20) Alabama Shakes – Boys and Girls
Quelques mois avant que l’album sorte, il y a eu comme un buzz autour de ce groupe. Il ne fallait surtout pas les manquer. Y’a une fille, Britanny Howard, qui aurait récupéré la voix et l’âme de Janis Joplin!
Nous étions nombreux à être dubitatifs. Pourtant, ce qu’on racontait à propos de ce band, plein de soul et de blues rock, était tout à fait vrai. Le premier extrait, Hold On, sonne comme une tonne de briques reçu en plein dans l’estomac : on a le souffle coupé! You Ain’t Alone est un gros slow cochon comme on n’en entend plus depuis trop longtemps déjà. Et préparez-vous à entrer en transe avec Howard à la fin (explosive) de Be Mine.
Si vous connaissez des gens trop blasés de la musique pour écouter quelque chose de neuf, des gens qui passent leur temps à se plaindre qu’on ne fait plus de musique comme dans le temps, faites-leur écouter cet album. Mais assurez-vous qu’ils sont bien assis, sinon ils pourraient avoir mal là où ils vont tomber.
19) Sophie Hunger – The Danger of Light
Vous avez sûrement déjà entendu sa superbe reprise de Le vent nous portera, de Noir Désir. C’est de toute beauté et ça nous fait oublier, l’espace d’un instant, que ça a été écrit par un mec qui a tué celle qu’il aimait. La Suissesse Sophie Hunger traîne sa guitare depuis quelque temps déjà et après s’être payé une tournée où elle jouait carrément le rôle de Bob Dylan, elle nous offre cet album, enregistré en partie à Montréal.
Si on reconnaît facilement les influences lorsqu’elle chante en anglais (Dylan, Cohen – t’sé, quand tu nommes une chanson First, We Leave Manhattan), c’est en allemand qu’Hunger m’étonne le plus. Elle fait valser les mots, les fait chanter, glisser tout doucement. Bon. Pour quelqu’un qui a déjà suivi quelques cours d’allemand et qui sait que cette langue peut être aussi douce que gutturale. N’empêche. Ça semble si simple, écrire en allemand…
On se serait toutefois passé de sa reprise de Ne me quitte pas, plutôt banale.
18) ∆ (Alt-J) – An Awesome Wave
∆ (ou Alt-J, pour les très nombreuses personnes, dont moi, qui n’avaient pas compris la blague) s’est mérité le prix Mercury pour cet album. Maniant avec brio le mélange des genres (indie, folk, électronique, psychédélique), le groupe, mené par la voix particulière de Joe Newman (on croirait parfois un croisement entre Thom Yorke et Neil Young…) nous propose un ensemble de 13 pièces-dominos qui s’écoutent dans l’ordre.
On ne peut maintenant qu’espérer que ce beau voyage proposé par le groupe britannique s’arrêtera sur d’autres paysages sonores tout aussi intéressants.
Vague rafraîchissante.
17) David Byrne & St. Vincent – Love this Giant
Qui aurait pu croire que le vieux David Byrne et la toute fraîche Annie Clark formeraient ensemble le duo le plus équilibré de l’année et qu’ils nous offriraient leur meilleur matériel (depuis les Talking Heads dans le cas de Byrne, depuis toujours pour Clark) avec cet album? Et ces cuivres, omniprésents sans jamais voler la vedette…
Les deux artistes marient rarement leurs voix, sauf notamment sur l’entraînante Who, qui ouvre l’album de façon magistrale et où Clark réussit à chanter en parfaite harmonie avec Byrne. Pour le reste de l’album, si Byrne et Clark marient rarement leurs voix, ils marient très souvent leurs influences et les résultats sont incroyables. Par exemple, Dinner for Two a toutes les caractéristiques d’une chanson de St. Vincent, mais Byrne la fait sienne. Clark fait de même avec The Forest Awakes et chante une de ses plus belles chansons en carrière avec Optimist.
Vraiment, il était difficile de croire que ces deux-là feraient un match parfait.
Mais franchement… ces cuivres. Ils sont incroyables!
16) Ariane Moffatt – MA
Comme je le disais quand j’ai écrit ma critique de cet album, Moffatt est dans une classe à part au Québec. Pas qu’elle soit plus talentueuse que d’autres (quoique…), elle occupe tout simplement toute seule tout un pan du spectre musical québécois. D’autres artistes s’en viennent, d’autres genres comptent des artistes qui débordent de talent, mais dans la pop électronique grand public, y’en a pas d’autre.
MA est un album composé presque moitié-moitié de chansons en anglais et en français. En anglais, on a droit à de bonnes pièces de pop indé, bien ficelées, bien écrites (mais Ariane, améliore ta prononciation, on va tous y gagner). On aurait cependant pris un bon gros 2-3 minutes de plus de Too Late. All Yours est une chanson d’amour absolument savoureuse et sympathique. Comme quoi c’est toujours plaisant de parler de ce qu’on a plutôt de ce qu’on a perdu…
Mais c’est en français, une langue que Moffatt maîtrise mieux que jamais, que MA brille. Hôtel Amour (et sa finale toute en fausses cordes synthétisées), Mon corps (un puzzle où toutes les pièces sont à la bonne place, surtout sur le plan des paroles…), La pluie et le beau temps (merci pour ce ver d’oreille indécrottable sur la chose la plus banale au monde), L’homme dans l’automobile (et son voyage en crescendo) et Sourire sincère (et sa finale tout en douceur) sont en haut de la liste des meilleures composition de la bidouilleuse originaire du « 83 ».
Moffatt fait maintenant partie des grands.Et avec MA, elle continue à être elle-même. Yes, madame.
15) Ellie Goulding – Halcyon
Ellie Goulding est mieux connue de ce côté-ci de l’Atlantique pour ses fréquentations. Madame Skrillex, qu’on l’appelle l’appelait. Pourtant, ceux qui suivent l’auteure-compositrice-interprète depuis son premier album en 2010 (Lights, tout d’abord disponible en Europe avant de débarquer presque un an plus tard ici) savent à quel point la jeune femme de 25 ans est talentueuse.
Halcyon, le deuxième album de Goulding, est un album aux multiples facettes qui nous montre une Ellie caméléon. On aurait envie de l’appeler Ellie + the Machine (Don’t Say a Word), Passion Goulding (Anything can Happen), Dancing Ellie (Only You), ou même Skrellie Gouldex (Figure 8). Sa seule faiblesse se trouve dans les ballades qui traînent vers la fin de l’album, qui mériteraient probablement un peu de sobriété (sauf, peut-être, pour Hanging on, glaciale et sublime). Allez, Ellie, je sais que tu maîtrises bien la guitare.
Ellie et moi, on a rendez-vous au Métropolis de Montréal en janvier prochain. Non, je n’ai pas hâte. 😉
14) Karim Ouellet – Fox
On se doutait bien que l’auteur-compositeur-interprète de Limoilou avait du talent. Son premier album, Plume, n’était pas passé inaperçu.
Mais son deuxième album, Fox, vient de se ramasser sur les tablettes des magasins et croyez-moi, les nombreux exemplaires qui s’y trouvent n’y amasseront pas de la poussière. Ouellet a endisqué dix chansons de pop propre et sage, mais archi intelligente, rythmée, ensoleillée, mélodieuse et accrocheuse. On y sent les influences urbaines du R n’ B et du hip hop, mais ça reste profondément accessible. Et les paroles, toutes aussi sages, voire un peu naïves, s’écoutent toutes seules.
On appréciera particulièrement le petit clin d’oeil au Pyromane de Karkwa dans la chanson Le cyclone. Le plus drôle, c’est qu’il est fort probable que Karim et Karkwa se côtoient dans vos bibliothèques musicales…
À se procurer obligatoirement.
13) Thus:Owls – Harbours
Prenez une belle grande Suédoise multilingue, multi-instrumentiste et multi-talentueuse. Faites-lui épouser un des bons guitaristes du Québec, membre de Patrick Watson. Ajoutez d’autres membres suédois et canadiens. Mettez-les dans un studio d’enregistrement ou, mieux encore, sur une scène (au Cercle, par exemple). Laissez le groupe vous raconter ses histoires et construire ses univers musicaux. Voilà Thus:Owls, un groupe que vous n’entendrez probablement pas à la radio.
Pourtant, ce ne sont pas les belles pièces qui manquent. Erika Angell écrit des chansons uniques qui mettent en valeur sa voix aussi surprenante qu’envoûtante. Simon Angell se laisse aller à la guitare comme il ne le fait jamais avec Patrick Watson. On s’en voudra de passer à côté de I Weed the Garden ou It’s Gone Now. Et il y a quelque chose à faire avec The Tree, qui rocke beaucoup plus qu’elle n’en a l’air.
Une belle découverte.
12) Passion Pit – Gossamer
L’album trouble d’un homme troublé. Des paroles d’une gravité incroyable et une musique follement joyeuse. Le terrible two, le deuxième album qui doit être au moins aussi bon que le premier sans trop lui ressembler. Des tonnes et des tonnes de pression se sont retrouvées sur les épaules de Michael Angelakos, le leader de Passion Pit. Pourtant, il n’avait rien à craindre. Il est, comme Alex Ebert (un autre esprit trouble dont je parlais plus tôt), un genre de génie musical. Il a réussi à prendre le son de Manners, lui-même un album superbe, et à l’emmener plus loin, à l’enrichir tout en élargissant le spectre. Il a peaufiné le son Passion Pit, qu’on reconnaît très facilement (gros beats, synthétiseurs en trémolo, falsettos, musique dansante, paroles lourdes). Là où Ebert se contente paresseusement de la moyenne et enregistre des albums inégaux, Angelakos travaille d’arrache-pied avant de trouver un mix parfait qui, en plus, se joue relativement devant public. C’est pour cela qu’un album de Passion Pit s’écoute d’une traite alors que ceux d’Edward Sharpe and the Magnetic Zeros sont si inégaux.
Gossamer, c’est Michael Angelakos qui étale ses tripes sur le plancher, qui montre tout son mal de vivre, mais qui dit en même temps, hey, c’est pas grave, je suis encore capable de composer de la musique qui se danse joyeusement et sur laquelle les gens oublieront tous leurs problèmes. Meilleur exemple : Take a Walk, une chanson où le narrateur a tout perdu (pensez crise économique, ici) et qui ne trouve qu’une chose à faire. Prendre une marche. Et quand il prend une marche, c’est une power walk. Gossamer, c’est Angelakos qui capote devant la personne qu’il aime, mais c’est pas grave parce qu’il se laisse emporter. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin.
Ce n’est pas la première fois que les paroles et la musique vont en direction opposée. Cependant, Passion Pit le fait d’une façon qui semble si naturelle qu’on en devient un peu mal à l’aise. Et on se surprend à s’intéresser autant aux paroles (qui semble vouloir de moins en moins dire quelque chose, de nos jours) qu’à la musique d’Angelakos. On s’inquiète de le voir souffrir, mais en même temps, on se rassure de le voir composer des musiques encore aussi lumineuses.
À écouter attentivement. Ou à écouter le volume au maximum en courant sur le bord de la Saint-Charles. Les deux se font bien.
11) Lisa LeBlanc – Lisa LeBlanc
Elle était difficile à manquer cette année, celle-là, hein? Numéro un sur iTunes une semaine après la parution de l’album! La jeune Acadienne début vingtaine de Rosaireville, au Nouveau-Brunswick, a livré un album de chansons folk juste assez bluesées pour sentir le fond de bouteille et les jams de gang dans la cuisine. Réalisé par un certain Louis-Jean Cormier, ce premier opus nous présente une artiste de grand talent à la plume certes colorée, mais authentique. Son français a beau être bourré d’anglicismes (non, ce n’est pas du chiac, c’est du français comme on l’entend pas mal partout, mais avec un fucking accent de la mort), on lui reproche une certaine vulgarité (elle ose dire marde!), ce n’est pas grave : LeBlanc nous raconte son quotidien avec les outils qu’elle a, dont une voix extrêmement puissante. Et elle se débrouille très bien avec.
Toute personne qui s’assagit écoute Cerveau ramolli en boucle en se demandant elle-même ce qui se passe dans sa vie. Câlisse-moi là est un blues qui fait mal, comme une personne qu’on n’est plus capable de sentir, une fin de relation qui n’en finit plus de finir. Lignes d’Hydro est une superbe chanson triste dont la montée au milieu de la pièce qui donne la chair de poule. Kraft Dinner est en train de devenir une demande spéciale parfaite pour tous ceux qui veulent danser collés collés. Dur à croire que la personne qui nous offre tous ces airs n’a que 22 ans.
On a envie de dire mais qu’est-ce que ça va être quand elle va gagner en maturité? Contentons-nous d’apprécier cet album. C’est déjà un beau cadeau.