Les gens qu’on aime
(La maison fauve)
Six ans après « Le silence des troupeaux », trois ans après avoir lancé qu’il s’en allait se cacher quelque part, Philippe Brach est sorti de sa tanière pour nous offrir « Les gens qu’on aime », un quatrième album qui se place très, très haut dans la discographie de l’auteur-compositeur-interprète saguenéen. On sait pas si c’est l’air de L’Ascension, (pas le petit village du Lac-Saint-Jean qui sent les fleurs des Jardins Scullion, mais l’autre, dans les Hautes Laurentides) où il a écrit et composé l’album, mais diable que notre grand bougre était inspiré!
Celui qui s’est déjà dit plus influencé par ce qui se passe dans le monde que la musique qu’il écoute (peu) nous offre ici onze pièces, toutes solides comme le rock, dans un univers sonore que Brach occupe tout seul, loin des étiquettes et des références. C’est la force de Philippe : chaque fois qu’il nous sort du nouveau, on n’a pas cette impression de déjà entendu qui nous frappe de plus en plus, ce qui ne veut pas dire que sa musique est complètement champ gauche.
« Les gens qu’on aime » est une suite logique de l’album précédent, qui reposait lui-même sur « Portraits de famine ». Avec Brach, c’est pas juste un album qu’on peut écouter d’une traite, c’est toute sa discographie au grand complet. Coréalisé avec Gabriel « La controverse » Desjardins, ce quatrième effort est rempli de ces petites choses qu’on aime : des arrangements riches et complexes, des lignes mélodiques uniques, des textes pleins de sensibilité dans lesquels on se retrouve.
Difficile de ne pas rire un peu jaune dès le début de l’album, quand Brach lance un « Les gens qu’on aime vont tous mourir », avant de partir à rire et de se lancer dans la pièce-titre, une instrumentale un brin orchestrale. Pourtant une évidence (ben quoi, on va tous mourir, c’est inévitable), cette phrase installe un petit malaise à la Philippe, nous invitant à rester sur nos gardes tout au long de cet album.
Musicalement, même si les racines folk de Brach ne sont jamais loin, les onze pièces que propose l’artiste montre que sa palette de couleurs a pris de l’ampleur. Y’a un bon beat un peu chilleur sur Last Call, une très subtile touche de blues dans Tic tac, des guitares croquantes sur Un peu de magie, et Révolution (la chanson) est probablement la pièce la plus pop que Philippe nous a jamais offerte. Y’a aussi Ôk Canada, une déconstruction de notre hymne national chantée dans les deux langues comme au Forum. Un grand malaise downtempo qui nous rappelle, volontairement ou pas, les pensionnats autochtones et la destruction du territoire que ces belles personnes partagent avec nous, tout ça avec l’encouragement (et les instructions) de notre « bon » gouvernement. Plus subtil que Mes mains blanches, de l’album précédent, mais ça fait aussi mal (peut-être même un peu plus parce que sérieux, cette sobriété est déroutante).
En plus d’un solide band (Robbie Kuster à la batterie, Étienne Dupré à la basse, Nicolas Basque et Guillaume Bourque à la guitare, Gabriel Desjardins aux claviers), Brach a fait appel à un orchestre presque complet (on ne les nommera pas, sinon on va être encore ici dans trois jours) et à quelques voix bien assurées, dont celle des Deuxluxes. Il dit que ça a été enregistré live, tout le monde en même temps, il nous demande de lui pardonner les petits écarts, mais sérieux, ça sonne comme une tonne de briques. L’album le plus riche que j’ai entendu depuis un bout.
Je me suis gardé le meilleur pour la fin : les textes. Après avoir passé quelques semaines avec Keith Kouna, un des plus grands auteurs de sa génération, la chute n’a pas été brutale, loin de là. Philippe Brach est d’abord et avant tout un poète, les textes de ses chansons sont plusieurs coches au-dessus de la moyenne et montre sans l’ombre d’un doute qu’on peut, en 2023, écrire des textes magnifiques dans une langue colorée, imagée et vivante sans tomber dans la facilité. C’est pas écrit avec un dictionnaire des synonymes ouvert sur les cuisses, c’est écrit avec le coeur. « Les arbres titubent leur plus belle danse comme un moshpit au ralenti », lance-t-il au tout début de Last Call. Même quand les chansons sont peu bavardes, y’a des perles, comme sur Soleils d’automne et Tu veux te tuer, c’est bien ça? (maudit qu’on est loin de Salut, Salaud de Vilain Pingouin quand il est question de suicide). Ce dude-là a cette sensibilité à l’égard du monde qui l’entoure (et quand je parle du monde, je parle de la planète entière), une sensibilité qui vient nous toucher droit au coeur.
Ce qui est le fun avec Philippe Brach, c’est qu’on ne pourra jamais parler « d’album de la maturité ». Philippe se promène entre l’innocence de l’enfance et la crise d’adolescence, et c’est très bien ainsi. Reste que « Les gens qu’on aime » est son album le plus réussi, celui qui colle le mieux au personnage (qui n’est vraiment pas loin de la personne). C’est une oeuvre complète, originale, parfois rigolote, souvent touchante, magnifique pour ses textes comme pour ses mélodies.
Une longue tournée a été annoncée, Brach va jouer près de chez vous dans la prochaine année. Plus près de Québec, ça donne ceci :
- 20 octobre aux Grands Bois (St-Casimir)
- 1et et 2 décembre au Théâtre Petit-Champlain
Les billets sont déjà en vente.