Cette sixième édition en était sans contredit une marquante pour le festival Bleubleu. Cet événement, qui se déroule autour de la Saint-Jean sur les berges de Carleton-Sur-Mer, est pour moi depuis quatre ans un coup de cœur! Le meilleur des petits festivals de musique au Québec. Un festival à échelle humaine qui propose des lieux agréables à investir. La plage et le quai de Carleton, ainsi que, la cabane à Eudore, trois scènes désormais classiques comportant différentes ambiances à expérimenter. Sans compter la fameuse nuit de rave en forêt. Je ne peux pas passer sous silence la programmation originale de cette année qui démontre bien la volonté des organisatrices de sortir de certains lieux communs. Des choix parfois edgy qui font de cette édition une réussite. Voici donc un résumé des spectacles qui ont marqué ma fin de semaine!
Vendredi
Sasha Cay
Après avoir joué au festival Santa Teresa, le groupe indie de Montréal Sasha Cay est venu flirter avec le public de la Gaspésie. Inspiré du mouvement dream pop et parfois shoegaze, mené par la chanteuse Sasha Cay, le formation du même nom nous a montré sa couleur avec ferveur. Sasha, avec sa forte présence et sa voix puissante, nous a convaincu rapidement de l’emprise qu’elle peut avoir sur le public. Bien entourée de ces trois musiciens, les prestations en soi sont solides. Malheureusement, le décorum perd de son lustre entre chacune des compositions. On prend trop son temps pour s’accorder, se jaser, faire des blagues entre eux. Le public est souvent mis de côté et l’intérêt est complètement désamorcé. L’ambiance tombe et on se demande s’ils sont sortis de leur studio de répétition. Leur connivence est évidente et plaisante à voir, mais malheureusement nous ne sommes pas conviés à vivre le moment avec eux. Malgré tout, la qualité de leurs compositions m’a donné le goût d’en entendre plus et le public plutôt bien réchauffé pour la suite.
Population II
Premier coup de poing de la fin de semaine, parce qu’il y en aura d’autres. Population II sur album c’est déjà de la bombe! « Électrons libres du Québec » est un des meilleurs de l’année si ce n’est pas le meilleur album sorti au Québec dans la dernière année. Sur la scène de la plage, on ne sait pas encore ce qui nous attend. Après avoir réglé un problème technique qui a fait craindre le pire, le chanteur Pierre-Luc Gratton s’installe enfin à l’avant-scène derrière sa batterie. En rafale, l’on reçoit en pleine figure Beau Baptême, Orlando, C.T.Q.C., C’t’au boute, tous tiré du dernier album. L’énergie du groupe est contagieuse, les prouesses techniques des musiciens sont remarquables. Gratton se démène, entier entre son micro et sa partition musicale impeccable. La foule plutôt jeune semble ne pas comprendre ce qui se passe, se demandant si elle peut se permettre de trasher sur ces compositions psyché, prog aux allures métal. Après quelques chansons certains festivaliers plus expérimentés décident de prendre le plancher et donnent l’exemple. Le bal est lancé, on sent la foule se délier, plus rien à perdre, on se bouscule, l’ambiance est bonne. Accompagné par des amies qui découvrent le groupe à ce moment, elles sont subjuguées par la qualité de la performance. L’appel du moshpit se fait sentir pour tous.
Première soirée de festival plutôt courte mais qui donne le ton à perfection pour la suite. Sachant ce qui nous attend pour les deux prochains soirs, on se dirige vers l’auberge, convaincus que la fin de semaine sera mémorable.
Samedi
Nadah El Shazly
Après avoir profité de la plage une partie de la journée, c’est le moment d’aller à la découverte de l’artiste montréalaise originaire du Caire Nadah El Shazly. Rendez-vous à la cabane à Eudore, petite cabane de pêcheur sur la grêve de Carleton. Endroit parfait pour accueillir cette artiste aux influences multiples. Sa grande liberté dans l’entrebâillement de la petite cabane est magnifiée par le décor montagneux à l’arrière. Sa voix, elle, se fond à l’ambiance qui entoure les lieux, comme une trame sonore faite sur mesure pour Nadah. Le croassement des oiseaux marins, les vagues qui viennent rythmer l’organicité des improvisations de l’artiste accompagnée de la harpiste Sarah Pagé. Emporté par leur musique expérimentale électro-acoustique minimaliste, le public assis sur le sol rocailleux est hypnotisé par le duo. Le voix à la fois douce et puissante de Nadah nous happe en plein cœur par ses vocalises hyper incarnées aux sonorités arabes. La douceur du moment est telle que personne n’ose applaudir entre les différentes compositions. Sentant que la foule n’est pas prête à quitter le moment, Nadah consulte Sarah pour savoir si elle veut continuer hors de la liste prévue. Effectivement, elles s’accordent sur une dernière chanson et une deuxième dernière et pourquoi pas une improvisation pour terminer. D’une grande générosité, elle a conquis les spectateurs toujours présents avec des versions de ses compositions magnifiquement adaptées pour le festival.
Shaina Hayes
J’ai connu Shaina Hayes deux ans auparavant à ce même festival. Elle avait performé à la fameuse cabane à Eudore des versions acoustiques de son premier album qui était sur le point de sortir. Pour son retour au BleuBleu, cette artiste gaspésienne désormais installée à Montréal aura eu le plaisir de performer sur la grande scène du quai. Dans une magnifique robe aux couleurs du drapeau acadien, Shaina a visiblement pris de l’expérience depuis son dernier passage. Une présence solide et fière pour présenter les nouvelles compostions de son deuxième album « Kindergarten Heart », sorti en février dernier. Dans des sonorités country folk bien assumées, on sent qu’elle trouve ses couleurs avec ce deuxième opus. Accompagnée de musiciens redoutables, dont Etienne Dupré (Duu, Zouz, Mon Doux Saigneur), elle incarne une voix entre tradition et modernité. Sans jamais perdre le contact avec le public, elle entonne avec passion ses simples Sun and time, Early Riser, Kindergarten Heart et New Favorite. Une artiste qu’on aura certainement la chance de revoir dans les prochaines semaines, dont le 20 juillet prochain au Festif!
Elisapie
En une décennie, Elisapie est passée d’artiste Inuk reconnue à réelle légende de la musique actuelle. Et c’est en voyant cette grande femme performer sur scène que l’on comprend pourquoi. Magistrale, son aura transcendé la scène. Le spectacle, entre concert et documentaire, est développé avec sensibilité. Deuxième coup de poing de la fin de semaine, cette fois-ci avec humanité et douceur. Elisapie nous a présenté les reprises de chansons tirés de son dernier album « Inuktitut » avec force et vulnérabilité. En passant au travers de ce répertoire populaires des années 70 à 90, elle dévoile les raisons de ces choix de chansons. Souvenirs d’époques anciennes, d’un frère disparu, elle plonge dans une nostalgie à la fois intime et commune qui donne au moment des airs de rassemblement de famille. Nos yeux sont humides. Des échanges sincères qui ajoutent une couche d’émotion pure à chacune des prestations. Sortant d’une radio translucide, objet illuminé comme accroche visuelle forte pour le public, des interludes parlés en inuktitut de membres de la famille ou de la communauté inuk viennent s’intercaler au travers des performances. Cette proposition poétique amène une couche d’humanité supplémentaire touchante au spectacle. Si vous avez la chance de la voir dans un autre festival cet été, je ne peux que recommander de voir cette prestation hors du commun.
Pelada
La journée du samedi s’est terminée par un immense party en forêt sous l’égide de DJ et artistes électroniques tous aussi inspirés les uns que les autres. Mais c’est sans aucun doute la présence de Pelada, troisième punch au visage de la fin de semaine, qui a marqué les esprits durant cette nuit bien mouvementée. Duo de Montréal, formé de Chris Vargas et Tobias Rochman, ils ont offert une prestation plus qu’énergique. Entre dance-punk, darkwave, rave et acid, Pelada ne sont pas doux et c’est tant mieux. Chantées en espagnol, leur compositions sont des missives entre autres contre le patriarcat, le SPVM et la capitalisme. Un problème technique sur les tables tournantes a dû mettre un terme à la prestation pendant quelques minutes, mais ça n’a pas empêché le duo de revenir encore plus fort et de nous offrir une deuxième partie et un dj set des plus corrosifs. Malheureusement, le duo a annoncé leur fin après un troisième album à l’automne. Le privilège de les avoir vus dans ces conditions impeccables est donc encore plus grand. Ceux qui y était pourront le dire fièrement. Leur deuxième album « Ahora màs Que Nunca » fut la trame sonore du reste de la fin de semaine pour plusieurs, j’en suis convaincu.
Dimanche
Yves Jarvis
Dimanche fut une journée bien différente puisque la pluie a décidé de venir chambouler les spectacles extérieurs. Comme plusieurs autres spectacles de la St-Jean du 23 Juin, la soirée du dimanche s’est donc passé à l’intérieur.
Prévu tout d’abord à la Cabane à Eudore, le spectacle d’Yves Jarvis à été déplacé dans la salle de spectacle du centre culturel de Carleton. Artiste expérimental qui mélange les genres avec acuité sur album (folk, électronique, rock, ambiant, etc.), j’étais très curieux de voir comment il allait travailler ses compositions en versions acoustiques pour le festival. Seul en scène avec ses guitares, quelques pots de fleurs et trois breuvages, on sent l’espace vaste autour de lui. Guitariste hors pair, il était impressionnant de le voir jouer et faire son picking avec agilité. Certaines chansons de son dernier album « The Zug » semblait préférables pour l’exercice demandé par le festival. At The Whims est impressionnante, Bootstrap Jubilee se rend bien. La force d’Yves Jarvis ce sont tout de même les arrangements qui habillent ses compositions. Sans elles l’ambiance, est moins présente et les fin de compositions brutales. On sent l’exercice un peu ardu par moments, mais Jarvis assume le moment et son plaisir s’accentue à mesure que les pièces se développent. On regrette un peu l’ambiance qu’aurait été sur les berges mais finalement, l’expérience est sentie et le moment réussi.
Spectacle de la St-Jean : Robert Robert et Lydia Képinski
Également déplacé à cause de la température, le spectacle officiel de la St-Jean du BleuBleu s’est déroulé dans l’aréna du village. Bravo aux organisatrices qui ont réussi à se revirer sur un 10 cents pour ne pas annuler l’événement. Prévu à la base sur le quai de Carleton, je ne m’étendrai pas sur le fait que le son et l’expérience auraient été vraiment plus satisfaisants à l’extérieur. Cela dit, malgré le lieu beaucoup trop grand pour la quantité de gens présents, l’ambiance festive était bel et bien au rendez-vous. Impossible de faire autrement avec les choix surprenant hyper dansant de la direction du festival. Robert Robert était visiblement attendu de pied ferme par de jeunes fans en soif de festivités. Dès les premières chansons le ton était donné et la St-Jean électro était lancée. Première fois que j’assistais à une prestation de Robert Robert et j’ai été plus qu’agréablement surpris. Artiste électronique à la base, je ne m’attendais pas à cette présence de pop star aussi charismatique et assumée de sa part. Après avoir enchaîné plusieurs titres de son plus récent album « Bienvenue au Pays », Arthur Gaumont de son vrai nom a enfilé ses succès Les Gens, L’été je m’ennuie et Quand Je veux je dors de son précédent « Silicone Villeray ». Le party désormais bien entamé, la foule était prête à recevoir la performance de Lydia Kepinski.
Elle pourrait se targuer d’être la chanteuse québécoise pop la plus actuelle. L’attitude, la voix, la présence, les rythmes, les paroles, tout est réfléchi et assumé. Lydia a présenté ce spectacle en tournée tout l’été passé et disons qu’elle savait ce qu’elle allait nous servir. Parfois un peu sur le pilote automatique, elle ne déçoit tout de même pas grâce à de superbes moments improvisés et spontanés. La piste de danse était brûlante dans l’aréna à l’écoute des singles des albums « Depuis » et « Premier Juin ». La St-Jean fut donc Électro-pop cette année à Carleton et je ne peux que féliciter BleuBleu pour cette initiative.
Alix Fernz
Dernier spectacle de la soirée, Alix Fernz a eu la rude tâche de suivre un DJ set pop et festif. Nous étions plusieurs à se demander comment allait se passer le clash avec la foule réchauffée dans une direction bien opposée aux sonorités punk de l’album « Bizou » de la formation de Montréal. Arrivée glam d’Alexandre Fournier et ses musiciens, on donne le ton rapidement avec les titres Défigurée et Muselière. Sa présence est de feu, en jouant avec les codes des scènes glam-rock, new wave et punk. Les titres s’enchaînent rapidement et on sent la foule se laisser prendre au jeu tranquillement. Le chanteur tâte le pouls tout au long de la prestation pour s’assurer que le public suit la proposition jusqu’au bout. Petite insécurité bien légitime qui n’amoindrit en aucun cas la performance. Ce spectacle, qui au départ devait aussi se dérouler sur une scène extérieure, était peut-être un peu trop puissant pour la grandeur de la tente installée sur la plage. Malgré tout, voir cette formation avec une recherche musicale unique sur scène fut une superbe découverte et une fin de festival en beauté pour moi.
La cohorte 2024 du BleuBleu fut, à mon avis une des meilleures jusqu’à maintenant. J’ai bien l’intention de me déplacer pour d’autres éditions et je vous conseille de garder l’œil sur ce festival qui, on leur souhaite, deviendra grand.