La nuit des longs couteaux
(Disques 7e ciel)
Après avoir passé un peu plus d’un an à l’ombre des projecteurs, le rappeur Koriass est de retour avec un nouvel album coup de poing intitulé La nuit des longs couteaux, un titre qui a une connotation forte pour tous ceux qui connaissent un brin leur histoire contemporaine.
On se rappellera qu’au début 2017, Koriass a arrêté subitement sa tournée pour des « raisons personnelles ». Évidemment, la machine à rumeurs s’est emballée, surtout quand Emmanuel est disparu momentanément des réseaux sociaux, qu’il alimentait pourtant très régulièrement. Si seulement on savait…
Maintenant, à l’écoute de l’album, on en sait beaucoup plus. Sur La nuit des longs couteaux, on entend davantage Emmanuel Dubois que Korey Hart, son alter ego. Et Manu en profite pour régler ses comptes… avec lui-même.
L’album tourne autour de l’abandon, de l’abus (d’alcool, surtout), de la dépression et de la trahison. Un album extrêmement personnel qui nous emmène du côté sombre de la célébrité (on sent que ça risque d’être un thème récurrent cet automne). Et on le sent dès les premières notes de J-3000, après cet échantillonnage de la pièce Breaking Away from Sanity de Kim Karnes :
J’devrais me coller sur ton corps
naked les deux poings fermés
Au lieu d’encore rentrer tard, faded, sur la pointe des pieds
Tanné d’être un burden, searching for my peace of mind
Tanné d’être comme Tyler Durden, limite schizophrène
Tanné de chercher mon purpose sur des kilomètres
Tanné de stresser, d’être nervous, faire des crises de nerfs
J’avais tout pour moi, la famille, un avenir blindé
Dis-moi pourquoi j’t’en train de devenir cinglé?
Tout est pas mal résumé ici… et pourtant, Koriass en rajoute, nous détaille sa lutte avec ses démons dans les chansons suivantes.
Les textes de Koriass sont, comme toujours, de petites merveilles si on accepte que la langue utilisée est un médium en soi (ça veut dire, pour les traducteurs téteux comme moi, de ne pas mépriser l’usage du franglais, TRÈS présent ici). Les paroles sont sombres, fortes, évocatrices. Il n’est pas tendre avec lui-même, notre Manu. Et il n’est pas tendre avec ses détracteurs, comme il l’indique sur Miracles (sur laquelle FouKi accompagne Koriass) :
J’ai peut-être mérité les roches
qu’on m’a pitchées pis j’ai pris les shots
Mais y’en a qui veulent éliminer le boss
En profitent, s’mettent à 10 pour me kick quand j’suis sur le sol
Fuck y’all I’m getting up
C’est comme ça tout le long de l’album : une longue suite de coups de poing, plus souvent portés sur lui-même, mais aussi sur ceux qui ont profité de sa chute pour monter sur lui tel un piédestal.
Fuck les journalistes de marde
Qui étaleraient toute ma vie juste pour des scoops
Leur avis j’m’en sacre et les articles sont fades, j’ai écrasé ces fourmis
en dessous de mes shoes
J’crache dans les pages de votre magazine à potins, après je le replace
comme si tout est cool
Très dur, très dur. Mais a-t-il tort? En tout cas… Koriass montre qu’il est un de nos meilleurs paroliers à l’heure actuelle, tous styles confondus.
Musicalement parlant, rien à redire. Philippe Brault est de retour à la coréalisation et bien qu’on puisse sentir sa touche magique çà et là, il a surtout aidé Koriass à mettre ses textes en valeur. Et les beats et les mélodies sont également solides et fittent plus souvent qu’autrement avec les propos de l’auteur. Par exemple, même si le sujet de Cinq à sept n’est pas le plus jojo, son traitement, lui, est plus léger que J-3000 et présente un beat plus entraînant, voire dansant… qui se rapproche davantage d’un Je danse le Mia que d’un discours de 25 minutes de Kanye au milieu d’une toune. Mission accomplie. Même chose pour Get it Right, une des rares pièces qui donnent le goût de sourire… mais surtout de danser les bras en l’air et de crier Hey, Hey, Hey, Get it Right!
Même dans cette obscurité, Koriass réussit à sortir des chansons presque lumineuses, comme cette ballade follement amoureuse intitulée Chenous. On sent les yeux de Koriass briller en balançant ses verses. Pis on est un peu jaloux de cette capacité d’exprimer son amour à sa douce moitié.
Pas de doute, Koriass nous offre ici un autre album très solide, tant du côté des textes que de la musique. Un album de rap keb que même les non-initiés pourront apprécier tellement ses textes sont bien ficelés.
On est ben contents de ton retour, Manu. On espère juste que t’as bien retenu les leçons que t’as toi-même tirées… et que tu vas prendre ça un peu plus mollo. On préférerait t’entendre plus longtemps… que plus souvent. Parce que c’est pas mauvais du tout, ce que tu fais… mais ça, Korey Hart te l’a déjà dit!