Daniel Bélanger au Grand Théâtre : Les insomniaques rêvent mieux dans le désordre

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Artiste touche-à-tout qui n’a jamais accepté de faire du surplace, Daniel Bélanger a toujours su se réinventer et demeurer pertinent même après trente longues années de carrière derrière la maudite calotte. Il a brouillé les cartes de la folk-pop avec « Les insomniaques s’amusent », un premier album sorti quand même sur le tard (il avait déjà 30 ans). Ses deux albums suivants, « Quatre saisons dans le désordre » (avec ses quatre pochettes différentes) et (surtout) « Rêver mieux » ont permis à la scène musicale québécoise mainstream de faire un bond de 20 ans et nous permettre de débarquer au 21e siècle en même temps que le reste de la planète. Il a depuis sorti des albums concepts (« Déflaboxe », entre autres), fait une petite incursion dans le rockabilly (le sous-estimé « Chic de ville ») et proposé quelques albums qui n’ont pas eu l’immense succès des trois premiers malgré leurs grandes qualités.

Avec « Paloma », sorti en 2016, le Bélanger des grands jours est réapparu. L’année dernière, il a donné un concert mémorable à La Noce (que des hits!), où il nous a annoncé qu’il avait du nouveau matériel en route. Le revoilà donc avec « Mercure en mai », paru chez Secret City Records. Un album encensé par la critique et apprécié autant des fans de la première heure que des jeunes pousses qui ont été bercées par les albums de leurs parents. Bien sûr, Bélanger était impatient de monter sur les planches pour défendre ses nouvelles tounes, et le voilà en tournée. Une tournée qui a commencé ici, au Grand Théâtre de Québec, les 22 et 23 avril derniers.

Accompagné de quatre musiciens chevronnés (Philippe Brault à la basse, José Major à la batterie, Jérôme Beaulieu aux claviers et Guillaume Doiron à la guitare, quatre barbus aux styles aussi différents que les poils sur leurs visages), Bélanger a livré un généreux spectacle qui a duré près de deux heures sans entracte.

Bien sûr, il a fait la part belle aux pièces de « Mercure en mai », qui se sont glissées aisément dans le programme entre les nombreux vieux classiques. Que ce soit le ver d’oreille J’entends tout ce qui joue (dans ta tête), la belle Soleil levant, la très actuelle Il faut s’accorder ou la rêveuse Dormir dans l’auto, on a pu se rendre compte que l’auteur-compositeur-interprète a toujours une des plus belles plumes au Québec. Et que dire des magnifiques mélodies, qui nous ont fait planer comme dans l’temps?

Les plus vieilles chansons ont également eu beaucoup de place, surtout celles de « Quatre saisons dans le désordre » (Sortez-moi de moi, qui n’a pas pris une ride malgré des presque 30 ans, Imparfait, toujours aussi touchante, Respirer dans l’eau… c’est exactement ce que j’ai fait en tentant de respirer à travers mes larmes chargées d’émotions de toutes sortes, Les temps fous, qui m’a fait pleurer autant et Les deux printemps) et « Rêver mieux » (Chante encore reste une des plus belles chansons du répertoire de Bélanger, Te quitter, Intouchable et immortel avec ses projections complètement WOW, Dans un spoutnik, aux paroles renouvelées parce qu’on est rendu.es huit milliards de solitudes, Fous n’importe où et la pièce titre, qui se chante toujours en choeur). C’est fou combien toutes ces pièces ont pris zéro ride, combien elles sont toujours dans l’air du temps, combien elles demeurent à la fois si personnelles tout en touchant tout le monde. Il a même ressorti Tu peux partir, de l’album « Nous » (qui mérite que vous y replongiez), une pièce bouleversante qui a provoqué chez l’auteur de ces lignes une énième crise de larmes. Ce qui étonne, c’est le peu de place laissée aux pièces de son premier album, « Les insomniaques s’amusent ». Il aura fallu attendre au deuxième rappel avant d’entendre une pièce de ce classique et non, c’était pas Sèche tes pleurs (probablement pour Bélanger ce que Creep est pour Radiohead, alors si jamais vous l’entendez en show, sentez-vous privilégié.es), ni Opium. Nope, c’était tout simplement La folie en quatre avec sa finale toute simple : « Je t’aime. »

On parle en long et en large de ce que Bélanger a joué, mais on pourrait aussi parler des pièces qui n’ont pas figuré dans ce généreux programme, qui n’avait pas de place pour les Cruel ou Le parapluie. On pourrait bien chialer un peu, mais qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse? Qu’il joue pendant quatre heures? Daniel n’est pas Bruce, du moins pas encore! C’est fou quand on y pense, avoir le luxe de laisser de si belles chansons de côté parce qu’on en a tellement d’autres à présenter! D’un autre côté, on se dit que si on retourne voir ce show-là à l’automne, on risque d’avoir un programme juste assez différent. À suivre!

Même s’il s’agissait des deux premières soirées de cette longue tournée (qui reviendra à Québec cet automne), on sentait déjà une grande chimie entre Bélanger et ses musiciens. Doiron faisait l’amour à sa guitare, Beaulieu avait tellement de fun derrière ses claviers qu’on aurait cru un Bobblehead, Brault maniait sa basse avec la même fluidité que Légaré et Lemieux le faisaient dans l’temps et Major, ben a-t-on besoin de dire qu’il est un des batteurs les plus beaux à voir jouer dans nos contrées? Ça se regardait, ça se souriait, ça riait les rares fois où Bélanger oubliait une ligne (on était là pour te backer, Daniel), tout ce fun-là était contagieux.

Le dispositif scénique était assez impressionnant pour un show québ. Des télés qui se tournent à la Radiohead, des projections dessinées à la main (dont le plus joli mur de « DEL » que j’ai jamais vu) avec amour et tendresse, beaucoup de couleur, tout était parfait pour l’univers planant de Bélanger.

Ce dernier a toujours une des plus belles voix de chez nous. Bien sûr, à 61 ans, il se ménage un peu, mais le range et la justesse sont toujours là. C’était beau de le voir là, visiblement touché par l’accueil plutôt assommant (mettons qu’on a applaudi pas mal fort les deux soirs), il ne cache plus sa timidité avec de longs monologues absurdes (et drôles) comme il le faisait au début de sa carrière, même si on a senti à quelques reprises qu’il avait envie de se lancer dans de longs discours. Il a plutôt fait le contraire en étant extrêmement concis, question de laisser toute la place à ses jolies chansons. Ce qui n’a pas empêché les « On t’aime Daniel! » et les « Moi aussi! » de se faire entendre.

Je pense que c’est ce qu’on aime le plus de Bélanger. C’est un géant, un monument de notre scène musicale. Une source d’inspiration pour les générations qui l’ont suivi. Pourtant, malgré sa stature, on a l’impression qu’il punche in quand il monte sur scène pour faire sa job, une job qu’il adore visiblement. Sans grands artifices, sans avoir à attirer l’attention en faisant toutes sortes de niaiseries. On le sent proche de nous, proche de nos préoccupations. Il vit dans le même univers, il subit les mêmes épreuves, il ressent les mêmes émotions. Je me demande si après le spectacle, il a appelé sa partenaire pour lui raconter son shift. Je ne serais pas surpris : « Ouais, t’aurais dû voir ça, y’a plein de monde qui prétendait que c’était sa fête à soir, je me suis pas cassé la tête, j’ai souhaité bonne fête à tous les spectateurs. » Après, il a dû raccrocher, manger une poutine, jouer à la Switch avant de dormir, les poings fermés, satisfait du travail accompli.

Si les billets étaient loin d’être donnés (t’as quatre shows au Pantoum pour le prix d’un show de Bélanger), ils valaient chaque cent. On est repartis du Grand Théâtre la tête dans les étoiles et dans le vide. S’il pleuvait le dimanche, le samedi, le vent était doux… et on hallucinait un peu.

On était vraiment intouchables et immortel.les.

Prochains spectacles à Québec et dans les environs

  • 20 juillet, Le Festif! de Baie-Saint-Paul
  • 12 août, Festival Colline, Lac-Mégantic
  • 31 août et 1er septembre, Grand Théâtre de Québec
  • 14 octobre, Auditorium du Cégep de Lévis

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