Une promesse de belle soirée qui s’est soldée en de cruelles négociations, en dépit de pertes égales. La tournée en sol lointain d’une bande d’émetteurs apparue à un moment où le soleil se couche tôt a mis en pièces les décombres d’une enquête dont l’indice s’évente.
Blank

Une présence autoritaire venant d’un groupe qu’on avait vu lancer son album une vingtaine de jours auparavant, au cœur la côte d’Abraham. Après une annonce tardive, l’ajout du groupe avait créé un effet de surprise autour d’un événement déjà audacieux. Leur présence en tant qu’initiateurs des fréquences a pu combler le voireux d’enthousiasme en ouverture. Le groupe qui avait été de calibre à clore l’alignement impressionnant de leurs partenaires de lancement surclassa chacun de ses successeurs en ce crépuscule de jeudredi à La Source. C’est à se demander si les chanteurs des autres groupes ne seraient pas tombés « malades » en voyant après qui ils devaient jouer, ou en respirant les débris d’une explosion sauvage de bruits. La palpitation des tympans, qui n’a plus atteint cette vélocité, augurait mal (dans le sens d’indiquer la mauvaise chose pour la suite).
Actor/Observer

La batterie presque collée dans le dos, une cymbale à deux pouces de la ceinture, la voix étouffée de grippe, le chanteur de Actor/Observor rassura le public qu’il est totalement sécuritaire d’occuper l’espace vacant devant la scène. Le groupe commença avec une pièce au tempo plus élevé que les suivantes, ce qui a eu pour effet d’attirer rapidement l’attention. La musique porte une charge émotive contenue et épurée, qui donne lieu à une légère catharsis. Les transitions entre les mesures pouvaient confondre malgré la délicatesse de l’exécution et l’économie de notes doucement arrimée aux pantoufles du bassiste. Personne ne voudrait qualifier son jeu de technique. Si quelques solos ont graffigné les hiéroglyphes agrafés aux planches en bois des murs de la salle, les trois coups de Beethoven abattirent ci-avant le crépuscule que le chanteur malade écourta lamentablement son numéro. Lui ayant la décence d’annoncer cette chute abrupte avant d’entamer le morceau de clôture, pour laisser l’occasion aux témoins d’en savourer toute l’extraction de sortie, mon état d’âme prit la forme d’une fée papillon. Sur le mince coucher douillet de l’adieu s’évapora ma complicité avec Actor/Observor.
Salem Trials

La soirée s’aggrava quand on apprit subitement que le groupe ontarien déjà installé sur scène était désolé que nous allions voir nous contenter d’un pitoyable concerto instrumental. Tout le monde s’est retourné en même temps pour jeter un coup d’œil à l’absent vocaliste, juché sur la baquette orientale du fond de l’aile aux marchandises. Dès qu’il s’est rendu compte que je lui scrutais le visage comme un médecin à la recherche des signes de fatigue associés à une grippe d’homme, il tourna furtivement son cou qui n’était pas rouge pour dissimuler un visage sans cerne. J’ai dit « ben voyons donc » en me retournant vers l’estrade au cinquième vacant. Un microphone était perché devant le joueur de basse : il l’avait utilisé pour nous indiquer l’aspect fâcheux qu’allaient prendre les prochaines minutes de deathcore instrumental. Je me sens tout de même en mesure de mettre cette immense déception de côté pour parler de ce qui s’est malgré tout passé. Comme on eut pu le prévoir, une couple de pièces n’étaient pas complétement instrumentales : le microphone du joueur de basse lui avait été disposé pour les vocaux secondaires, qu’il revendiquait alors au premier plan. L’instrument bas aux grosses cordes sonnait avec une lourdeur métallique. Quand il a rangé son pic, les lignes de basse évoquaient du Primus. La formule amputée a quand même bénéficié aux guitaristes discrets qui se cachaient quasiment le coude dans les rideaux du fond. L’espace sonore libéré par le virus contracté laissait entendre et forçait à apprécier le travail de composition de quelques couplets gentiment fignolés. Leur style s’influence parfois du djent, et par d’autres se prouve atteint d’une dose de rage chaotique.
Kaonashi

L’éclectique groupe de post-hardcore Kaonashi foula le ras avec un autel voué à disposer des boitiers d’appareils électroniques insérés entre la ligne vocale et l’ensemble des moniteurs puissants de la Source. Parsemé d’échantillons pirates d’émissions parlées, le numéro semblait relever une intention humoristique qui ne connectait pas avec les attentes des spectateurs. L’impact foudroyant des parties plus débilitantes comblait mieux l’insatiété de la soif de bruitage qui animait alors un ou deux partisans de sons percutants. Les falsettos déjantés du meneur de claques ont failli frôler le ridicule pendant les bribes a cappella, et malgré l’efficacité de ses grondements ténébreux pendant les défonces, j’ai connu le rabaissement de mes bras avant d’avoir consumé la satisfaction qui accompagne les moments glorieux d’un concert réussi. Le montage des sections composant les titres de Kaonashi laisse à désirer quant à la perfection de sa cohésion, et l’ouvrage en ressort comme bâclée de toutes pièces. Rarement si peu ne suis-je en mesure d’attribuer de crédit à une réunion d’artistes de la démolition audiophonique style rock et dérivés. Le moment fort fut probablement la montée du bassiste de Salem Trials qui a littéralement délogé son homologue pour accompagner Kaonashi dans une déviation plus organisée de leur modèle performatif. Je suis convaincu que les passages de chants constituent un des éléments précieux que le groupe devrait continuer d’exploiter et de peaufiner dans ses prochaines tournées, qui les apportera peut-être à nouveau à nous offrir le plaisir de les capter se démener en position centrale d’une salle agrémentée d’émetteurs.
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