Une bonne excuse pour se fixer un rendez-vous le dimanche est d’arriver du fin fond de l’Ouest canadien en se faufilant une tournée des petites places. C’était le cas, le 28 septembre dernier, des deux groupes partenaires de l’invasion powerviolence Pavel Chekov et Endless Swarm, respectivement originaires des États-Unis et de la vieille Écosse. La scène leur a été offerte par les infâmes brigadiers du pit qui ont également décidé de produire un projet affilié, Anéantix, pour initier les démonstrations.
Anéantix

Le quatuor s’est confortablement installé sur un tapis de clous imaginaire avant de faire sonner le glas impétueux de sa pré-charpente d’ouverture. Le groupe, en chantier, aime bien défricher l’espace auditif avant de bulldozer les terres arables de nos cerveaux gélatineux en passant et repassant ses couplets crottés avec l’insistance d’un moissonneur de vides qui déshabille les sacs pleins de cochonneries laissés aux rues par ses concitoyens suraménagés. Le drummer Nate s’essouffle à nous raconter des bribes de psychoses par fragments bisyllabiques entre lesquels il se retourne pour replacer ses élégantes moustaches et lâcher un ou deux pets que j’hallucinais pour être des punchs de cymbale. Je me suis probablement laissé enivrer par les relents nauséabonds intentionnellement offerts par la synesthésie artistique créée par Anéantix. Les trois pics frottaient toujours sur la même longueur de corde dictée par les riffs chauffés au mords d’une carriole en feu, tandis que des nuances subtiles et assombries d’un terrible bardas couvraient la déviance des lois de la physique électrique foutue par le beat de type décharge. Vous aurez compris que l’esthétique du groupe est très limpide, un bon coup de guenille passé dessus. Une sensibilité évidente se dégage des passages plus ambiants que sont les interludes où culminent leurs pièces assez longues et sophistiquées, dans lesquelles on retrouve aussi des solos de guitare impeccables qui exposent le niveau de recherche sonore sur lequel travaille ces musiciens hors pair.
Pavel Chekov

La première vague de visiteurs s’était amenée de la pointe américaine du Texas, avec l’étiquette alléchante du Powerviolence qui se fait rare et exquis. Les rythmes binaires du groupe haletaient entre l’allure démentielle d’une indulgence nocive pour les vitesses exagérées et un abattement frénétique dont le prolongement imprévisible ne fait qu’augmenter le degré des répercussions. La sueur a rapidement gagné le front de chacun des musiciens, et leurs bras éclaboussés devenaient souvent invisibles tant ils les secouaient. Quelques échantillons sonores de discours politisés, soulevant les inévitables ravages de la violence inhérente à tout système étatique, ponctuaient les pauses entre les morceaux spasmodiques qui composaient l’étirement dans le temps occupé par Pavel Chekov. Les fréquences produites par cette troupe grinçante n’étaient pas trop abrasives, et plus d’un d’entre nous souriaient de plaisir sous la caresse auditive qu’octroyait le son hyper-saturé des guitares incolores. J’ai eu le bonheur d’échanger brièvement avec le vocaliste à propos des prouesses dont il venait de faire l’étalage. Il m’a rassuré en me disant qu’il rendait ses chants torturés à travers le Canada depuis déjà plus d’une semaine sans éprouver la moindre douleur. J’émets une prudente comparaison entre ce groupe et un autre nommé Combat Wounded Veteran. Les deux se ressemblent beaucoup dans le style de vocal égorgé, la concision de ses riffs de Punk, le format écourté de leurs pièces et le côté socialement irrité qui motive la création de leur musique iconique. En plus, le chanteur m’a dit qu’il les trouvait vraiment bon. C’est donc une petite recommandation pour ceux qui auront apprécié Pavel Chekov, et qui veulent explorer davantage un Punk plus extrême.
Endless Swarm

Le faux fardeau de la grande finale était attitré au prolifique quatuor écossais Endless Swarm, qui a mis le feu aux poutres. La soirée n’a jamais autant été agitée que dès la première mesure, aussitôt redoublée par les gars du groupe. La micro-écriture d’Endless Swarm est d’une densité qui exige certainement un effort de mémorisation accru de la part des musiciens quand vient l’heure d’en jouer les fruits. Le train qu’ils mènent ne les autoriseraient pas à substituer un motif rythmique par un autre; le malheureux qui dévie du rail ne pourrait le regagner qu’avec quelques wagons de retard. Comme c’est souvent le cas dans les bands de grindcore dans lesquels un membre se consacre exclusivement à la partie vocale de l’ensemble, le guitariste n’a pas souvent l’occasion de lever le menton : il a besoin de rester penché sur son manche afin de garantir la précision de son jeu. Dans le cas d’Endless Swarm, on n’est malgré tout pas totalement démuni de variété en termes de timbres de voix. Je ne dis pas que le chanteur se détourne facilement de sa grosse voix de Muppets, mais l’implication du bassiste est régulière à ce niveau. Ce dernier s’est également joint à l’entreprise de son chanteur quand celui-ci a décidé de se promener en petit bonhomme à travers l’assistance déjà surexcitée. Quelques preuves de solidarité entre les spectateurs ont eu lieu, entre autres lorsqu’une valeureuse bière a été renversée malencontreusement à l’endroit pile où la danse chaotique se prenait le mieux. Le plancher ne s’en est que retrouvé plus propre. J’ai aussi témoigné du rapatriement de plusieurs rescapés qui avaient légèrement perdu l’équilibre en se donnant corps et âme aux élans spontanés qu’inspirait la fête.
Pour un beau premier dimanche d’automne, on peut dire que c’en a été un qui nous a gravé le cœur. Les remerciements pleuvaient à la fin de la soirée, et personne vraiment n’était chaud à l’idée de retourner se préparer à commencer la semaine.
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