hommagé), et ceux-ci ne font que passer en studio pour chanter leur chanson et récolter leur chèque. C’est donc avec une petite crainte que j’ai accueilli l’annonce de cet album rendant hommage à l’un de nos monstres sacrés, qui a souvent été repris avec des résultats mitigés par le passé. On ne s’attaque pas à Richard Desjardins comme on s’attaquerait à Michel Louvain. Il y a tant d’émotions transmises, tant de finesse dans les paroles, tant de subtilité dans les mélodies et les arrangements (assez dépouillés, merci) de l’Abitibien qu’un tel exercice est extrêmement risqué. Je suis convaincu que lorsque Steve Jolin, patron de 117 Records, s’est lancé un peu fou, il savait qu’il risquait fort de s’y péter les dents. Il a toutefois eu la bonne idée de recruter la personne idéale pour réaliser cet album, soit Philippe B (qui, incidemment, vient de Rouyn-Noranda). Ensemble, ils ont fait appel à une brochette assez impressionnante d’auteurs-compositeurs-interprètes de talent, dont Avec pas d’casque, Safia Nolin, Philippe B, Fred Fortin, Yann Perreau, Keith Kouna, Klô Pelgag et Philippe Brach, à qui ils ont confié des chansons qui leur vont comme un gant. La pièce Au pays des calottes (Desjardins Abbittibbi Live), interprétée par Avec pas d’casque, lance la célébration et met la barre bien haute pour les artistes suivants. Il est vrai que le répertoire de Desjardins est rempli de chansons country-folk, et Stéphane Lafleur et ses complices en ont trouvé une qu’ils n’ont pas eu de mal à mettre à leur main. On l’a déjà dit, Lafleur est un des meilleurs paroliers au Québec à l’heure actuelle, et Avec pas d’casque sait mettre des ambiances magnifiques et feutrées autour des chansons. En voilà une qui aurait pu se trouver sur un des albums du groupe, et on n’aurait jamais remarqué qu’elle a été composée par quelqu’un d’autre. De son côté, Safia Nolin nous donne encore des frissons avec une interprétation à fleur de peau de Va-t’en pas (Tu m’aimes-tu?). Elle habite cette chanson toute nue avec la sensibilité qu’on lui connaît. On entend même des subtils craquements de voix çà et là. Frissons garantis. Desjardins, c’est aussi une grosse teinte de blues, et Bernard Adamus a bien sûr saisi l’occasion avec Les mammifères (Chaude était la nuit). Adamus reprend la chanson d’une façon aussi tribale, mais il a transformé ce blues-rock en un folk-blues sale qui lui colle à la peau. Y va toujours y avoir (Boom Town Café, Boom Boom), par Philippe B, est interprétée avec la douceur qu’on connaît si bien de la part du réalisateur de l’album. Ce qui était originalement un cri du cœur est ici un moment de tendresse bonifié par l’ajout de quelques instruments à cordes. Fred Fortin, lui, a choisi la déconstruction. En effet, sa relecture de Tu m’aimes-tu? est tellement déroutante à la première écoute… En fait, ça prend quelques écoutes avant d’apprécier tout le travail de Fortin ici, qui va jusqu’à changer un petit vers pour se l’approprier entièrement. Les guitares sont magnifiques, mais c’est surtout la fragilité de Fortin qui frappe. On l’imagine très bien chanter cette chanson à celle pour qui il avait écrit Molly. Le même esprit torturé par l’amour. Pour interpréter Le bon gars (Tu m’aimes-tu?), Jolin et Philippe B ont fait appel à une recrue de l’équipe 117 Records, Matiu. Le jeune Innu originaire de Mani-Utenam à la voix rauque dégage l’image parfaite du gars qui promet d’être un bon gars, mais qui est tellement enfumé dans son blues qu’on a du mal à le croire. Belle surprise pour ceux qui ne le connaissent pas! Les soeurs Boulay sont exactement là où on les attend avec L’engeolière (Boom Boom), qu’elles interprètent sobrement avec leurs harmonies vocales parfaites, comme toujours. On aurait peut-être aimé davantage de risque dans leur interprétation, qui ressemble beaucoup à la lecture qu’en avait faite Jorane il y a quelque temps, mais celle-ci demeure néanmoins magnifique. Une des grandes surprises de cet album, c’est Yann Perreau (et son harmonica) qui la rend. On avait oublié que Perreau était capable de chanter le blues à force de danser avec lui dans le train ya-ya de la nuit, mais il suffit de l’entendre chanter Dans ses yeux (Les derniers humains) pour lâcher un gros wow bien senti. Koriass, lui, avait un morceau juste pour lui : M’as mett’ un homme là-dessus (Au Club Soda). Personne ne sera surpris, Koriass te rappe ça comme un champion, avec conviction. On se serait peut-être juste passé des effets sonores de la foule qui rit et qui applaudit. Ce moment plus léger est suivi d’un autre moment qui donne le goût de brailler : Jenny (Kanasuta), que Keith Kouna chante doucement, d’une façon qui n’est pas sans rappeler le grand Desjardins lui-même. Si vous avez quelques minutes, allez écouter ensuite des morceaux de Kouna, comme Batiscan, Napalm ou Labrador. La filiation est tellement frappante! Les voix, la poésie, les mélodies… les univers… le talent! J’ai ri quand j’ai appris qu’Émile Bilodeau interprétait Le chant du bum (Boom Town Café, Au Club Soda). Parce que si y’a un gars gentil, fin et travaillant, c’est Bilodeau. Sa version, country à souhait, ressemble beaucoup à l’originale du début des années 1980. Impossible de ne pas taper du pied et de sourire à pleines dents en écoutant cette chanson. Si l’album s’était terminé sur Quand j’aime une fois, j’aime pour toujours (Tu m’aimes-tu?), que chantent Chantal Archambault et Michel-Olivier Gasse (mes petits Saratoga préférés), la boucle aurait été bouclée de belle façon. On est loin ici de la reprise de Francis Cabrel. Archambault (abitibienne itou) et Gasse s’y connaissent en chansons mélancoliques chantées avec beaucoup de douceur et un petit sourire en coin. Comme c’était le cas pour la première chanson d’Avec pas d’casque, la leur aurait pu se retrouver sur Fleur et on n’y aurait vu que du feu, si on ne la connaissait pas déjà par cœur. Autre constat qui n’est pas lié à Desjardins : c’est moi ou bedon la voix de Chantal s’est raffinée en maudit par rapport à ses débuts? Ça te fait du bien, un peu de lenteur! Mais non, l’album ne se termine pas là. Il restait une pièce à attaquer, et celle-là, elle représentait tout un défi : Les Yankees (Les derniers humains), chanson-fleuve que Desjardins a pris énormément de temps à écrire et qui fait partie, à mon avis, des dix plus belles de notre répertoire. Klô Pelgag et Philippe Brach ont accepté de relever le défi, et ils l’ont relevé avec brio! Sans avoir l’émotion, ni l’urgence, de l’originale, Pelgag et Brach y ont ajouté une atmosphère, des images sonores qui nous permettent de mieux voir l’histoire qui est racontée dans nos oreilles. Pelgag chante tout en douceur, se tape quelques harmonies qui font frissonner, puis Brach arrive avec force pour jouer le rôle du Yankee. Cette façon d’installer le dialogue est intrigante, mais elle fonctionne très bien, surtout quand tout s’arrête et que Brach récite « alors je compte jusqu’à trois… ». À la fin, pas de « ALLEZ GRINGO, QUE DIEU TE BLESSE! », qui aurait eu l’air un peu étrange sortant de la bouche de Pelgag. Dans les mains de Klô Pelgag et de Philippe Brach, cette chanson est devenue un film en Technicolor. C’est beau, c’est plus grand que nature, sans tomber dans la facilité. Cette relecture des Yankees ne plaira pas à tous, j’en suis persuadé. Mais vous vous souvenez de ce que je disais au début, de ces gens qui participent à un hommage pour le chèque, qu’ils encaissent aussitôt sortis du studio? Ici, on est à l’opposé de cette image. Pelgag et Brach ont visiblement travaillé fort non seulement pour adapter la chanson à leurs univers, mais aussi pour intégrer leurs deux mondes dans une seule chanson. Une chanson qui ne surpasse pas l’originale, mais qui n’en avait pas l’ambition, de toute façon. L’objectif, c’était de nous emmener ailleurs. Et il a été pleinement atteint. Sur le plan technique, la réalisation de Philippe B est on ne peut plus soignée. On sent qu’il a bien dirigé son monde sans trop leur imposer, notamment par la manière dont les artistes ont réussi à apposer leur griffe aux chansons qu’ils interprétaient. Le son est magnifique, et les émotions se transmettent facilement lorsqu’il n’y a pas d’obstacles! Bref, un hommage réussi par des artistes au sommet de leur art. À écouter absolument si ce n’est pas déjà fait. Le pire qui puisse vous arriver, c’est que, comme moi, vous ayez envie de vous retaper la discographie du grand Richard. Et ça, c’est une BONNE chose. 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