Si, comme nous, vous êtes des gros fans des Hôtesses d’Hilaire, votre année 2018 a été excellente. Tout d’abord, la publication de cette double galette intitulée « Viens avec moi » a été bien reçue par le public et la critique (dont notre Mary nationale). Puis, nos coeurs ont battu très fort quand on a annoncé que cet album façonné comme un opéra rock allait justement être présenté sur scène comme il se doit.
Comme il se doit : plus grand que nature, comme le leader des Hôtesses, Serge Brideau.
Cet album double déjà un peu cinglé (une épopée auditive qui dure une heure vingt et qui ne prend tout son sens que s’il est écouté du début à la fin) nous racontait avec beaucoup de couleurs l’ascension parallèle de deux artistes vers une gloire qui changera complètement leurs vies respectives.
On ne pouvait pas se contenter de coucher « Viens avec moi » sur disque. Cet opéra rock devait être joué devant public. Pour ce faire, les Hôtesses ont fait appel aux services du Théâtre du Futur (Navet Confit, Olivier Morin et Guillaume Tremblay), qui a assuré la mise en scène. On nous avait promis des artistes invités, des comédiens pis un dispositif scénique. Gâtés nous fûmes par la présence des Hay Babies (qui avaient une cohésion telle qu’elles ne faisaient qu’une), d’Anna Frances Meyer (qui valait le coût du billet à elle seule dans son rôle de Julia, gérante de rêve), des musiciens Mathieu Pelgag et Jonathan Bigras, de Robin Joel Cool (de Mentana, qui joue le rôle de Kevin, candidat à Pousse ta note, avec une justesse fort appréciable), de la voix de Lucien Francoeur (le rockeur sage) et de Diane Losier (dans le rôle de Glenn, qui nous présente tout ça bien assise sur le divan).
« Viens avec moi », c’est les histoires de Serge (Bridô) et Kevin, deux chanteurs acadiens aux destins presque parfaitement parallèles, même si les deux prendront des voies complètement différentes. On va raconter ça très grossièrement : Serge est le chanteur d’un groupe, Les Hôtesses d’Hilaire (composé aussi des excellents – et fort réels – Mico Roy, Michel Vienneau, Léandre Bourgeois et Maxence Cormier – comme dans la vraie vie), qui commence à faire parler de lui et qui tourne fort au Nouveau-Brunswick. De son côté, Kevin se lance dans un concours du genre Star Académie ou La Voix. Le show s’appelle Pousse ta note. Kevin gagne en chantant une version totalement hallucinée de Moi j’mange d’Angèle Arsenault. Accompagné au ukelele. Il est vite pris sous l’aile de Julia, une gérante qui a beaucoup d’ambition. Pour elle, bien entendu. Serge finit par tomber dans l’enfer de la drogue. Un moment donné, après avoir fait trop de poudre, il pète une coche solide et quitte le groupe. Kevin, usé à la corde par Julia, finit par tomber dans l’oubli pendant que Serge devient une vedette pop qui deviendra même coach à Pousse ta note.
Non, on vous vole pas vraiment de punch, c’est pas comme si l’album n’était pas disponible sur toutes les bonnes plateformes en ligne et les magasins qui vendent des records. En fait, l’intérêt du show ne tient pas tant à ce fil narratif qui sert plus de corde à linge pour la panoplie de couleurs que tout ce beau monde nous présente.
Avec des moyens rudimentaires, on a réussi à arranger un décor fort imaginatif (une porte en forme de bouche, un coin salon pour Glenn, un coin pour les musiciens et les choristes) soutenu par des effets d’éclairage fort imaginatifs et certaines trouvailles amusantes, comme ce nez qui crache de la poudre en confettis (au grand plaisir de plusieurs). Les projections étaient souvent amusantes – on n’a qu’à penser au jeu vidéo où Serge se promenait d’une salle à l’autre (un peu comme Mario, quoi) sur une trame sonore 8 bits ou aux invitations à chanter avec les artistes). Et faudrait pas oublier quelques effets sonores intéressants, comme cette ligne ouverte de radio qui accueille le monde avant le spectacle.
Tout le monde était d’accord : Les Hay Babies formait un trio de choristes de choc. Une unité soudée qui m’a pas mal épaté alors qu’elles ont joué divers rôles tout au long de la soirée, que ce soit des groupies à Edmunston (it’s the place to be) ou des assistantes de Julia. Katerine, Julie et Vivianne y ont mis énormément de coeur et cette énergie était on ne peut plus contagieuse.
Robin Joel Cool, dans le rôle de Kevin, a pu en surprendre quelques-uns. La justesse avec laquelle il interprète Kevin, un sympathique loser qui se présente à un concours de chanson, qu’il gagne en chantant du Angèle Arsenault, qui devient une méga-star avalée par le système et recraché peu de temps après, est incroyable. Cool a tout pour lui : la voix, l’assurance, la présence physique… même la gueule est parfaite pour le rôle.
Bien assise sur son sofa, Diane Losier avait une tâche ardue : nous tenir aux aguets pendant les transitions tout en restant juste assez effacée lors des numéros pour ne pas détourner l’attention. Sa narration était sur le ton. On y retrouvait Glenn comme on se l’imaginait (c’est pas la première fois que Glenn apparaît dans le paysage hilairien), une femme qui pourrait te discourir pendant dix minutes pourquoi le rosbif au micro-ondes, c’est pas bon. Pendant les pièces, Losier se laisse emporter par la musique, ouvre souvent grand les bras comme une prêtresse qui nous accueille à sa messe. La crédibilité théâtrale de Viens avec moi, c’est elle.
Mais c’est pas juste Losier. C’est aussi Anna Frances Meyer, que vous connaissez sûrement comme La Deuxluxe, qui ajoute une grosse touche de glamour (ET DE PASTEL) à cet univers déjà fort coloré. Meyer est absolument parfaite dans le rôle de la gérante aussi avare que manipulatrice. Séductrice à souhait dans un tailleur tout droit sorti d’un garde-robe d’Hillary Clinton lorsque son mari a pris le pouvoir (devinez à qui le tailleur va le mieux… non, c’est pas à l’ancienne candidate à la présidence des USA). Énergique à fond. Probablement la plus physique de toute cette soirée. Et surtout, on a pu entendre Anna Frances chanter en français (ce qu’elle fait si bien) et nous balancer sa voix sur une grosse toune disco-pop bonbon (réalisant ainsi un de mes plus grands fantasmes musicaux des dernières années). Elle a presque volé le show. Presque. SPREAD THE LOVE!
Tout ce beau monde a permis à Serge Brideau d’être un peu plus effacé que dans un show régulier des Hôtesses d’Hilaire. Ce qui n’a pas empêché Brideau de se payer un luxe : changer souvent de costume. On l’a même vu en short et en chemise comme au début des Hôtesses. Lui aussi très physique (Maxence peut vous en parler), il joue à la perfection le rôle d’un alter ego qui est tout simplement lui-même à la puissance cent.
Tout ça ne tiendrait à rien si ce n’était pas de la musique. Là-dessus, on savait que ça allait être parfait. Bénéficiant de l’appui de Mathieu Pelgag et Jonathan Bigras (toujours aussi en feu), Mico, Michel, Maxence et Léandre ont été d’une efficacité redoutable. La musique des Hôtesses est unique, planante, mais énergique, mélangeant le rock psychédélique au prog avec une énergie du commun. La musique complète si bien le décor qu’on se fout un peu que celui-ci soit un brin rudimentaire. Les nombreuses envolées musicales du groupe ont eu droit à plusieurs acclamations du public. Et la transformation du groupe en boys band acadien vers la fin du show est un moment désopilant d’autodérision.
Vous aurez compris que j’ai aimé ce show. J’ai aimé la finesse du propos dans cette histoire à la fois critique et fort amusante. Ce show-là se tient, on passe les deux heures les plus agréables qu’on a passées depuis longtemps, on en sort grandi. On a beaucoup apprécié certains éléments plus subtils (le punching bag en forme de glotte derrière la bouche) que d’autres (qu’on a bien aimés aussi, comme ce passage où on voit le visage de Francoeur en soleil des Teletubbies pendant L’éveil de Kevin).
Il y avait un autre gros avantage à voir le show sur scène : sur disque, il n’est pas toujours évident de suivre l’histoire, qui est presque toute chantée par Brideau. Sur scène, tout devient plus clair.
Seul petit bémol : pour avoir vu ce spectacle à Montréal, où nous étions tous debout, on vous avoue qu’on a trouvé le public de Québec fort tranquille dans cette salle en formule cabaret. La participation du public, qui avait ajouté pas mal de couleur à Montréal, était beaucoup plus timide, et je sais que ça en a dérangé quelques-uns. Je me demande de quoi ça avait l’air sur scène. Je dis ça, mais d’un autre côté, je vais apporter une nuance fort importante : la qualité d’écoute, elle, était de loin supérieure.
Oui, oui, à l’Impérial Bell un vendredi soir, le public écoutait le show qui lui était présenté. Et à voir les sourires béats un peu partout dans la salle, cette proposition était accueillie avec un grand bonheur.
Viens avec moi m’a ramené à mes 14 ans, quand je suis allé voir Pink Floyd au Stade Olympique avec mes deux amis tout aussi ados que moi. Une expérience unique qui m’a fait oublier (deux fois plutôt qu’une) l’univers autour de moi pendant un instant, question de plonger dans l’univers qui s’ouvrait devant mes yeux. Un des dix meilleurs concerts que j’ai vus à vie. Rien de moins.