Pour son deuxième album, l’autrice-compositrice-interprète de Québec Ariane Roy a décidé de montrer les crocs, et elle n’y va pas de main morte, oh que non! Coréalisé avec Félix Petit (Les Louanges, Hubert Lenoir, mais surtout FELP), « Dogue », c’est un pamphlet, un brûlot, une déclaration de guerre contre le marasme ambiant.
Dédié « à toutes les chiennes », « Dogue » a la puissance d’un pitbull et l’élégance d’un dalmatien. Mélange de pop à un cheveu du préfixe hyper- et de R&B bien senti, c’est un album qui donne envie de danser non pas pour oublier nos souffrances, mais plutôt pour les nommer, et surtout, les dominer. C’est l’envie de cesser de courir après la maudite baballe pour mordre quelques mollets.
Même dans ses moments les plus doux, Ariane en a assez de jouer les poodles, et ça se sent dès les premières mesures de la pièce titre, qui ouvre l’album. « Je suis chiante ou drôle, quel est mon sort », nous lance-t-elle avant de lancer, des éclairs dans les yeux « Toutes les blagues que tu prétends légères, je les mâche et les dégueule plus tard ». Le message est clair et limpide, et malgré le côté groovy-cool de la pièce, on sent que les crocs d’Ariane sont bien aiguisés.
Quand on entend Âmes soeurs pour la première fois, avec son « Je n’entends rien ne me dites plus qui entre le roi et le loup », difficile de ne pas penser à Lou-Adriane Cassidy (qui assure les choeurs sur plusieurs morceaux avec Lysandre Ménard et Odile Marmet-Rochefort). Comme s’il s’agissait d’une réponse à Ariane (sur « Journal d’un loup-garou »), on a l’impression que la pièce traite des comparaisons interminables entre les deux jeunes femmes qui ont connu jusqu’à maintenant une trajectoire similaire. Et bien maintenant, les voies qu’ont pris les deux artistes mènent dans des directions complètement différentes, mais si la destination est la même : se retrouver parmi les meilleures artistes de leur génération.
Coule est une autre de ces chansons qui nous mène au bord du précipice, et là, je ne dois pas être la seule personne à la prendre personnel, celle-là. Sur cette chanson toute douce, Ariane nous rappelle comment on se sent à quelques cheveux du burn-out, du poids du monde sur nos épaules, et de cette impossibilité de sortir la tête de l’eau quand les enclumes qu’on a aux pieds nous entraînent plutôt vers le fond.
Et c’est là qu’arrive I.W.Y.B., de loin la pièce la plus remarquable du lot. J’aimerais être capable de la décrire, avec ses couplets feutrés et ses refrains puissants, son rythme dansant qui mérite moult remixes des plus grands DJ, mais ce morceau se vit, se danse doucement avant de laisser les filles crier avec hargne « I WANT YOUR BODY » à répétition, tel un mantra.
Il y a un côté comédie musical à Nocturne, probablement en raison de la magnifique harpe assurée par Éveline Grégoire-Rousseau et du moment flûte gracieuseté de Félix Petit. De son côté, Mordre a un petit côté animal, ce qui n’a rien de surprenant sur un album nommé « Dogue ». Ici, Ariane expérimente, les séquenceurs sont au max, l’artiste joue avec son débit de voix comme si celle-ci faisait davantage partie de la section rythmique, et là encore, ça sent le gros hit sur les pistes de danse.
Premier simple de l’album, Agneau a été un excellent signe avant-coureur qui laissait présager que « Dogue » serait un album complètement différent. Et pour confirmer le tout, Tous mes hommages est un morceau qui, derrière sa mélodie catchy, se montre très dure à l’égard des hommes plus âgés qu’elle qui la voient comme un objet de désir. Il y a beaucoup d’ironie, un peu de dédain, voire une petite once de pitié quand, sur le pont, elle chante « Penses-tu à moi, imagine-toi dans mon corps, je suis ton miroir, ne t’inquiète pas, tu n’es pas encore mort », accompagnée d’un fucking CLAVECIN (Vincent Gagnon a dû s’amuser là), avant de repartir avec des « Na na na na na » moqueurs sur un rythme des plus dansants. Un gros « calme-toé les nerfs, bonhomme »!
« Dogue » se termine en douceur avec Une cigarette sur le balcon et Berceuse. On sent que derrière toute cette hargne exprimée pendant les trois premiers quarts de l’album, il reste encore une bonne dose de bienveillance et de compréhension. L’amie fidèle qui a toujours été là, même si elle n’est plus « le chien qu’on abandonne ».
Accompagnée de Dominique Plante (guitare), Cédric Martel (basse), Pierre-Emmanuel Beaudoin (batterie) et Vincent Gagnon (claviers), en plus des personnes déjà mentionnées, c’est tout un cadeau qu’Ariane nous offre ici. Une oeuvre qui se compare avantageusement à ce qui se fait de mieux ici et ailleurs dans le monde de la pop. Une musique urbaine, actuelle, universelle tout en gardant sa saveur toute locale.
« Dogue » est un album mémorable, du genre à rehausser la barre pour toustes celles et ceux qui vont suivre. En une demi-heure, Ariane vide son sac avec éloquence, et il faut écouter attentivement les magnifiques textes de chacune des dix chansons au moins une fois avant de juste danser pour mieux maîtriser le monde suffoquant qu’elle peint ici.
On n’a plus envie de comparer Ariane à personne parce qu’elle suit son propre chemin. Un chemin royal.
Reste que… c’est vraiment l’année des canidés!