parce que j’ai vu ce projet de Vincent Dufour naître presque sous mes yeux. Parce que j’ai vu le premier show au Palais Montcalm, en première partie d’une Emilie Kahn qui s’est un peu fait voler la vedette. Parce que Vincent s’est entouré d’une équipe toute étoile composée de quelques-uns des musiciens les plus cools de la ville. Parce qu’on a vu ce projet-là grandir lentement jusqu’aux Francouvertes, où il a remporté le premier prix devant… Ariane Roy et Narcisse (deux autres projets de Québec, ça mérite d’être souligné). Parce que chaque fois que Vincent et sa gang sortaient une nouvelle toune, notre coeur fondait.
Bref, y’a de la grosse hype autour de Valence, mais est-ce que tout ça est justifié? Est-ce que cette belle balloune va se dégonfler dans la plus totale des indifférences, ou bedon on tient entre nos mains un des plus beaux albums d’une année riche en galettes savoureuses?
En tout cas, ça commence fort. Très fort. Valence nous sert une combinaison gauche-droite-gauche rythmée qui donne le goût de se lever de son siège et de se bouger le derrière.
La jouissive America est toute simple. Entraînante, accrocheuse, pleine de guitares un peu fofolles, et la voix d’Ariane Roy qui se marie à merveille à celle de Vincent. Après cette petite incursion dans les années 1960, on a droit à la doucement funky La vie attend pas, et c’est là qu’on commence à vraiment apprécier toute la richesse des arrangements qu’on trouve dans les chansons de la formation. Les claviers, les percus, la basse beaucoup trop groovy d’Alexis Taillon-Pellerin, la flûte au loin, les effets de voix, tout ça nous donne une paëlla savoureuse préparée avec amour, en respectant le produit. Rosier a elle aussi beaucoup de rythme, mais on commence à sentir pointer une douce mélancolie, un brin de tristesse et de résignation bien sentie non seulement dans la voix de Vincent, mais dans le côté réconfortant de l’instrumentation. Et il y a surtout ce refrain qui se grave dans nos cortex pour ne plus jamais en sortir, un peu parce que ces excuses récitées comme un mantra ont l’air un peu trop sincères pour qu’on les écoute tout en restant indifférent.e.
So so sorry
J’ai craqué, j’ai menti
Pour des fleurs et des prix
So sorrySo so sorry
Valence – Rosier
J’ai menti, j’ai gagné
Que des fleurs, aucun fruit
So sorry
À partir de Didi, l’album change de ton, prenant un tournant un peu plus introspectif. Le rythme ralentit, la voix de Vincent s’adoucit, le saxophone et la flûte d’Antoine Bourque remplissent l’espace, et on se ramasse avec un gros slow inspiré de la chanson pop française des années 1970-1980. Une grosse tartinade bien cheezy comme je les aime.
On l’avait entendue en simple, mais faut revenir à Jamais (j’aurais pensé) et son groove irrésistible de ballade de fin de soirée tout à fait dans l’air du temps. J’adore le flow de Vincent ici, un phrasé plutôt hip-hop qui fitte avec celui de Les Louanges ou Hubert Lenoir (vous allez comprendre ce que je veux dire la semaine prochaine).
C’est un peu ce que j’aime, ici. Un peu comme sur le EP Cristobal Cartel, Valence ne se contente pas de jouer sur la nostalgie, puisant certes son inspiration un peu partout, mais avec la qualité de la coréalisation de Vincent et de Steeven Chouinard (Le Couleur), où tout sonne juste à sa place, on a une oeuvre résolument moderne qui a sa propre sonorité. Par exemple, l’instrumentale Perfektenschlag me rappelle clairement quelque chose, j’entends un peu de Pink Floyd dans la batterie très précise d’Aubert Gendron-Marsolais et dans la pedal steel de Raphaël Laliberté-Desgagnés, mais en même temps, tout ça fait aussi partie du son pop un peu jazzy que Vincent et ses amis ont bâti ces deux dernières années.
Là, techniquement, c’est le bout où j’essaierais de boucler ma critique en faisant un petit paragraphe de rien du tout sur les quatre dernières tounes, mais y’a un problème : la maudite pièce-titre mérite qu’on passe un moment à en parler. Un peu comme Didi, c’est doux et mélancolique (ça l’est même un peu plus), Vincent marmonne autant qu’il chante, tout vulnérable qu’il est là-dessus, et Antoine Bourque me réchauffe le coeur avec sa flûte magique. Le texte est superbe, probablement un des plus beaux que j’ai entendus/lus de la part de Vincent (fait un bout qu’on sait qu’il a une pas pire plume, le jeune homme).
Pêle-mêle, tu cherches des plantes dans mes placards
Valence – Pêle-mêle
Mais moi, y’a rien qui pousse, fait ben trop noir
Après une autre belle pièce tout en douceur (Le miracle du soleil victorien), on a droit une petite surprise avant la pièce de clôture, une Interlude (so-to-oh-oh-oh-oh) qui commence doucement, mais qui gagne constamment en intensité au fil de ses courtes 2 minutes 14, et qui offre, comme ça, juste avant la fin, un petit moment de catharsis qui fait du bien. Et on retourne à un peu de douceur pour finir l’album avec Entre deux et à son texte doux et lumineux. Avec la naïveté de celui ou celle qui veut encore y croire même après quelques amères déceptions.
Un beau voyage qui pourrait être un peu surprenant pour certain.es. Après la pop pleine d’énergie des trois premières chansons, le tempo ralentit considérablement, et on tombe dans un soft-rock plutôt atmosphérique et introspectif qui ne ressemble pas tout à fait à ce qu’on aurait pu s’attendre. C’est un peu comme si on avait mis toutes les explosions d’un film dans sa bande-annonce, mais que celui-ci était finalement une comédie dramatique romantique super intéressante qui mériterait un Oscar pour son intrigue, le jeu des comédiens et la réalisation impeccables. C’est pas tout à fait ce qu’on semblait nous promettre, mais c’est bon en titi.
Finalement, on nous fait venir pour le punch d’America, mais on nous fait rester pour la grande sensibilité de Vincent dans Didi. Mon genre de fausse représentation.
C’est pas une balloune, c’est un soleil qui se lève.