« Royaume » et « Gros-Bec » : Jimmy Hunt doublement satisfaisant

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Gros vendredi : Monsieur Jimmy Hunt a décidé de sortir de son long mutisme pour nous livrer non pas un, mais deux albums d’une seule shot et sans crier gare : surprise ! Après la sortie de « Maladie d’amour » en 2013, il avait fallu attendre sept ans pour que la gestation de « Le silence » vienne à terme, album d’une vingtaine de minutes certes excellent mais qui, de par sa (non) longueur, m’avait laissé sur ma faim. Cette fois-ci, Jimmy ne se laisse pas désirer : il sort simultanément les albums « Gros-Bec » et « Royaume », respectivement de 36 et 28 minutes. On dira ce qu’on voudra, la pandémie a parfois du bon dans le milieu musical : c’est comme si les émotions avaient été exacerbées, et certains projets plus intimes et introspectifs ont besoin de ce temps, seul avec soi-même, pour naître.

Royaume

Commençons donc par l’opus « Royaume ». Attention, il s’agit là d’un album très expérimental que je conseille d’écouter d’une traite, tant l’auditeur s’imprègne graduellement de l’ambiance suave, feutrée et solennelle qui y règne.

Ce côté solennel se ressent fortement pendant le morceau d’introduction Attendre. Il s’agit d’un titre purement instrumental, que l’on verrait bien comme bande sonore d’un film à forte tendance dramatique. Je revois personnellement défiler les images de « Barry Lyndon ». Le peu de variations de rythmes et d’accords rend l’exercice d’écoute simple et efficace, parfait pour camper l’atmosphère générale de l’album.

La voix de Jimmy Hunt fait son apparition sur Les étoiles et nous transporte dans une ambiance jazzy, tamisée. Cette voix nous emmène d’ailleurs dans un voyage musical énigmatique, qui collerait parfaitement, dans ce cas-ci, à un film policier plutôt vintage. Les sonorités aussi sont très vintages : Moog, claquements de doigts et percussions feutrées, tout y est. Le titre s’étire sur plus de cinq minutes. Voyez cela comme de l’écoute onirique sur le thème de la contemplation.

Les morceaux suivants se suivent et se ressemblent de plus en plus. C’est comme si on suivait un opéra avec différents mouvements, toujours teintés de la même essence sombre et planante, à quelques exceptions près. Ainsi, dans Bébé, les longues notes maintenues au clavier amènent le côté planant, mais la guitare très claire est quant à elle en parfait contraste avec le reste de cet album tout de même assez sombre.

Pour Idiot, retour au ton général de l’album. Jimmy parle de divers sujets de façon très sarcastique avec sa douce voix aiguë sur fond de mélodie triste. « Je suis cet imbécile heureux », nous susurre-t-il doucement à l’oreille. On peut y voir une métaphore sur la simplicité de vivre et de ressentir les choses. Chacun interprètera sûrement cette pièce à sa façon, mais on ne peut certainement pas rester de marbre face aux émotions projetées par cette œuvre teintée de vulnérabilité et d’harmonies envoûtantes, toujours campées par les claviers aux notes prolongées qui nous tiennent en haleine. Poète commence sur la même lignée que les chansons précédentes, sombres et suaves. Tout est feutré, que ce soit les claviers sortis tout droit des années 1980, la guitare sur le trémolo, ou encore les lignes de basses très minimalistes. Ce mélange est très réussi, bref clin d’œil à l’album « Jazz engagé » du premier groupe de Jimmy, Chocolat.

L’éternité clôt ce voyage transcendantal et nous laisse une douce impression de relaxation et de méditation. Définitivement, Jimmy nous livre un album plus niché que les autres, atypique, mais que lui seul est capable de livrer avec tant de talent et douceur.

Gros-bec

Contrairement à son album jumeau, ce millésime est énergique, comme si les arrangements et les structures étaient taillés dans une matière plus brute mais tout autant mélodique.

Ça débute avec la pièce Si. Durant ce morceau, le marimba apporte une touche exotique à la chanson. C’est très down tempo, comme si tous les codes musicaux habituels fonctionnaient au ralenti. À l’image de l’album en général, on joue beaucoup sur la répétition, et les paroles haut perchées dans les octaves sont répétées en boucle.

Avec Tout nu dans la baie, la répétition est toujours présente, et on s’enivre à l’écoute de ces paroles sur fond de synthétiseurs très psychédéliques. La voix de Yuki Berthiaume-Tremblay (Yocto, Jesuslesfilles) qui l’accompagne est aussi très charnelle, et nous emmène un peu plus loin dans cette farandole d’érotisme sur fond de mélodies psychotropes. Plus la chanson avance, plus la guitare jouant sur la distorsion et la lourde basse prennent de la place, jusqu’à déconstruire le rythme des claviers et terminer dans un chaos structurel. Aussi étrange que cela puisse paraître, je trouve que c’est le titre le plus accrocheur de l’album, avec Merci pour ton livre.

On enchaîne avec la pièce Gelée. Cette fois-ci, on ressent très fortement les influences de la musique française à la Christophe ou Polnareff. Les arrangements de claviers, xylophone, basse et percussions en tous genres nous font revisiter ce genre de pop expérimentale typique des années 1980. C’est très doux, le genre de musique qui s’écoute en regardant la pluie tomber, avec une bonne coupe de vin à la main.

Dans Idiot fall, assez rythmée, on joue encore sur la répétition et les rythmiques down tempo. Cette chanson est clairement un miroir de la chanson Idiot de « Royaume », en version plus grasse et trash. Dans cette jumelle maléfique, le marimba et la guitare électrique ajoutent un côté enjoué à la pièce, qui est posée sur un fond de clavier qui nous tient en haleine – c’est quasiment de la drone music.

Des versions miroirs, on en retrouve d’ailleurs plusieurs sur ces albums : c’est le cas pour Les étoiles, Bébé et Idiot / Idiot fall. On sent que Jimmy a été mis face à un dilemme lors de la réalisation des deux albums. C’est comme si les textes avaient été écrits pour ne faire qu’un seul album, mais qu’au moment d’enregistrer, le choix entre les versions avait été trop difficile à faire. Ainsi, le ressenti de chaque chanson « jumelle » est très différent, tant par les rythmes, les arrangements et les instruments choisis.

Le dernier titre, Merci pour ton livre, est groovy à souhait ; on y retrouve les accents de Chocolat. Les instruments et voix apparaissent et s’effacent progressivement dans ce chaos mélodique. Le doux chant répétitif, quant à lui, finit par laisser place à la parole « parlée » et une sorte de remue-méninges humoristique, qui aurait très bien pu réellement se dérouler en studio : « La question ce serait…ouin c’est cool…on fait tu durer ça ? On build un instrumental dessus? Je dis tu la phrase, tsé 25 fois, ou une? C’est le genre de question que j’ai, j’essaie d’imaginer comment dans l’univers des possibles, tsé comment baliser ça moindrement…»

Je pense que ça résume l’état d’esprit dans lequel les deux albums ont été bâtis : des passages instrumentaux qui se construisent et déconstruisent au fur et à mesure que la chanson avance, avec des paroles suaves que l’on répète en boucles des dizaines de fois jusqu’à ce qu’elles vous rentrent dans la tête et n’en ressortent plus. « Gros-Bec » reste un gros coup de cœur pour moi.

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