Nous étions un petit groupe privilégié à se partager l’espace exigu de la Librairie Saint-Jean-Baptiste le temps d’une soirée intime et délicieusement bizarre. Trois projets de Montréal se sont succédés sur la scène surplombée par les livres: N NAO, Sarah Pagé et Joni Void. Trois mondes complètement différents et pourtant interconnectés. Compte-rendu d’une soirée toute en musique expérimentale.
Cette fois en formule duo acoustique, N NAO revenait fouler les planches à Québec après avoir joué ici pour la première fois cet été dans le cadre de Festival OFF. Si les mélodies oniriques et l’impressionnisme de sa musique pleine de reflets étaient les mêmes, le projet prenait un aspect bien différent de la version full band à laquelle on avait assistée. L’aspect introspectif de ses explorations était mis de l’avant, tout autant que l’aspect insaisissable des rythmes fluctuants. Il était impressionnant d’entendre les lignes de guitares de Naomie De Lorimier et de Charles Marsolais-Ricard s’entrelacer comme des dentelles, ou encore de voir comment le duo parvenait à aller trafiquer leur acoustique au moyen de pédales d’effets ou d’extraits pré-enregistrés sur cassette.
La harpiste Sarah Pagé a emboîté le pas aux deux musiciens en présentant tout d’abord son projet: alors que sa carrière l’amène depuis longtemps à collaborer avec de nombreux d’artistes (comme The Barr Brother – dont elle a été membre fondatrice – et Lhasa de Sela, pour ne nommer que ceux-là), la composition de son maxi « Dose Curves » lui a permis de se retrouver seule avec son instrument. Pagé semblait d’ailleurs partager un rapport très intime avec sa harpe lorsqu’elle a livré son oeuvre d’un bout à l’autre à un public captivé. Passant de la profondeur troublante d’ambiances atmosphériques à la beauté lyrique de mélodies d’une virtuosité fulgurante, la musicienne usait de toutes sortes de techniques expérimentales au moyen d’archets, d’un bottleneck ou encore de différentes pédales d’effets ou de loop. La musique qui en découlait et ses variations subtiles et progressives avaient pour effet de nous plonger complètement dans un état second.
joni void a terminé la soirée en force avec des compositions entièrement confectionnées à partir de boucles pré-enregistrées qu’il trafiquait à l’aide d’un petit arsenal de machines. Sa pédale Count to 5, un delay looper fabriqué à Montréal, lui permettait notamment de moduler les sons de ses enregistrements d’une manière particulièrement intéressante en raison du caractère plus chaotique de cet instrument en comparaison avec les delay loopers habituels. Portant un intérêt particulier aux voix dans son dernier album intitulé « Mise en abyme », void utilisait justement différentes « archives » vocales et sonores parmi lesquelles on a pu reconnaître entre autres le son d’un fax, la voix de N NAO et, en guise de finale, des extraits de Les Désespérés de Brel. Alternant de manière contrastante entre la rudesse et la douceur, il dressait ce qui se voulait être paysage de sons où les rythmes et la dissonance semblaient vouloir reprendre leurs droits. Malgré tout, le lyrisme et la beauté perçaient aussi à travers ce mur d’électronique le temps de quelques notes de piano ou d’un « Voici la fin du monde ».