Quelques artistes québécois préparent leur concert pour une tournée donnée en réfléchissant à l’ordre des chansons et à la cohésion entre celles-ci; ils s’en tiennent ensuite à ce canevas pour le reste de la tournée, même s’ils passent plusieurs fois dans une même ville. C’est tout à fait louable, mais en même temps, si je suis retourné voir Fred Fortin une troisième fois cette année, c’est justement parce que je savais que je passerais une soirée unique avec un concert sensiblement différent de ce qu’il m’avait été donné de voir cet été.
L’équipe de production à l’Anti avait élevé la scène pour que tout un chacun puisse bien apprécier la virtuosité de l’artiste du Lac-Saint-Jean qui joue assis en raison de la formule homme-orchestre. Fortin s’est présenté sous les applaudissements nourris de la foule, interprétant d’abord les excellentes Bobbie, 10$ et Oiseau. Fortin naviguera à travers son répertoire toute la soirée durant avec une aisance déconcertante, jouant des pièces souvent complexes à la guitare tout en y ajoutant de la batterie et de l’harmonica. Refusant la facilité, l’artiste a ouvert la porte à des demandes spéciales, et peu d’entre-elles semblaient être à son épreuve. Il a ainsi interprété des demandes telles que Molly, Chaouin, Conconne, Que je t’étranglerai ainsi qu’une superbe version de Châteaubriand; une pièce qu’on ne pensait pas entendre en formule solo, mais qui a été interprétée avec virtuosité. Il a prouvé qu’il y avait peu de choses à son épreuve. C’est seulement lorsqu’on lui a demandé Wéginald qu’il a décliné, mentionnant qu’en 2018, on ne peut plus vraiment chanter ça: « J’étais jeune et naïf à c’t’époque là! »
Il a terminé son concert avec un trio de chansons fuzzées, toutes issues de « Plastrer la lune », album qui a d’ailleurs eu une belle part de représentativité lors de ce spectacle. C’est ainsi que Fred a balancé à grand coup de riffs Dollorama, Massacre à l’harmonica et Mumu, ajoutant même à cette dernière un long segment de Radio Friendly Unit Shifter de Nirvana… du bonbon! Cette soirée exceptionnelle s’est conclue lors d’un rappel à la sauce Gros Mené avec L’Amour à l’échelle 1/60 et Ski-doo avant d’entonner la désormais classique Ultramarr en guise d’épilogue.
Quel privilège immense de passer une soirée dans l’univers de cet artiste majeur! Son aisance, sa virtuosité et la profondeur de son répertoire font de ce spectacle un incontournable. Sa tournée full-band était solide, mais graduellement, les chansons avaient tendance à s’étirer dans de longues improvisations, laissant moins de place aux autres issues des albums précédents. Nous avons cette fois le bonheur d’avoir un équilibre entre les chansons récentes issues de l’incontournable « Ultramarr » et celles provenant des autres piliers de sa discographie. En attendant la prochaine série de concerts, il semble que Fortin préparera un nouvel album pour 2019. Nous sommes assurément prêts pour le prochain chapitre de cette grande histoire…