Cher Clément,
Tout d’abord, pardonne-moi si je t’ai paru un peu bête quand on s’est vu jeudi, tu m’aurais vu cinq minutes plus tôt, j’aurais pas eu ce bête accident, j’aurais été l’homme le plus heureux du monde de te serrer la pince.
Est-ce que je peux t’avouer quelque chose? Entre toi pis moi pis Alexandre Shields du Devoir, j’avais quelques appréhensions cette année. Est-ce que l’élastique sur lequel tu tires depuis plus de huit ans allait te péter dans la face? Est-ce que mon festival préféré devenait trop gros? Est-ce que j’aurais du mal à profiter des shows, étouffé à l’arrière du sous-sol de l’église, entre deux gars trop sur le party qui savent vraiment pas boire? Est-ce que j’aurais plus l’impression de me ramasser dans une grosse boum de l’industrie plutôt que dans un festival destiné tout d’abord aux bonnes gensses de Baie-Saint-Paul?
En gros, est-ce que Le Festif allait devenir trop gros pour être le fun?
Eh bien, il faut croire qu’il reste encore un peu de force dans l’élastique, après tout. Ton neuvième Festif, c’était de la bombe. Des belles émotions toute la maudite fin de semaine. Des retrouvailles avec des tonnes de gens qu’on aime et qui semblent toutes être à Baie-Saint-Paul. Parlant des gens, as-tu remarqué que cette année, tout le monde semblait plus… calme et serein? Ça veillait tard, ça fêtait quand même assez fort, mais la vibe était bon enfant. Ça doit être parce que tu nous as mis les yeux pleins d’eau toute la fin de semaine.
Côté émotions, t’as frappé fort! Lapointe, Watson, Camaromance, Holubowski, Waston encore, Salomé, Fortin, Tiken Jah Fakoly, Kouna, Leduc, Mara, Shonk, Lafleur, Brach et tous les autres nous ont fait rire, pleurer, lâcher notre fou et recommencer. Méchante belle idée aussi que de faire jouer des artistes au quai le jour de leur anniversaire. T’as vu Mara combien elle était radieuse? T’as vu Brach, en GROS lendemain de veille, s’éveiller au fil de sa prestation, qu’il ne voulait plus finir (nous non plus, on voulait pas que ça finisse)? Ben oui, tu les as vus, tu les as bookés.
On l’avait dit avant de venir, la programmation de cette année n’avait pas l’effet wow des années précédentes. On avait aussi dit que cette présence moins soutenue de gros noms internationaux faisait place à une profondeur jamais vue. T’as réussi à transformer ça en grande célébration de notre musique. Notre culture à nous. Celle qu’on a si souvent tendance à dénigrer. Même des artistes que j’aime personnellement un peu moins (je pense ici à Daniel Boucher ou à Vincent Vallières) ont réussi à me convaincre de leur talent et de leur pertinence sur notre belle scène.
Ton coin famille, ton coin relax, toutes tes installations un peu partout dans la ville. Tes imprévisibles un peu partout. Mon Doux Saigneur qui réussit à jouer à quatre à l’Accommodation (j’y crois pas encore). Tes stations de remplissage qui ont servi à plusieurs reprises. Est-ce que le monde le sait que ça a pas mal tout été gossé avec de l’huile à bras et beaucoup d’amour?
T’sé, quand j’ai envie de crier aux gens du Festival d’été de Québec que c’est pas si compliqué que ça, des points de ravitaillement en eau, que si vous avez été capables de vous monter des postes super fonctionnels, eux, ils ne devraient pas avoir de problèmes à s’en faire eux aussi (et à les disséminer un peu partout) plutôt que d’utiliser ces bornes peu pratiques et très coûteuses?
Chaque année, j’en reviens pas de ce que ta petite gang pis toi, vous réussissez à faire. Pour quelqu’un comme moi qui sort à peine de la grosse machine du FEQ avant d’entrer dans le doux cocon du Festif, c’est saisissant. Je m’attends à ce que le FEQ exécute un sans faute année après année, et il y arrive sans même suer. Mais vous autres, à chaque année, j’ai peur que vous vous pétiez la gueule. Pourtant, vous réalisez l’impossible.
Et vous le faites, encore une fois, tout en misant sur l’aspect humain du Festif. Parce que sans la petite équipe à sa tête et à ses côtés, sans ses nombreux bénévoles, sans tous les artistes qui acceptent de bon coeur de jouer le jeu toute la fin de semaine (ils étaient partout, à tous les shows, à tripper sur les prestations de leurs homologues), sans les gens de Baie-Saint-Paul, qui sont toujours aussi accueillants, souriants et drôles, même à six heures du mat au McDo après avoir vu Stéphane Lafleur (oh boy, le changement de crowd), le Festif ne serait qu’un autre gros festival régional ou, pire encore, un gros party où les médias sont rois et maîtres.
Je me rends compte que c’est de plus en plus difficile pour nous de couvrir le Festif. Pas parce que c’est chiant, bien au contraire.
Parce que je vous aime, ma bande de câlices. Pas facile d’être objectif quand on est amoureux.
Maintenant que tout ça est dit, mon ami, j’ai une toute petite recommandation pour toi. En fait, elle rejoint celle du journaliste du Devoir :
Je pense que tu peux arrêter d’essayer d’en faire toujours plus. Ta ville est sur le bord du point de saturation. Ton bassin de bénévoles n’est pas illimité. Et surtout, j’ai peur que tu finisses par péter au frette, Clément.
Le Festif!, il est parfait comme c’est là. Te reste à le peaufiner davantage. À trouver d’autres moyens de nous émerveiller comme tu le fais depuis tout ce temps. Mais petit conseil : pour chaque grosse nouveauté, retire donc quelque chose qui a un peu moins bien marché les années précédentes. Fais pas juste empiler. Pas pour nous, on a arrêté d’essayer d’être partout à la fois, on choisit nos combats.
Mais choisis les tiens.
Parce que moi, je veux être là, à 56 ans, quand Le Festif va fêter son vingtième anniversaire. Pis je veux qu’on soit tous les deux capables de se prendre une petite bière, la larme à l’oeil. Pis te dire, juste à ce moment : « Clément, mon homme, ton festival est encore parfait. Je sais pas comment t’as fait. »
Ta réponse : « Finalement, j’t’ai pas écouté, j’ai fait à ma tête, comme d’habitude. »
Repose-toi bien. Tu l’as mérité. Salue Charles, Anne-Marie pis tous les autres de ma part.
On se revoit cet hiver.
Jacques