Les rumeurs se propagent au travers des larges ruelles du vieux Noranda, Elvis aurait été aperçu sur la rue Murdoch, alors que des petits ovnis nous espionnent de leurs grands yeux brillants dans les coins sombres de la ville. C’est en effet sous le thème loufoque et décalé des conspirations que s’amorce la 23e édition du Festival de Musique Émergente en Abitibi-Témiscamingue. Maxime et Sébastien d’ecoutedonc.ca ne reculent devant rien en faisant le tour de la province, d’est en ouest, de Québec à Rouyn-Noranda, en passant par Montréal, où nos joyeux chroniqueurs y dorment sur un plancher de béton, pour vous parler de leur séjour. Le festival, qui clôt la saison des festivités, les attend de pied ferme pour quatre jours de musique aussi diverse que les paysages québécois qui ont tapissé le voyage des deux blogueurs.
C’est plus de 80 prestations qui auront lieu dans les lieux de diffusion de la ville. Une programmation qui ne s’essouffle pas année après année et qui sait nous dénicher des artistes qui ne sont pas des habitués du circuit des festivals. Cette année, en plus des vétérans (Breastfeeders, We Are Wolves, Marie-Pierre Arthur, etc.) nos oreilles sont à l’affut pour Mary Shelley, UTO, Population II, Yoo II, Baby Berserk, Alice et Meggie Lennon.
JOUR 1 – Faut pas l’échapper le jeudi soir
Par Sébastien Ouellet
La frénésie de la première soirée. Tout frais débarqués à Rouyn, on enfile notre bracelet média au Centre musical en sol mineur, un petit manoir sur le bord du Lac Osisko, qui aurait pu être un Manoir Coors Light dans une autre réalité. Je dis ça parce que ce manoir possède un petit frigidaire à bière qui se remplit magiquement pour les invités du festival tout au long du weekend. Par contre, notre horaire est chargé, donc j’ai plutôt opté pour un vinier de Nicolas Laloux à l’étape du Parc de la Vérendrye, que je vais garder copieusement dans le petit réfrigérateur de la chambre d’hôtel. Cette année, je la joue stratégique. Mais … il ne faut surtout pas l’échapper le jeudi soir.
On check-in au Deville, qui se trouve dans la « basse-ville » de Rouyn (j’utilise des termes que les gens de Québec peuvent comprendre) pour ensuiteremonter en haute-ville sur la scène principale où nous attend un méchoui d’accueil. Il faut dire que l’Abitibi sait comment recevoir. D’autres festivals devraient s’en inspirer. On comprend quand même que le festival doit redoubler d’efforts pour attirer les gens dans cette ville excentrée.Fidèle à son habitude, la direction artistique du festival est impeccable. À l’entrée du site, le logo du FME, enveloppé dans du papier journal, s’est écrasé dans la rue tel une météorite. On retrouve à l’entrée des différents lieux de diffusion des piles de journaux du Journal de Montréal (de mauvaises langues pourraient faire des liens entre le média de PKP et le thème conspirationniste du FME 2025) et il y a des collants d’Elvis et d’extraterrestres sur les navettes du festival.
Félix B. Desfossés se veut un peu l’ambassadeur de cette édition du FME. On le voit un peu partout, tantôt animateur de soirée ou bien comme DJ. Je me régale donc de viandes grillées et de petites salades de fantaisie en écoutant les grooves inédits de DJ Desfossés. Je me dirige enfin vers mon premier show, situé au Cabaret de la dernière chance. (Maxime : Après dix heures d’autobus, sans compter les trois autres la veille pour se rendre à Montréal, disons que l’odeur de ce méchoui me donne plutôt la nausée, je force mon collègue à engloutir rapidement son repas afin de quitter les lieux rapidement.)
Crasher, UTO et Baby Berserk

Le Cab, comme l’appellent les natifs et les habitués du festival, c’est un heureux mélange de bar de région et d’un Bal du lézard ou d’un Fou Bar. C’est très petit et compact, mais rempli de cœur et d’agrément. À noter que le bar a une terrasse ET une cour arrière qui déborde dans la ruelle adjacente. Il faut dire que c’est étouffant à l’intérieur, surtout avec les grosses foules du FME, mais ça tombe bien, parce qu’on a du coldwave au menu ce soir pour nous refroidir un peu.
C’est Crasher qui débute la soirée. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu des nouvelles de mon pote Airick Asher Woodhead, le maître derrière Doldrums, un projet musical électropop expérimental qui m’avait beaucoup marqué au début des années 2010. Eh bien, j’avais manqué son retour en formule band avec Crasher en 2021 avec la sortie de sa cassette « street cleaning machines of the world ». C’était donc un monde de découverte pour moi. Pour l’occasion, Ash était entouré de musiciens chevronnés pour appliquer avec succès des textures complexes pour bien enrober ses envolés lyriques. La voix et la sensibilité de Ash restent selon moi la force motrice du projet, qui parfois pouvait sembler un peu redondant comparativement aux œuvres antérieures de l’artiste.

Je sors prendre un peu d’air frais et je gobe un petit jujube pour me mettre dans le mood pour le prochain show, UTO. Je ne connais rien de ce band, mais je suis game. Sur les haut-parleurs lo-fi de mon cellulaire sur le bol de toilette de la navette qui nous apportait vers Rouyn-Noranda, ça sonnait comme de l’electropop. Il ne m’en fallait pas plus pour avoir des belles attentes.
J’entre dans le Cab et toutes les lumières sont éteintes, je dépose mon verre de gin tonic sur ce qui semble être une table près de la scène. Je peux ressentir des vagues dans la noirceur, je pense que les p’tits bonbons viennent d’embarquer. Je fais semblant de garder mon calme devant Maxime, mon collègue, qui essaie de comprendre comment photographier un band dans le noir. Une lumière s’allume et une femme habillée tout en vert est couchée sur le stage. Je trouve soudainement que je suis un peu trop près de la scène pour mon état, mais il est impossible de reculer. Le bar est plein et si je bouge vers la sortie, je vais attirer encore plus l’attention sur moi. La lumière se referme. Ouf, un peu de répit. Je laisse les vagues psychédéliques me submerger, profitant de la pénombre pour me fondre dans la foule. Je reste immobile, espérant que personne ne me voit. Des beats électo foudroient la pièce. La chanteuse, Neysa May Barnett, est maintenant debout, tenant une petite lampe de poche qui clignote. Elle se place dans des positions de yoga que je n’aurais jamais pu imaginer alors que sa petite lumière révèle son copain et partenaire de création, Emile Larroche, les cheveux cachant son visage. Je réalise soudainement que je suis dans un jeu d’évasion. C’est sans issue, je vais devoir vivre tout ça sans espoir de trouver des indices pour sortir de la pièce. Alors que des beats breakbeat tout droit sorti de la fin des années 1990 frappe l’endroit, la performeuse se promène dans la foule. J’essaie de disparaître, ma main agrippant mon gin tonic comme si ma vie en dépendait. Je me compte chanceux d’avoir été préparé à tout ça par les prestations live d’Annie-Claude Deschênes. J’aime vraiment beaucoup, malgré mon effroi infusé par les bonbons de THC. Le duo va occuper toute la pièce avec leur musique maximaliste et leur performance minimaliste, mais énigmatique. Les deux albums de UTO font maintenant partie de ma rotation musicale quotidienne.

Le Cabaret me recrache dans les ruelles de la « haute-ville ». Je me dirige vers Le Petit Théâtre du Vieux-Noranda, où va débuter bientôt Baby Berserk. Je cherche à voir ce groupe depuis le Festif de l’année passée et ce soir, c’est enfin ma chance. Sur papier, ce band est bâti pour moi, un peu comme le frigidaire de l’hôtel est bâti parfaitement pour contenir mon vinier de Nicolas Laloux blanc. Si UTO était un jeu d’évasion infernal, Baby Berserk est le laboratoire d’un scientifique fou, une exposition grotesque et surprenante. J’oublie toujours tout le temps que peut durer un petit jujube de THC. La salle du Petit Théâtre est toute sauf petite, surtout pour un petit spectacle bizarre de premier jour de festival. Fidèle à son habitude, la scénographie de la salle est impeccable. Il y a des grands écrans qui diffuse des modélisations 3D épeurantes, pouvant ressembler à un mélange de à la chaine YouTube Cool 3D World et des films de Shrek. La chanteuse et leader du groupe, Lieselot Elzinga, domine la foule dispersée dans la grande salle. Le no wave nous envahit et la diva se veut un passeport esthétique unique qui va me marquer tout au long de la soirée. Le groupe d’Amsterdam mélange la mode, le coolness de la nouvelle vague française et une sensualité qui déroute. À un moment de la soirée, alors que je tiens fortement une table haute pour ne pas me perdre à la dérive, la chanteuse du trio réussi à monter sur la dite-table pour se trémousser et chanter pendant 2 minutes qui me paraissent une éternité. Mais je suis éblouie par sa majesté, elle se dresse comme un ange au-dessus de moi, la table bancale sous ses pieds. Elle n’a pas peur, elle domine la pièce. Elle performe depuis qu’elle a 12 ans et ça parait, c’est une routière de l’excès.
Galerie photos