Une pierre de plus sur le chemin de Mon Doux Saigneur

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Il y a parfois quelque chose de mystérieux, voire magique dans certaines rencontres entre un album et un être humain. Vous voyez tou.te.s de quoi je parle: ces albums qu’on écoute inlassablement à certaines périodes de notre vie, sans pouvoir vraiment comprendre pourquoi, non seulement parce qu’ils sont bons mais aussi parce qu’il fallait être au bon endroit au bon moment pour s’y retrouver. J’ai vécu ce genre d’expérience avec « Fleur de l’Âge », le troisième d’Emerik St-Cyr Labbé et son band, alias Mon Doux Saigneur. Je vais tenter ici de mettre mon enthousiasme personnel de côté pour me concentrer sur la qualité de l’œuvre.

« Je marche d’un pas de plus en plus libre », nous chante-t-il dans Flou. C’est une phrase qui résume assez bien la direction de cet album : on sentira tout au long de ses 33 minutes un affranchissement des angoisses, quelque chose d’apaisé nous est offert. J’y suis entré d’abord un peu intrigué par la direction que je qualifierais de « radiophonique vintage » : des chansons très simples, courtes, aux structures classiques, et une réalisation très clean. J’ai assez vite compris que cette sobriété met en scène une mise à nu assez nouvelle pour Mon Doux Saigneur, qui en assumant ici un country-rock décomplexé, assume dans le même temps un regard léger sur la vie.

Les textes sont lumineux. Ici, on sourit simplement, on dit les choses sans détour, un simple « j’m’ennuie d’te causer » (Jojo), ou un « tu m’as manqué, viens donc prendre l’air » (Art vivant) suffisent à communiquer les sentiments et à nous toucher. On est passé de « On est pas rendus à se dire qu’on s’aime » (Tempérance, 2019) à « Je t’aime », tout simplement.

Chaque chanson prend vite sa place dans la mémoire au fil des écoutes: Shoegaze et son krautrock doux-énergisant (addictif), Fleur de l’Âge et son très entêtant refrain mélancolique, Art Vivant et sa joie contagieuse, ou Jojo, que je fredonne sur mon vélo à l’infini depuis la sortie de l’album. C’est une chanson dans laquelle il nous chante ses manques depuis la pandémie, dans laquelle il aborde l’impact de cette période sur le monde de la musique, toujours avec tranquillité, ou même naïveté:

J’mennuie de conduire, j’mennuie d’te causer, j’mennuie de dormir dans mon char.

Jojo

La voix d’Emerik est toujours trainante, avec cette langueur qu’on lui connait. Mais une langueur qui est cette fois-ci au service d’un hédonisme calme. Le contraste entre nonchalance et mélodies directes crée un sentiment de pureté quasiment surréaliste, comme halluciné.

La réalisation, assurée par Emerik lui-même et J.B Pinard, va dans le sens d’un ton résolument catchy et décomplexé, tout en enveloppant l’ensemble d’une douceur étrange. Cet album sonne comme un bonbon réconfortant, tout y est comme ralenti, entouré d’un nuage rosé qui souligne l’insouciance des textes. Le pedal-steel de David Marchand est un personnage à part entière. Omniprésent, il semble répondre à chaque phrase du chanteur, et illustrer ses propos par des interventions toujours très justes. La guitare impeccable de Elliot Durocher-Bundock apporte une touche rock, ou bluesy à la manière de JJ Cale, un son qui est désormais une signature chez Mon Doux Saigneur. On retrouve aussi Mandela Coupal-Dalgleilsh, fidèle batteur du projet, ainsi que Cédric Martel à la basse, nouveau dans le groupe, qui lui aussi, par son jeu épuré, contribue au charme de l’ensemble. J’admire cet équilibre dans les arrangements, on sent que la complicité du groupe s’est bâtie sur une longue période, et c’est aussi pour cette raison que l’album est si émouvant.

Rendre visite à un vieil ami inspirant, dire je t’aime pour la première fois, s’ennuyer des tournées, exprimer un bonheur amoureux: voilà où nous promène « Fleur de l’Âge », qui assume sa simplicité avec beaucoup d’enthousiasme. Nombreuses y sont les phrases au premier degré, qui ne cachent rien de plus que ce qu’elles disent, une belle ode à l’acceptation de soi-même et un dévoilement qui tape dans le mille. Alors que le chanteur nous avait habitués à des textes plutôt métaphoriques, voilà qu’il exprime ici les choses directement, avec une sincérité qui m’a touché dès la première écoute.

Mon Doux Saigneur fait partie à mon sens de ces artistes, assez rares, qu’on sent grandir à chaque album, et qui finissent par nous accompagner toute notre vie. Ainsi, après les errances du premier album éponyme et les questionnements d’« Horizon », son second opus, on accède ici à une certaine sagesse propre à la trentaine. On sent que les musiciens ainsi que l’auteur ont changé, et chacun des albums de Mon Doux Saigneur semble être le témoin d’une période de la vie (j’ai déjà hâte au prochain). En intitulant « Fleur de l’Age » ce nouvel album, Emerik ne se trompe pas, et semble nous dire que n’importe quel âge est le plus beau. Comme il le chante si bien : «le secret de l’âge c’est d’être heureux ici», chacun.e ayant son propre ici ajouterait-on. Une joyeuse et lucide acceptation du temps qui passe.

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