De l’esthétique BDSM dont il est question dans la samba des Martyrs

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Les Martyrs de Marde, ces valeureux représentants des choses qui dérangent avec amour, nous font plonger dans un l’univers à la fois normcore et « déviant » du sado-maso-boulot-dodo. Ce vidéoclip sera pour nous, comme ce le fut pour eux, l’occasion d’explorer plus avant l’univers BDSM ainsi que ses origines.  

BDSM-101

Avant que les Martyrs nous en dévoilent davantage, une définition s’impose: BDSM, c’est un acronyme qui a fini par résumer les termes « bondage et discipline, dominance et soumission, sadomasochisme ». Ces mots représentent eux-mêmes un ensemble diversifié de pratiques sexuelles ou de jeux (e.g. role play, wax play, brat taming, primal play, knife play, etc.) mettant généralement en scène une personne qui domine et une personne soumise, que ce soit sur le plan physique ou comportemental. 

Si les termes « dominance et soumission » réfèrent aux rôles qui peuvent être exécutés, le sadomasochisme s’en distingue parce qu’il se rapporte, lui, à la douleur (donnée ou reçue). Le bondage comme la discipline, pour leur part, sont des formes de restrictions respectivement physique et psychologique. 

Sado-maso-boulot-dodo s’avère être une incursion dans le monde BDSM d’un point de vue artistique. On peut y observer des exemples d’impact, de restriction avec de la corde (une forme de bondage), de restriction vocale (avec un gag) et de pet play (jeu dans lequel la personne soumise interprète un animal de compagnie, se faisant souvent dompter). 

SamBaDSM : les origines

«L’idée est venue de moi», raconte Mathieu Bédard (Frère Foutre, pour les intimes). Et s’il a trouvé sa source d’inspiration chez « un collègue très bizarre qui était fier de ses pratiques BDSM », ce n’est pourtant pas ses pratiques sexuelles qui ont étonné le chanteur. «Il était très fier de dire que “personne ne s’en douterait”, car il était en effet un genre d’employé modèle», explique-t-il, en précisant que «c’était une job vraiment pas le fun où on se faisait pas mal exploiter».

« C’est comme si sa pratique « de nuit » ne servait pas du tout à le rendre plus libre, mais plutôt à accepter sa vie d’obéissance par rapport au système », conclut Mathieu. Le groupe a donc sauté sur cette contradiction pour se l’approprier et en faire un objet de la contre-culture. Par le fait même, ils allaient découvrir tout ce que l’univers BDSM, et en particulier le sadomasochisme, avait en commun avec leur esthétique de performance. 

Petite histoire du sadomasochisme

Alors que la grande majorité du vocabulaire BDSM est assez explicite, le terme sadomasochisme est pour sa part dérivé des noms de deux écrivains: Donatien Alphonse François de Sade (le fameux Marquis) et Leopold von Sacher-Masoch. Le premier fut reconnu autant pour la violence et la cruauté (viol, inceste, meurtre, etc.) qui figure dans ses oeuvres que celles qu’il mit en application dans les parties de sa vie qu’il ne passa pas en prison ou à l’asile. Le second aurait été marqué dans son enfance lorsqu’il a été fouetté par sa tante après l’avoir surprise fouettant son mari. Il se passionnera pour la soumission, l’humiliation et la souffrance par la suite, ce qui se reflétera dans ses écrits. 

Sadisme, masochisme. C’est le psychiatre Richard von Krafft-Ebing qui popularisera ces termes pour définir les comportements sexuels de domination et de soumission dans son ouvrage intitulé Psychopathia Sexualis, paru en 1886. Selon lui, ces pratiques relevaient de la pathologie. Or, déjà à l’époque, nombreuses furent les personnes qui se reconnurent. On raconte que le psychiatre reçut alors une quantité impressionnante de lettres autobiographiques de personnes persuadées qu’il racontait leur vie. 

Aujourd’hui, le sadomasochisme n’est qu’une facette d’un univers qui s’est enrichi d’une panoplie de pratiques issues des traditions les plus diverses; le BDSM est considéré comme une sous-culture répandue mondialement. Les personnes qui s’y rattachent forment des communautés diversifiées: chacun.e a sa raison de pratiquer, que ce soit parce qu’ille retrouve un plaisir dans la douleur ou encore parce qu’ille souhaite se laisser-aller complètement pour oublier ses hautes fonctions. Un cadre strict et clair (souvent sous forme de contrat) entoure toujours ce champ d’exploration, où le consentement est central. En effet, les limites du BDSM sont intimement reliées à la liberté qu’il permet d’exercer.

Les Martyrs et la réappropriation de la violence vécue

Toutes ces choses, les Martyrs les découvriront progressivement : après la composition de sado-maso-boulot-dodo, ils intégreront plusieurs éléments BDSM à leur performance scénique. Petit à petit, cela ouvrira un espace de dialogue entre eux et certains pratiquants qui aiment leur musique. Ce qui a fasciné le groupe, à la lumière de ces échanges, c’est la possibilité qu’offre le BDSM de s’affirmer tout en reprenant le contrôle sur une violence vécue: « C’est un jeu sur le pouvoir, qui peut être renversé, malléable, où on peut découvrir son pouvoir », interprète Mathieu.

« Je me rappelle une conversation avec une amie rencontrée durant nos spectacles à ce sujet, explique le chanteur. Elle me racontait comment elle en était venue à être une dominatrice, faisant même des performances dans certains bars de la ville (elle attachait et fouettait des gens sur la scène). Ça a commencé à la suite d’un viol: elle avait toute cette rage et ces pulsions en elle et elle pensait que ça faisait d’elle un monstre, une freak que personne ne voudrait approcher s’ils découvraient cette réalité intérieure. »

« Or, elle a découvert que ce n’était pas le cas, qu’il y avait bien d’autres personnes comme elle et qu’elles s’intéressaient à cette partie d’elle. Ça parlait à quelque chose en eux aussi. Le BDSM est devenu, alors, une façon d’accepter cette partie-là et d’en faire un lien avec les autres, où les limites personnelles, le consentement et la confiance mutuelle sont au centre des rapports. »

Un peu à l’image de cette amie du groupe, les Martyrs de Marde souhaitent, eux aussi, canaliser les violences « normales » vécues dans le quotidien, se libérer et se permettre d’être complètement soi-même à travers leur art. C’est pourquoi, sur scène, ils repoussent leurs limites et celles du public dans un cadre qui se veut sécuritaire et bienveillant. 

L’éloge de la marginalité

« À la base, on voulait faire une satyre sur « ce qui est pervers dans la vie normale » (NDLR : dans le boulot-dodo), mais sans se moquer des gens qu’on mettait en scène (NLDR : le sado-maso). Donc, comprendre, défaire nos propres préjugés à travers le processus. » Et au final, le vidéoclip est devenu aussi porteur d’un message non-ironique: « Il faut aimer notre côté plus sombre et “weird” à l’intérieur, car c’est ça qui est le plus normal en nous finalement. C’est le sens de notre petite allégorie fruitée et dansante. »

Les Chroniques musicologiques, c’est la façon de Marie-Ève Fortier d’égayer votre confinement en explorant les liens entre l’histoire (de la musique, de la littérature, etc.) et la scène émergente actuelle au Québec. Mathieu Aubre (CHOQ.ca) collabore à titre de vérificateur officiel des faits, et Madeleine Aubin signe les illustrations. Un merci tout spécial aux membres des communautés BDSM consultés pour la rédaction et la relecture de cet article! 

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