La place des fxmmes – Fria Moeras, artiste et technicienne

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Cette chronique met en lumière les fxmmes que l’on croise à travers les scènes locales. Il suffit de se balader dans les spectacles et les festivals pour se rendre compte que la parité homme-femme s’atteint doucement. Que celles-ci soient techniciennes, artistes, journalistes ou agentes, ces fxmmes représentent une évolution notable et positive dans l’industrie musicale d’aujourd’hui.

Cette chronique se veut inclusive, nous utiliserons donc le terme alternatif fxmmes pour désigner les femmes cis et trans, les personnes non-binaires, les personnes bi-spirituelles et en particulier celles et ceux qui proviennent des minorités visibles, dans une perspective d’intersectionnalité.

Frédérique Anne a.k.a Fria Moeras est auteure, compositrice et interprète, mais aussi technicienne de scène. Conciliant la création et la technique, Fria s’adonne à jongler des deux bords du milieu de la musique d’ici.

C’est d’ailleurs avec elle que m’est venue l’idée de cette chronique, au détour d’une discussion de fin de show, à exposer nos ressentis face à la place que prenaient nos genres dans l’équation de nos parcours.

Comment es-tu devenue technicienne de scène ?

C’est drôle, car mon parcours de technicienne est exactement le même parcours que j’ai eu en tant que musicienne. J’ai toujours eu l’habitude de suivre mon père. Lorsque j’étais jeune, il travaillait pour la compagnie Action (qui a été rachetée par Solotech aujourd’hui). Quand on organisait des spectacles à mon école primaire, il venait s’occuper du son. Je l’aidais à tout monter et parfois j’allais à des gigs avec lui. J’ai toujours eu les deux pieds dans la technique.

Il m’a fait entrer à l’IATSE lorsque j’ai eu 18 ans.

Le IATSE est un syndicat de l’industrie musicale et cinématographique au Canada. Cette structure permet d’avoir des équipes techniques prêtes à couvrir les spectacles du Québec. Ils aident aussi les techniciens de scène de groupes internationaux.

J’étais dans mon univers, mais je me suis dirigée vers la vidéo, la seule technique que mon père ne connaissait pas (rires), ce qui m’a permis de tenir la caméra dans plusieurs shows.

En quoi consiste ton travail de technicienne en général ?

Comme je travaille à l’IATSE, mes tâches vont être différentes selon les salles où je vais être affectée.

Par exemple, je peux être envoyée au Centre Vidéotron. Là-bas, c’est des grosses tournées, donc on va être là pour aider les techniciens du show, on fait ça dans des temps records parce qu’on monte le matin, le show a lieu le soir et on démonte tout de suite après. C’est le côté un peu plus robot de ma job.

Parfois, je peux être dans le hall du palais Montcalm à être technicienne de son pour des violonistes ou je peux être appelée pour monter une toile dans une salle. Ça m’amène aussi à gérer les spots pendant les shows.

En soi, je suis vraiment versatile en tant que technicienne, car je touche au son, à la vidéo et aussi au montage des spectacles. De plus, c’est un domaine où il y a vraiment besoin de monde, donc le fait de pouvoir m’adapter à toutes sortes de tâches, ça aide beaucoup.

Que ce soit en tant qu’artiste ou technicienne, sens-tu une différence de traitement entre toi et tes collègues hommes ?

C’est sûr qu’à travers mes contrats en tant que technicienne, je me suis rendue compte que chaque pays avait sa manière de traiter les femmes. Je peux tomber sur des gars qui ne veulent pas m’adresser la parole, et qui ne me donnent même pas le droit de toucher aux câbles ou au tape électrique. Puis, je peux tomber sur des hommes trop smath avec lesquels la situation devient malaisante très rapidement.

Je suis aussi vraiment fâchée quand on me dit : Tu fais de la guit comme un gars ! C’est quoi cette référence ? Tsé mon chum joue moins bien de la guitare que moi ! (rires) Un gars qui joue de la guit c’est Jimi Hendrix, mais une fille qui joue de la guit c’est Courtney Love ? Voyons donc !

En soit, j’aimerais juste être traitée comme on traite les gars en général, pas qu’on fasse de mon genre un sujet.

Comment t’organises-tu lorsque tu crées ta musique ?

C’est une question de feeling, c’est comme vis ta vie vis ta vinaigrette (rires). En soi, ça vient comme ça vient. Ça va souvent commencer par une phrase qui m’interpelle. J’ai beaucoup de cahiers avec des mots et des phrases. Ces derniers jours j’ai retrouvé une note qui disait : C’est à quel âge qu’on a le droit de conduire un corbillard ?

Je vais piner ma phrase sur un tableau et je vais jouer de la guitare puis voir ce qui se passe.

C’est comme un casse-tête intuitif, c’est mêlé, mais ça a quand même du sens à la fin.

En parlant de casse-tête, quels seraient les quatre coins de ton puzzle de création ?

Beau challenge ! Je dirais que le premier coin serait un mot. Puis, le deuxième, le champ lexical de ce mot. Ensuite, le troisième serait une phrase, puis une pof et un riff pour le quatrième ! (rires) Et l’étape suivante, c’est lorsque je vire les autres pièces de bord pour voir ce qui fonctionne.

Et voilà, ça me donne les bases d’une toune.

Si tu avais une œuvre musicale à citer qui a forgé l’artiste que tu es maintenant, laquelle serait-elle ?

Dans la vie, j’ai deux grandes inspirations musicales qui sont Jean Leloup et Frank Zappa. L’album « Le Dôme » de Jean Leloup est une immense révélation. De plus, j’ai ce souvenir où je découvre le disque dans la collection de mon père, rangé dans une caisse de lait. Il m’a vraiment foudroyé du regard. La pochette était belle avec la grosse fleur et le dude en noir et blanc un peu bum avec son veston.

Cet album-là, de A à Z, c’est un pur délice. Il y a tout à l’intérieur, du folk, du grunge, même quelques notes de reggae.

Qu’est-ce que tu penses de l’expression « musique de filles » ? Est-ce que tu as vu une différence dans les styles de musique faits par les fxmmes aujourd’hui ?

Oui et c’est une idée dont j’essaye de me défaire. C’est un cheminement qui n’est pas totalement terminé d’ailleurs. Quand j’ai commencé, les filles qu’on voyait le plus étaient dans la folk avec une guitare acoustique. J’avais pour référence Les Sœurs Boulay et le premier album de Klô Pelgag. Donc, j’ai commencé à aller dans cette direction, je faisais des affaires molos, qui fonctionnaient bien. Puis mon père m’a dit : « C’est n’est pas toi ce genre de musique là ». Et c’est vrai que je me suis aperçue que j’avais plus d’affection à jouer du gros rock ou un blues plus facilement que du folk. Même si c’est un style que j’affectionne toujours, je m’y retrouve moins aujourd’hui.

Maintenant, j’essaye le plus possible de me détacher de cette image de fille relax, gentille pour retrouver LA Fria que je suis vraiment. C’est un gros challenge, car il faut que je déroge aux choses qui m’ont influencée avant, mais c’est nécessaire. Puis aujourd’hui, la relève fxmmes est si forte au Québec. Même si y’en a toujours eu, c’était peut-être trop underground. Là on les voit de plus en plus, puis clairement, la plupart botte des fesses, genre Marie Gold et Lydia Képinski, elles sont tu bien badass!

Quel conseil donnerais-tu à des filles voulant se lancer de près ou de loin dans la scène québécoise ? Que ce soit en technique ou en tant qu’artiste.

Je dirais que personnellement dans la vie, j’ai pas voulu me prendre des coups de pied dans les fesses, j’ai choisi de les donner. Il faut vraiment mettre son pied à terre, et dire haut et fort : « Je suis là, c’est ma place. » Il faut être ferme pour pouvoir être respecté.

En tant que technicienne si j’avais pas mis mon pied à terre, on m’aurait traitée de bébé assez facilement.

Comment vois-tu l’avenir des femmes en musique ?

Pour vrai, je ne pense pas que ça puisse mal aller. Puis, c’est sûr qu’en voyant toutes ces fxmmes qui peuvent servir de modèles aux filles, ça les inspirera et elles pourront se dire qu’elles aussi peuvent avoir l’énergie de le faire et ça donnera naissance à de plus en plus d’équipes et d’artistes femmes !

Vous pouvez retrouver la musique de Fria sur son Bandcamp : https://fria-moeras.bandcamp.com/

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