Chroniques d’Austin – No 6 : janvier

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Janvier. Après une dizaine de jours à patauger dans la neige, je suis allée retrouver mes cactus quotidiens (fait intéressant [ou pas]: en français on dit un cactus, des cactus. En anglais, on dit a cactus, many cacti, parce que cactus ça vient du latin et que les anglophones ont décidé de garder le pluriel latin). BREF, les cactus… je veux dire, la musique. Austin avait justement quelques présents en réserve pour mon retour en janvier dernier, à commencer par l’expérience de la Free Week.

Free Week – 1er au 6 janvier 2019

Il y a deux types de villes, m’a-t-on déjà dit: celles qui se remplissent pendant le temps des fêtes… et celles qui se vident. Composée en grande partie d’une population étudiante et d’habitants originaires d’autres états ou d’autres pays, la capitale texane fait visiblement partie de la deuxième catégorie. C’est pourquoi, pour les bars et les salles de spectacle d’Austin,  la première semaine de janvier a longtemps rimé avec basse saison et temps mort.

Or, en 2002, un certain Graham Williams a développé une idée pour attirer la clientèle : une série de spectacles gratuits toute une semaine durant. Ainsi naquit la Free Week, qui se produisit tout d’abord au Emo’s. Avec les années, cette initiative a bourgeonné et s’est étendue à un regroupement de bars principalement situés sur la rue Red River. Sans le savoir, si vous avez lu mes chroniques (il fallait faire ses devoirs), vous en connaissez déjà quelques uns: le Mohawk, Cheer Up Charlies et Hotel Vegas (qui ne se trouve pas sur Red River, mais qui fait partie de la Free Week). Autre fait croustillant, la programmation de la Free Week est généralement composée de groupes locaux.

Je vois d’ici la face pleine de points d’interrogation de mes amis musiciens. Des spectacles gratuits? La question de la rétribution des artistes a définitivement posé problème dans les débuts de la Free Week, ce à quoi la Red River Merchants Association a remédié de façon ingénieuse: l’évènement est subventionné par une panoplie d’entreprises, la majorité d’entre elles se spécialisant dans la vente de produits alcoolisés (quel adon!). Le regroupement de salles se partage alors les subventions obtenues, ce qui permet d’assurer aux artistes un cachet d’entre 100 et 500 $. Pour Austin, c’est décent (et ça, je vous en reparlerai une autre fois).

Bref. Je suis donc allée voir deux spectacles au cours de la Free Week. J’ai retrouvé avec plaisir The Oysters et PR Newman à l’Hotel Vegas. Les premiers avaient une énergie monstre et les seconds, du nouveau matériel. J’ai aussi entendu pour la première fois l’emo- punk de TV’s Daniel, le rock accocheur de Lola Tried, la dream pop à la fois planante et lourde de Blushing ainsi que la musique intrigante de Moist Flesh. Ça, c’était comme écouter un vieux vinyle d’Elvis qui jouerait un peu trop lentement, avec en prime des effets psychédéliques à la Mac de Marco et des rythmes recherchés. Avec un peu de perfectionnement point de vue technique, ça sonnera comme une très bonne combinaison.

Spider House Ballroom – 10 janvier 2019

À Austin, il est difficile de faire la différence entre une semaine comme la Free Week et une semaine typique tant l’offre de spectacles est variée. Il y en a pour tous les goûts, tous les soirs, puisque le nom de chaque bar rime aussi avec musique live. Je me suis donc gâtée quelques spectacles additionnels, dont celui du 10 janvier dernier au Spider House Ballroom, qui m’a à la fois fait découvrir et savourer le surf punk dansant de Spirit Ghost et retrouver la musique éclectique et décalée de Being Dead. Mais d’abord, quelques mots sur l’endroit.

À la fois un café, un bar, une terrasse et une salle de spectacle (c’était même aussi un restaurant jusqu’à tout récemment, mais de toute façon on peut encore aller se sustenter aux food trucks qui parsèment ce lieu multi), Spider House a le charme décalé qui embaumait l’Ostradamus, du temps des carrés rouges. Des guirlandes de noël décorent les espaces extérieurs à l’année et côtoient une collection éclectique de statues, comme ce Manneken pis trônant au dessus d’une baignoire sur pied. La grande salle de spectacle, elle, est drapée d’un épais rideau de velours rouge bourgogne. Des chérubins de plâtre doré encadrent la scène, qui trône sur un luxurieux plancher de béton. Mesdames et messieurs, cette salle à l’acoustique douteuse m’a d’abord laissée sourcillante, mais j’ai ensuite pris plaisir à son inaccoutumé décor alors que la musique de Spirit Ghost me déliait les jambes.

Difficile, en effet, de ne pas danser tandis que le groupe surf d’Austin faisait aller ses guitares au rythme sautillant de ses tambours. La voix de coyote du chanteur, aiguë et nasillarde, louvoyait entre onomatopées et mélodies accrocheuses survolées par le fantôme de l’âge d’or du Motown. La musique qui accompagnait le tout, entre garage et post-punk, avait une petite fibre country bien locale et qui complétait savoureusement le tout. Rien de scandaleusement nouveau, si ce n’est l’habile mariage de ces composantes irrésistibles. En d’autres mots (comme s’il n’y en avait pas déjà assez), un petit coup de coeur à découvrir!

Les deux âmes de Being Dead ont ensuite pris d’assaut la scène avec leurs costumes extravagants et leurs sourires délibérément crispés. Je retrouvais avec plaisir leurs amusantes explorations de la dissonances et de la distorsion. Leur musique se définit par son aspect surprenant, qui se décline en diverses changements soudains de dynamiques, de direction, de rythmes. Cette caractéristique revêt le masque de l’absurde, qui leur permet de pousser leur humour, mais surtout leur art, toujours un peu plus loin. Comme lorsqu’on s’est tous mis à hurler à la lune avec eux sur Wild Man, ou comme on peut le voir dans leur tout dernier vidéoclip.

Hole in the Wall – 21 janvier 2019

Parlant de loup et de lune, justement, ma chronique du mois de janvier se referme sur la magnifique éclipse lunaire à laquelle j’ai pu assister le 21 janvier dernier, y jettant l’oeil au travers du Hole in the Wall. Entre deux promenades acoustiques, j’admirai l’astre se gorger d’un rouge sang – ici, dans une ville qui se distingue par sa vibe hippie, on parlait d’ailleurs d’une super blood wolf moon eclipse, rien de moins, et je ne doute pas que plusieurs enthousiastes de l’astrologie aient célébré cet évènement de manière on ne peut plus extravagantes. Moi, je me suis contentée d’apprivoiser ces belles compositions livrées par trois auteurs-compositeurs-interprètes locaux, auxquelles les lueurs lunaires ont donné des teintes mystérieuses.

Sans apparat, Will Maxwell s’est présenté avec une guitare et les quelques chansons qui composent Calm a Painter and Subject, son album solo à paraître bientôt. Une formule simple à première vue, jusqu’à ce qu’au fil des pièces le chanteur des Oysters déballe son bagage de réflexions, mais surtout de ressenti, ficelées en une poésie sensible et personnelle. Son jeu de guitare inventif, parant ses textes d’accordages alternatifs, d’harmoniques et d’une variété de riffs, venait compléter ce jeu d’ombre et de lumière explorant les profondeurs du coeur humain. Une musique à écouter comme elle est jouée, les yeux fermés.

Alors que l’éclipse atteignait son apogée, Harrison Anderson faisait chanter à son tour sa guitare avec une douceur veloutée, résultat d’un mélange à prédominance folk, mais nuancé de country et de soul. Cette pointe de soul, c’était la seule chose qui reliait ses compositions à la musique groovy et pop de SMiiLE, l’autre projet de l’artiste qu’il me tarde maintenant de vous partager un jour, chers lecteurs. Mais retournons à nos moutons, ceux qui décoraient le ciel pendant que la lune se faisait avaler par la noirceur. Au même moment, disais-je, Anderson, avec bonhomie, nous avouait son amour pour la musique de Sheryl Crow en lui dédiant une reprise. Ses remarques, comme sa musique, transpiraient d’ailleurs la bienveillance et cette atmosphère contagieuse a rapidement pris les quelques spectateurs, qui se sont volontiers joints à Anderson pour chanter son avant-dernière pièce, Kiss in the Dark.

La troisième artiste (et non la moindre) avait apporté, elle, sa guitare électrique et tout son mordant. En effet, il semblerait que Mad Whit ne fasse ni dans le doux, ni dans le rose bonbon. Ça ne l’empêchait pas de nous présenter des mélodies empreintes de mélancolie, ce qui contrastait de façon intéressante avec son jeu de guitare musclé. Pas étonnant que son autre projet musical, Sailor Poon, donne dans le punk rock et dans le franc-parler. À suivre!

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