Alexandra Lost
(Pantoum Records)
Le duo casimirien Alexandra Lost nous a offert à la fin de la semaine dernière son tout premier album complet, un album pop de fin de printemps rempli de mélodies accrocheuses, de rythmes dansants et de sonorités intemporelles qui plairont autant aux fans de la synth-pop des années 1980 qu’aux personnes qui trippent sur le métissage des genres d’aujourd’hui.
Sur chacune des chansons de cet album, Jane Ehrhardt et Simon Paradis ont pris soin d’installer des atmosphères accessibles à tous tout en repoussant leurs propres limites quelques kilomètres plus loin. Tout ça en portant une attention toute particulière à la qualité des textes qui nous rappellent les racines singer-songwriter du duo.
Évidemment, nous avons écouté attentivement la proposition d’Alexandra Lost. Seulement, au lieu de faire le tour de l’album en 250 mots, on vous invite aujourd’hui à faire le tour de cette fort jolie galette, une chanson à la fois, en faisant un brin d’interprétation…
Fleeting Dance
Sur Fleeting Dance, Jane et Simon énoncent leurs intentions : nous faire danser sur un bon beat et faire travailler nos neurones avec une poésie qui impose le rythme.
Ça commence lentement avec un synthé et des beats électros, jusqu’à ce que les riffs d’Hugo LeMalt se fassent entendre quelques instants. Puis… rien d’autre que la voix de Jane et un piano au premier couplet.
Your brain is overworked
And your heart is undersung
Trudging down a well-worn path
No currency in love
An instant of surrender
A whisper rises to above
Thoughts colliding through the mask
Colluding with the glove
Pas facile, la vie de jeune adulte, hein? Ça serait un brin dépriment si le refrain ne prenait pas une toute autre direction. Laisse-toé aller un petit instant, le temps de déstresser. De toute façon, t’as pas le choix. Le beat te rentre dans les oreilles à un rythme juste assez langoureux pour que t’aies envie de te déhancher un peu. Les synthétiseurs sont juste assez sucrés pour te sacrer un sourire dans la face. Et la voix chaude de Jane, appuyée celle toute subtile de Kim Drouin-Radcliffe, vient t’enlever le peu de résistance qu’il te restait.
Ne reste plus qu’à danser de façon éphémère, le temps de prendre une pause avant de retourner dans cet engrenage sans fin qu’est la vie.
Yarrow + Modern Feelings
Yarrow ne dure que quelques secondes, mais elle a toute sa place ici à titre de mise en bouche pour la pièce suivante. On y entend des bruits qu’on n’a pas entendus depuis un christie de bout : du monde qui a du fun, des pétards… tout pour se sentir triste et seul dans son coin. Le violon de Claude Amar vient ajouter une touche de mélancolie bien sentie.
Puis tout à coup, après ces quelques coups d’archet, le fun commence vraiment avec Modern Feelings.
Dès le début de la chanson, on n’a envie que d’une seule chose : passer son permis, s’acheter un char, monter dedans, baisser la fenêtre et monter le son au maximum en roulant pépère vers le soleil, ou du moins quelque part où il fait beau. C’est exactement la solution que propose le duo dans cette chanson : le fardeau est plus facile à traîner quand tu te bouges le derrière.
We’ll march over finish lines
We’ll sleep underneath the pines
We’ll give faces to all of the nameless
The blameless
Le rythme doucement funky, les synthés sucrés à fond, Jane qui chante avec légèreté, le solo enjoué de Jean-Michel Letendre-Veilleux, tout est tellement lumineux qu’on sort les lunettes de soleil.
Trying 2 Grow
Trying 2 Grow, c’est le morceau très introspectif de l’album, de la maudite belle soul-pop qui fait un parallèle entre le fait d’avoir du mal avec le jardinage et la difficulté à entretenir ses propres émotions. Accompagnée aux chœurs par Sarahjane Johnston, Jane commence de façon presque détachée pour ensuite y aller avec le « cri du cœur » de quelqu’un qui tente de se réveiller de son rêve.
I’ve been trying to wake up
From this dream I had
I get so close to the border
And then I’m always running back
À la toute fin de la chanson, on a encore l’impression de se trouver dans un lieu public avec plein de monde… et on écoute une version pas mal plus enjouée de Trying 2 Grow. Un petit interlude musical qui rappelle un peu ce qu’on pouvait entendre au début de Charognards sur le dernier Anatole, en y allant à la fin de la pièce plutôt qu’au début.
Molly
You and I
You and I alone
So alone!
Celle-là, c’est la pièce qu’on met dans nos playlists d’entraînement. Du gros new wave funky avec Cédric Martel qui s’énerve joyeusement sur sa basse. Un gros sentiment d’urgence transpire des rythmes et de la mélodie de cette pièce où le temps joue un gros rôle.
Probablement le morceau le plus eighties de l’album. J’ai même eu une pensée pour Cyndi Lauper (sur qui votre pas très humble serviteur avait un gros crush pendant son adolescence, mais dites-le pas trop fort!).
A Good Thing
Un autre morceau fait pour les ballades en auto, les vitres baissées, les cheveux au vent. Sur A Good Thing, c’est samedi soir, et on a envie de faire n’importe quoi d’intéressant pour s’évader (cette envie d’évasion est pas mal récurrente sur l’album, vous trouvez pas?).
Ici, Jane et Simon ont opté pour la simplicité et la subtilité. Les couches de synthé sont d’une grande sobriété, tout comme la batterie de Jean-Étienne Collin-Marcoux. Le résultat? Un morceau aussi ancré dans le moment présent que le précédent était inspiré des années 1980. On y reconnaît là de nombreux éléments de l’indie pop un brin atmosphérique qui a bercé la dernière décennie, et c’est tout à fait réussi.
She’ll get along just fine
But she’s not who you thought
You would find
No she’s not who you thought
You would find
She’s way the hell up here
And you’re so far behind
June
La première fois que j’ai entendu June, j’ai entendu tous ces morceaux d’électro-pop atmosphérique avec une grosse touche de R n’ B qui a envahi nos écouteurs au cours des dernières années, et que ce morceau, c’était comme le sommet. Le phrasé rythmé, mais doux, de Jane est sublime, les claquements de doigts pour marquer le beat sont parfaitement suffisants.
Pis le violon de Claude est à brailler, crisse.
Toute cette sobriété est mise au service du texte, probablement un des plus beaux de l’album. On reconnaît beaucoup de monde ici qui a du mal à joindre les deux bouts, à concilier vie professionnelle et responsabilités familiales, à se rendre compte qu’on est pas mal tombé dans le même pattern de marde que nos parents.
You watched your mama she did just the same
While your daddy he was just a name
You heard her curse it as the darkness grew
It chewed her up and then it came for you
Je connais tellement de monde qui sont partis de la maison jeunes pour tenter de briser le cercle vicieux dans lequel ils étaient pris. Une mère qui travaille 60 heures par semaine, un père absent (au mieux). Quand ils sont partis, ils sont partis avec le bagage qu’ils avaient. Peu d’argent, pas de diplôme en poche, une liberté difficile à assumer, un besoin d’attention, d’affection, qui les poussait à commettre les mêmes erreurs que leurs parents. Des brosses mémorables qui ont laissé des marques indélébiles neuf mois plus tard. Des pères inconnus.
Surtout, l’irréparable, commis un peu plus tard, quand on finit par croire que c’est la seule façon de briser le cercle.
Le genre de moment rempli de sensibilité qui me rappelle pourquoi j’aime tant la musique.
Blue Line
Blue line
We’re riding on the blue line
Tout le monde à bord, on s’en va faire un tour sur la ligne bleue, la ligne la plus funky du réseau casimirien! Chaque fois qu’on entend cette pièce, on a envie de sortir la boule disco et ses paillettes, de se mettre en rangs espacés (comme à l’école, ces temps-ci), et de danser la chorégraphie la plus déjantée qui soit.
J’aurais beau essayer de vous décrire le morceau davantage, je ne serais pas vraiment capable, parce que celui-ci se vit, se sent, se danse. On monte dans le train. Tout simplement.
Cut & Paste
On souhaite à tout le monde de trouver sa Grace, avec qui tout devient chill. On chante trop fort, on ne suit pas les consignes? Pas grave, le soleil illumine ta Grace et, par le fait même, ton propre coeur.
Cut and paste
A summer day
Mend this night
With your moments of Grace
Parce que Grace, c’est ta blonde qui ne s’en fait pas si les enfants vont jouer trop loin au lac. C’est ton meilleur ami qui n’a qu’à t’envoyer un sourire pour que tu te sentes le courage d’affronter tout ce qui te fait peur. C’est le petit moment de bonheur qui te fait oublier tous tes soucis. C’est ce moment tout simple où Choses Sauvages et New Order se succèdent sur ta playlist.
Grace, c’est ce qui te fait te sentir bien.
Comme cette chanson très hop-la-vie.
The Abyss (Personne ne sait)
L’album se termine avec ce morceau downtempo, qui commence très doucement, mais où les arrangements de synthés prennent de l’intensité au fil des mesures. Une chanson de fin de soirée, un slow collé collé où on tente ensemble de résister à la grisaille qui remplace lentement la lumière du soleil.
Between the night and the day
Slip from the light to the grey
Ça se termine avec Simon, qui sort sa voix la plus « Richard Wright » (sorry pour la référence à Pink Floyd) pour nous rappeler que « Personne ne sait si l’enfer est sur terre ».
Cet album, c’est du gros travail. En duo, tout d’abord. Tout est si bien soigné et réfléchi, comme un jeu de Tetris où on a bien placé tous les blocs pour faire des Tetris chaque fois qu’une longue barre apparaît. Les arrangements sont soignés. La prise de son en ferait rougir plus d’un pas mal plus organisé. Les mélodies sont taillées au millipoil près. Les textes sont très imagés et comme dans toute bonne oeuvre artistique, permettent à l’auditeur de se les approprier et d’en faire leur propre interprétation, même lorsque tout est clair comme de l’eau de roche.
C’est aussi du gros travail d’équipe. Y’a un paquet de collaborateurs sur l’album, et chacun vient apporter une petite touche de magie, que ce soit avec sa voix, son violon, son triangle ou son harmonica (ben non Ulysse Ruel, j’allais pas t’oublier).
C’est un album d’été qui s’écoute avec un pichet de sangria OU en train de rouler sa vie vers absolument nowhere.
On vous le recommande chaleureusement.