Gabrielle Shonk – « Across the Room »

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Si vous nous lisez depuis un bout, vous n’êtes pas sans savoir que Gabrielle Shonk aime prendre son temps. L’autrice-compositrice-interprète de Québec nous avait fait languir avant la signature de son premier contrat de disques, puis elle nous avait fait patienter longtemps avant la sortie de son album album homonyme… il y a de cela plus de cinq ans.

C’est pas qu’elle n’a pas essayé d’écrire son deuxième plus tôt, mais vous savez, la vie de musicien.ne, c’est pas de tout repos, Il y a la pression de la maison de disques, qui veut du nouveau matériel à promouvoir rapidement, les shows qui occupent une bonne partie de notre temps, le stress associé à la vie d’artiste, on ne s’étonnera pas d’apprendre que le processus créatif de Shonk en a arraché un brin.

Pour l’artiste, la pandémie a été une bénédiction. Confinée à la maison avec rien d’autre à faire (OK, elle a probablement fait son propre pain, comme tout le monde), Shonk s’est remise à jouer, pour le fun, et les idées ont déboulé. Entourée de ses deux amis Jessy.e (Jessy Caron et Jesse Mac Cormack, qui a aussi réalisé l’album), elle s’est amusée avec toutes sortes de sonorités, et elle a fini par trouver un univers dans lequel elle se sentait bien.

Le résultat? « Across the Room », un deuxième album qui marque une évolution importante chez l’artiste tout en restant fidèle à ses racines. Le folk-pop teinté de soul des débuts est toujours là, mais la palette s’est grandement élargie. Et même si on pense que Mac Cormack, qui a lui-même effectué un important virage vers des sonorités plus électroniques il y a peu de temps, a un petit quelque chose à voir là-dedans, on peut affirmer sans hésiter que cette palette enrichie correspond beaucoup mieux à la Gabrielle Shonk qu’on croise un peu partout à l’arrière des salles de Québec et qui trippe sur pas mal toute la musique qu’elle entend.

« Across the Room », c’est un album très introspectif qui parle de peur, d’insécurité, du besoin de plaire à tout prix. C’est une émotion différente sur chacune des onze chansons de ce généreux effort (de 40 minutes). On pourrait penser que c’est triste et mélancolique, mais au contraire, il y a derrière cette douce mélancolie un soleil qui brille très fort, un espoir que les choses prendront du mieux, que nos expériences difficiles feront de nous une meilleure personne et qu’on a bien appris de ses erreurs.

Musicalement, oui, on reste pas mal dans le easy listening. C’est pas Shonk qui va vous surprendre avec un morceau hardcore entre deux pièces aux accents R&B. Mais Gabrielle et ses drôles de garçons sont parvenu.es à trouver les sonorités parfaites pour exprimer l’émotion principale de chaque pièce, et on navigue entre ces chansons avec un plaisir qui grandit à chaque écoute.

Une pièce comme How We Used To Be ne déroutera pas les fans du premier album. La trame mélodique est simple, nous rappelant les débuts de Shonk. La très soul Remember To Breathe est aussi fidèle à ce qu’on a déjà entendu, mais plus on avance, plus on remarque certaines subtilités. Des textures plus enveloppantes, par exemple, qui appuient solidement les émotions que l’artiste a voulu transmettre.

Ça s’entend davantage sur la toute nue Lately, et sur la langoureusement dansante Out Of The Blue, une des plus belles pièces de l’album, qui nous montre une Shonk dans un univers complètement différent. Cette pièce atmosphérique va comme un gant à Gabrielle. Aftertaste a un petit côté folktronica du début des années 2000, des petits airs de toune de Beth Orton avec une touche très twenties. Et que dire de People Pleaser, avec ses pets de guitoune franchement indie (ne vous fiez pas à la première minute de la chanson, dès que le beat embarque, c’est irrésistible), son côté très lo-fi, on a ici un hit sur mesure pour les campus radios de partout (et là on se met à rêver de voir Gabrielle se taper un Tiny Desk Concert à NPR).

Et oui, il y a une pièce dans la langue de Leloup ici, la très jolie Quand le calme reviendra, qui parle de l’après-pandémie, quand la folie qui s’est emparée de nous se résorbera enfin (peut-être). Une pièce toute en questions, où on sent à la fois l’inquiétude et l’espoir d’un être humain qui veut retrouver un peu de lumière après cette période qui a été très sombre pour pas mal tout le monde.

« Across the Room » est un album réussi. Gabrielle Shonk a fait beaucoup de chemin depuis son premier effort. La base était déjà là : le sens mélodique, les textes personnels, cette voix reconnaissable entre toutes, mais tout ça a évolué d’une manière qui ressemble davantage à cet être humain complexe qui n’est pas qu’un artiste folk-pop. De toute façon, les étiquettes, ça va sur le linge (pis encore là…).

Un magnifique album tout en finesse et en nuances. Une liberté retrouvée avec une maison de disques (Arts & Crafts) qui laisse beaucoup de place à ses artistes. Avec cette liberté et ce soutien, mais surtout avec tout son talent, on a l’impression que 2023… et 2024 vont être de grosses années pour Gabrielle Shonk. Ne soyez pas surpris.es de la voir partager des affiches de gros festivals américains avec des groupes originaires d’ici comme Men I Trust en 2024. Pour piquer un vieux slogan de l’Université Laval : « Aujourd’hui Québec, demain le monde. »

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