La place des fxmmes – Émilie Tremblay, agente de spectacle

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Cette chronique met en lumière les fxmmes que l’on croise à travers les scènes locales. Il suffit de se balader dans les spectacles et les festivals pour se rendre compte que la parité homme-femme s’atteint doucement. Que celles-ci soient techniciennes, artistes, journalistes ou agentes, ces fxmmes représentent une évolution notable et positive dans l’industrie musicale d’aujourd’hui.

Cette chronique se veut inclusive, nous utiliserons donc le terme alternatif fxmmes pour désigner les femmes cis et trans, les personnes non-binaires, les personnes bi-spirituelles et en particulier celle et ceux qui proviennent des minorités visibles, dans une perspective d’intersectionnalité.

Émilie Tremblay est une référence quand il s’agit de parler de musique à Québec. Agente de spectacle pour plusieurs artistes dont Philémon Cimon, Anatole, Jesuslesfilles, Mara Tremblay, Beat Sexü et Gab Paquet, elle marque par son envie débordante de promouvoir les projets d’artistes d’ici et d’ailleurs. Connue à Québec pour faire partie de l’équipe du Pantoum, Émilie s’est au fil du temps, approprié son rôle d’agente jusqu’aux bureaux d’Ambiances Ambiguës à Montréal.

Quelles sont les tâches principales de ton travail ?

Je représente les artistes principalement en tant qu’agente de spectacle.

Je travaille avec plusieurs personnes différentes. Je fais beaucoup de suivi avec les labels, les équipes de production, les diffuseurs, etc. Il n’y a pas juste le groupe derrière un projet, il faut donc maintenir les liens entre tous les intervenants. 

Je négocie les cachets et les contrats. Il faut aussi que je regarde les chiffres de la billetterie, et je dois me tenir au courant des subventions. Je mets en place des stratégies de programmation, car booker un spectacle pour booker un spectacle ce n’est pas dans ma mentalité. Il y a certains shows que je ne placerais pas dans certaines salles. Par exemple, je ne vais pas planifier le spectacle de Philémon Cimon dans un rave à trois heures du matin dans un after.

En fait, je dois m’assurer que le spectacle est bien représenté de A à Z. 

Comment as-tu commencé à exercer ce métier ? 

Il n’y a pas de formation pour être agente de spectacle, donc ce genre de métier s’apprend sur le tas. Tu évolues dans un milieu qui te nourrit et t’enseigne constamment.

De mon côté, j’ai fait des études en Science politique et en Théâtre. J’étais beaucoup impliquée à l’Université Laval. Je participais aux shows de la rentrée à la CADEUL et au Centre des Services, dans l’évènementiel. 

Au fur et à mesure de ces évènements, j’ai rencontré des gens, dont Jean-Étienne Collin Marcoux du Pantoum. C’était en 2012, il y avait la grève, l’atmosphère brassait beaucoup et c’était propice aux changements. 

Le Pantoum était encore au stade de projet. D’ailleurs, Beat Sexü a été créé principalement pour le show de la rentrée d’hiver de l’Université Laval, car il manquait un troisième band. À ce moment-là, on a été plusieurs à travailler pour leur promotion. 

J’étais enceinte, et je passais mon bac, mais à côté je les aidais pour leur projet de band. On bookait des petites gigs et le projet du Pantoum prenait forme en même temps. C’est au cours de ces spectacles-là, où ma bedaine grossissait à vue d’œil, que j’ai découvert les tâches d’agente de spectacle. Dans cette même période, on a rencontré Gab Paquet et Anatole.

Finalement, j’ai eu une opportunité d’emploi à Montréal chez Ambiances Ambiguës et là, j’ai décidé de vraiment me lancer à temps plein dans ce métier d’agente. 

Je me souviens qu’au deuxième phoque OFF en 2014, j’avais une cocarde où il était inscrit : Agente de spectacle. Ça m’a vraiment fait réaliser mon rôle et mon statut. Avant ça, j’avais beaucoup de mal à assumer mon titre.

As-tu l’impression qu’en général les femmes se sentent moins légitimes dans leur travail ?

Il y a deux ans, j’aurais été réticente à faire cette entrevue et je t’aurais probablement donné 3 000 autres noms que le mien qui m’aurait semblé plus pertinent pour ta chronique. 

J’ai l’impression qu’on doit s’autoprouver et qu’on se met beaucoup de pression pour pouvoir, seulement plus tard, assumer le fait de dire qu’on est compétente. Je généralise, mais j’ai l’impression que c’est un sentiment commun à beaucoup de fxmmes. 

On se fait souvent dire étant enfant : ne parle pas trop fort, ne brasse pas trop d’air, avance, mais restes dans ton chemin. Maintenant, je l’assume bien. Quand je suis de bonne humeur, je suis bruyante et je brasse de l’air, mais je suis comme ça.

S’assumer en tant qu’humaine fait en sorte que tu avances plus dans ton job. Je ne sais pas s’il y a de bonnes ou mauvaises raisons de faire les choses dans la vie, mais je crois que tu peux vraiment t’épanouir dans un travail quand tu t’y sens bien et à ta place. 

La responsabilité de représenter des groupes m’a beaucoup aidé aussi à me dire que j’étais capable. Je trouve que c’est une grande marque de confiance quand un artiste me dit : « Je veux que ce soit toi qui représentes tel album ou tel projet ! »

Ton travail au Pantoum reflète une soif de mettre en avant des artistes de la relève ou des artistes bien moins représentés sur les scènes dites plus « générique », remarques-tu une évolution dans l’engouement du public ?

On n’est peut-être pas représentatif de toute la population, mais j’aime penser que le Pantoum a attisé une certaine curiosité musicale d’une partie du public de Québec. C’est si plaisant de voir les spectateurs nous faire confiance sur nos programmations. 

Tous les acteurs de Québec, de tous les différents horizons, ont créé quelque chose ici, que ce soit les gens à ecoutedonc ou les photographes qui sont sans relâche dans les shows pour mettre en avant des artistes d’ici. C’est toute cette diversité que je trouve intéressante. 

Ensemble, je pense qu’on a réussi à créer une sorte de créneau, puis qu’on a piqué la curiosité de beaucoup de gens. On est toujours en évolution, mais je pense qu’on va y arriver. Il faut qu’on prenne notre temps et qu’on réalise que l’accent doit davantage être mis sur les musiciens de Québec en général. C’est un beau travail. 

Il y a une dizaine d’années, les gens allaient plus vers Montréal, mais là c’est le fun que la relève puisse voir les musiciens de Québec y jouer et y vivre.

En tant que femme, as-tu déjà vu ou ressenti une différence de traitement dû à ton genre ?

Je n’ai pas vécu ça de front, je pense que, parfois, il y a des mécanismes et des acquis qui font en sorte qu’on imagine les femmes plus dans les tâches méticuleuses, en gestion ou dans l’administration.

Au début, quand je commençais et que j’étais en backstage, on me demandait en premier de quel musicien j’étais la blonde avant de me demander si j’étais la gérante ou l’agente. Aujourd’hui, on voit de plus en plus d’agentes femmes et ça fait vraiment plaisir, on devient de plus en plus représentées. 

De mon côté, j’ai la chance d’être entourée de gens et d’équipes qui ont une grande sensibilité et un grand respect les uns envers les autres. Ils veulent toujours avancer et s’améliorer. Les outils de communication sont bien présents, je n’ai donc jamais ressenti ce genre de situation.

Je vois plus de situations déplorables auprès des femmes musiciennes et je trouve ça tellement aberrant. L’attente envers les femmes sur scène, en tant que public, est plus grande que pour les hommes musiciens, certainement en grande partie inconsciemment, mais c’est encore bien présent. On a des attentes qui ne devraient plus être.

Il y a beaucoup de travail à faire en général vis-à-vis des femmes au Québec, même si on pense que c’est déjà fait, il en reste encore beaucoup à faire. Il existe encore de doubles standards et des préjugés sur les fxmmes. On peut-tu faire ce qu’on veut ? C’est ça la vie et c’est ça l’art, c’est de pouvoir faire ce que l’on veut. Dans la limite de la légalité bien sûr, mais si un artiste se sent à l’aise, on peut tu se sortir des codes du genre !

Personne n’est légitime à commenter l’habillement ou le physique d’autrui. J’ai l’impression qu’on est tous pognés dans des carcans, même les hommes. Explosons-le ce carcan ! Soyons modernes ! 

Quels conseils donnerais-tu à toutes les fxmmes souhaitant se lancer dans la scène musicale de Québec ?  

Je dirais qu’il ne faut pas avoir peur de ne pas tout savoir puis de poser des questions. Même si on t’explique quelque chose une fois, n’aie pas peur de redemander. N’hésite pas à te faire conseiller et à chercher des ressources. 

Construis-toi une équipe avec laquelle tu te sens bien. Aie confiance en tes créations et en tes projets. Il n’y a pas une route parfaite, c’est encore des métiers compliqués possédant beaucoup de rouages. Il faut que tu sois à l’aise et que tu aie confiance en ce que tu fais, que ce soit en technique, en agence, ou en tant qu’artiste. Il faut que tu croies et écoutes ces petites cloches internes qui s’activent quand tu pressens quelque chose.

Écoutons-nous, aimons-nous, ayons du doux !

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