Cette chronique met en lumière les fxmmes que l’on croise à travers les scènes locales.
Il suffit de se promener dans les spectacles et les festivals pour se rendre compte que la parité homme-femme s’atteint doucement. Que celles-ci soient techniciennes, artistes, journalistes ou agentes, ces fxmmes représentent une évolution notable et positive dans l’industrie musicale d’aujourd’hui.
Cette chronique se veut inclusive, nous utiliserons donc le terme alternatif fxmmes pour désigner les femmes cis et trans, les personnes non-binaires, les personnes bi-spirituelles et en particulier celle et ceux qui proviennent des minorités visibles, dans une perspective d’intersectionnalité.
Émilie Rioux est une référence journalistique lorsqu’on parle de radio à Québec. Présente sur les ondes de CHYZ depuis une dizaine d’années, elle participe à la culture et à l’émergence de la scène musicale d’ici. Présente dans les festivals, les lancements et les spectacles, Émilie a fait tomber les murs du studio de la radio universitaire pour se rendre directement sur le terrain. Voici l’entrevue passée avec celle qui est depuis toujours soupçonnée de façonner des clones dans son 4 et demie de Limoilou pour couvrir avec autant de présence et ferveur le bassin culturel de Québec.
On te connait principalement pour ton travail à CHYZ. Quel est ton métier à proprement parler ?
Mon titre officiel est Directrice des Arts. Je travaille à CHYZ depuis 10 ans à titre d’animatrice, collaboratrice, et depuis 6 ans en tant qu’employée. J’ai commencé lorsque j’étais à l’université, ce qui fait de moi la plus ancienne de l’équipe toutes catégories confondues ou presque ! C’est la raison pour laquelle les gens m’associent facilement à cette radio.
Ma description de tâche, que je me suis brodée au fil de temps, est d’animer une émission quotidienne d’art et de culture lors des heures du retour à la maison qui s’appelle Chérie, j’arrive.
Ma mission première à CHYZ est de donner une plateforme à un maximum d’artistes possible et de montrer qu’il y a d’autres moyens de faire de la radio en dehors des émissions parlées et d’opinion.
Mon autre responsabilité est de faire rayonner cette radio et de me servir de toutes les facettes possibles de ce média pour faire briller toutes les sphères de l’art et de la culture à Québec.
Comment en es-tu venue à exercer ce métier ?
J’ai étudié en théâtre à l’Université Laval et j’avais déjà un intérêt pour les communications. Quand je suis arrivée à l’université, j’ai frappé à la porte de CHYZ en disant : « Salut, je veux être chroniqueuse ! Est-ce que je peux faire des critiques de théâtre ? ». La personne qui y travaillait à l’époque, Joëlle Cloutier, a approuvé ma demande et j’ai ainsi fait ma première chronique à la radio.
Après ça, je m’y suis accrochée pour parfaire l’exercice. Ensuite, le théâtre a découlé sur la musique, puis tout le reste s’en est suivi.
On te voit aussi arpenter les festivals durant l’été, quel est le projet derrière tout ça ?
C’est le projet où j’ai décidé que CHYZ deviendrait loud et serait vu partout. C’est aussi le moment où je trouvais que la radio n’avait pas beaucoup d’attention. J’ai décidé que, l’été, je ne resterais pas embarrée dans un studio sous-terrain sans fenêtre et que j’allais voir le jour en faisant ce que j’aime le plus, c’est-à-dire : voir le monde.
On a demandé un financement pour avoir un studio mobile, puis on est parti sur les routes pour courir les festivals et être littéralement dans le feu de l’action.
L’été, ma tâche est d’organiser une tournée. Je dois prévoir le déplacement, les hébergements, les partenariats, les différents festivals et, bien sûr, faire les entrevues.
Pour tes émissions, comment choisis-tu les artistes que tu vas présenter ?
C’est rarement moi qui vais vers l’artiste ou l’agent, c’est l’inverse. On est assailli de messages, on n’a généralement pas le temps de faire le move d’aller vers l’artiste, car on passe notre journée à trier les offres. Parfois, dans les demandes, j’ai des coups de cœur, c’est sûr !
Souvent, les offres arrivent avant même qu’on sache qu’un album va sortir. L’éditorial se fait avec le oui ou le non que je donne aux maisons de disques et aux agents. C’est eux qui font la job d’accoster les médias.
La presse radio est souvent le premier média auquel les jeunes artistes sont confrontés à Québec. Vois-tu une évolution depuis les cinq dernières années sur le nombre de fxmmes artistes ?
Actuellement à Québec, s’il y a plus de femmes, c’est dans la nouvelle vague. C’est vraiment le fun, car c’est rafraichissant. On sent qu’il a de la force et que ça pourrait être la locomotive qui va en tirer d’autres. J’ai l’impression que c’est quelque chose qui existe à Québec, mais je ne sais pas si ailleurs, dans la scène musicale québécoise, de manière générale, on peut dire la même chose.
Trouves-tu que les programmations à la radio à Québec sont paritaires ?
Il n’existe absolument aucune règle pour la parité homme-femme dans les programmations en radio et celle-ci n’est vraiment pas atteinte.
Ce n’est pas égalitaire, et pourtant, je ne pense pas qu’on manque de projets faits par des fxmmes. C’est facile de faire une programmation uniquement féminine et sans se répéter. Ça m’est arrivé de faire des playlists et de me rendre compte à la fin qu’elle était exclusivement féminine. Comme quoi c’est possible de le faire. Est-ce qu’il y a un effort ces temps-ci pour aller dans cette direction ? Absolument pas. Je pense que le premier effort est mis sur la musique locale et après ça on pourra peut-être demander un effort supplémentaire pour la parité et la mise en valeur de la musique au féminin, comme le fameux mouvement Femme en musique.
Le mouvement Femme en musique a commencé en juin 2017, lorsque plusieurs artistes femmes ont publié une lettre ouverte pour dénoncer l’inégalité dans l’industrie musicale. Ce mouvement souhaite établir un nouvel équilibre dans le monde musical au Québec. Je vous invite à lire leurs revendications ici : https://lezspreadtheword.com/fem-le-mouvement-femmes-en-musique/.
Depuis, quelques changements ont eu lieu, comme dans les programmations paritaires dans les festivals, mais il reste encore beaucoup de travail pour arriver à une égalité parfaite.
Le rôle de la femme en radio est souvent apparenté à être coanimatrice. La place des femmes semble davantage mise en avant dans les radios communautaires, universitaires (CKRL, CKIA, CHYZ) et d’état (Radio Canada). Penses-tu que cette vague de renouveau atteindra les radios dites plus commerciales ?
D’après moi, ça va être encore excessivement long. J’ai des exemples concrets autour de moi, qui me prouvent que lorsque les femmes ont une place dans les radios, elles ne sont pas mises en valeur à la hauteur de leurs talents.
Je pense qu’il y a des personnes d’une certaine génération qui sont habituées à voir ce milieu tapissé d’animateurs masculins parce que ça a toujours été comme ça. Et peut-être qu’inconsciemment ils ne sont pas portés à engager davantage de femmes.
Penses-tu qu’on puisse quand même y voir une évolution ? Pour toi, quelles seraient tes solutions pour qu’on puisse entendre de plus en plus de femmes à la radio ?
Une grande masse de la population écoute les radios commerciales. À cause de ça, je suppose qu’ils ont du mal à faire des changements et à prendre des risques, car ça peut leur couter cher lors de la vente des publicités et aussi occasionner une baisse d’auditoire. Pourquoi changer une recette qui fonctionne, hein ?
Il y a tellement d’entraves à ce changement-là, que je suis plutôt cynique, mais je pense que si les femmes ont à se faire une place en radio, elles vont devoir le faire à grands coups de pied dans la porte. Il n’y aura pas d’autre moyen, ni de manière insidieuse de rentrer dans le marché et faire ça calmement.
C’est comme dans tous les domaines, il va falloir avoir une femme dans un poste super important pour qu’on espère voir une évolution.
La raison pour laquelle j’ai réussi à me faire une place c’est parce que les gens autour de moi ont apprécié la manière que j’ai d’être journaliste. Il serait peut-être important de souligner le travail des gens qu’on apprécie en leur donnant une tribune, et si c’est une femme, c’est tant mieux ! On ferait un pas vers la conscientisation dans le domaine des médias. Ça aiderait peut-être à ouvrir le débat de la parité en radio.
Dans cette série d’entrevues, les femmes avec lesquelles j’ai discuté ont souvent abordé le sujet de la légitimité. Est-ce que ça a été ton cas ? Est-ce que tu t’es toujours sentie légitime dans ton travail d’animatrice ?
Je me suis toujours sentie légitime. Il y a peut-être des gens qui me détestent à cause de ça d’ailleurs, car je suis all over the place (rires). Je pense qu’on a une mission concrète de représenter un exemple. Je suis une fille, en radio, qui a carte blanche à une heure de grande écoute.
J’ai l’impression que la seule manière d’avoir cette liberté et de défendre ses projets c’est vraiment de se dire : je suis là parce que j’ai ma place. Il faut que je travaille plus que les autres. Il faut que je marche plus fort pour que le sentier soit bien tapé.
J’ai remarqué que dans le milieu de la musique, en tant que professionnelle ou amatrice, il y a le phénomène de la « groupie » qui entre parfois en jeu à cause de notre genre. L’as-tu déjà ressenti ?
Il faut prendre conscience que dans le milieu artistique, la séduction est omniprésente, je ne sais pas par quoi c’est provoqué, mais c’est toujours là. Mon côté caractériel est peut-être trop éloigné de l’image dont on se fait de la groupie idéale, mais en me tenant avec des bands, j’ai déjà pu ressentir ce phénomène.
Dans ce milieu, il faut tisser des liens avec les artistes et les équipes, et j’ai souvent eu l’impression que certaines personnes pouvaient se dire : « Ah ouais, elle, elle joue la groupie, c’est la fille qui essaye d’user de ses charmes pour que les membres du band la trouvent cute et pour qu’elle puisse se faire une place dans le milieu en sortant avec un musicien. »
Il n’y a rien de plus important que la confiance entre une intervieweuse.eur et la personne en face. Si tu veux avoir une bonne entrevue, et avoir du bon matériel, il faut établir un lien de confiance. Tu le vois dans certaines entrevues, où l’animateur.ice et l’artiste sont amis ensemble, ça donne toujours des discussions vraiment intéressantes et c’est ça que tu tentes de bâtir comme journaliste.
La manière d’y arrivé, c’est là qu’on peut connaitre quelques glitchs, ce n’est pas toujours évident. Si tu crées un lien de confiance, ça peut être interprété différemment par les artistes et après tu as la responsabilité de devoir dire oui ou non et d’avoir à gérer ton image professionnelle en même temps. C’est beaucoup de chose, c’est très chargé comme phénomène. Mais oui, ça existe.
Quels conseils aimerais-tu donner aux fxmmes voulant devenir journaliste ?
Il faut apprendre à voir le milieu où vous voulez entrer comme un endroit où tout est à faire et ne pas avoir peur de défricher des pistes. C’est beaucoup plus le fun de faire de la raquette dans de la neige fraichement tombée que dans un sentier tapé.
Au lieu de voir les inconvénients, il faut voir le plaisir que vous allez avoir à faire une place à votre image et contrairement aux autres, même si on n’a pas de modèle, on peut être cet exemple pour les autres générations. Le modèle, ça peut être toi.
Vous pouvez retrouver Émilie Rioux sur les ondes de CHYZ 94,3 FM ainsi que sur le site http://chyz.ca/, plusieurs segments y sont disponibles en format podcast, un beau moyen de découvrir nos artistes d’ici.