Keith Kouna – « Métastases »

PAR

Quand on a entendu « Métastases » pour la première fois, on a été surpris par son éclectisme. Oui, on sait que Keith Kouna est capable d’être plus punk que punk et de dénoncer la bêtise humaine un bidon d’essence dans une main, un briquet dans l’autre. Oui, on est conscient.es que Kouna est capable de nous donner du beau et du doux. Mais d’habitude, le grand frère (pas très) sage de Kid Kouna et Goule pour toujours reste dans le terrain de jeu qu’il choisit, même s’il se permet parfois quelques écarts.

Sorti le 25 mars dernier, « Métastases » est un collage de chansons qui se mélangent dans nos têtes et qui s’y multiplient comme les p’tites crisses de masses du même nom (scusez, c’est l’survivant qui parle). Généreux (on y trouve 20 pièces, certaines de cinq minutes comme la planante et bien nommée Aéroplane, d’autres durant 30 secondes, le temps de faire une comptine idiote comme G3A 1W8 – watch out, ça s’incruste dans la tête), Kouna nous offre de passer une grosse heure avec lui (ça, c’est deux albums normaux en 2023), et il explore un paquet de styles différents.

Vraiment différents. Trop? Naaaaaaaaaaah. Prenez-le comme un album photo de voyage à Paris. Y’a des photos de la Tour Eiffel, et y’en a d’autres de votre burger pas bon au Quik. Y’a des balades bucoliques en Vélib’ et y’a la fois où vous vous êtes fait piquer votre portefeuille dans la ligne 1 du métro.

Avec Alexandre Martel (les deux mots écrits le plus souvent dans nos pages dans la dernière année) derrière la console, Kouna s’est payé la traite. Un p’tit rock bluesé aux synthés sirupeux comme C’est un bum, c’est vraiment l’fun, surtout que le texte est sa-vou-reux. On connaît toustes des faux bums qui se pensent ben tough parce qu’ils font du bécyque (à pédales) au milieu de la nuit. De la chanson à textes imagés comme Accordéon, Bouquet ou Américaines, c’est un bon cours d’écriture pour les jeunes pousses. Y’a aussi du gros folk guitare-voix comme Au revoir. Celle-là, elle fitterait bien dans un concert acoustique entre Batiscan et Labrador. Et mettez Cash pas trop loin, elle aussi nous montre le côté doux du vieux routier.

Que serait un album rock de Keith Kouna sans une grosse toune punk cathartique à souhait? C’est en plein ce qu’offre Les gens. Deux minutes de moshpit intense dans votre salon, deux minutes à crier notre exaspération à coups de OOOOOOHOOOOOOOHOOOOOOHOOOOOH LES GENS. À partir quand vous lisez les commentaires sous les publications des grands médias. Y faut des sales est aussi un brin caustique, mais son texte est beaucoup plus élaboré, et son côté un brin stoner est irrésistible.

La première fois que j’ai entendu Cadavres, je me suis demandé si Martel avait passé un vieux costume d’Anatole à Kouna. Je sais pas, y’a un p’tit côté vaporeux derrière le rythme 4/4, et on imagine assez facilement Kouna se déhancher là-dessus comme un squelette dandy.

La première fois que j’ai entendu Les vieux qui courent avec son côté à la fois très vieille chanson française et toune de cabaret, je me suis étouffé de rire. Et senti un brin visé. Je suis vieux, je cours, je m’essouffle en une minute et quart, comme Kouna dans la toune. Et tout le monde va se reconnaître sur Le travail, une chanson à boire qui met le doigt direct sur le bobo. Heureusement y’a la bière pour oublier tout ça.

Dimebag, Buzzo, Mustaine. C’est toutes les paroles de DBM, probablement l’hommage le plus court de l’histoire du gros rock.

Sur Le narratif, Kouna se met au spoken word. Ça part doucement, mais attention, au fil de la chanson, l’artiste se crinque avant de péter sa coche solide. Vraiment solide. Le texte (à lire absolument pour en saisir toutes les perles) est simplement jouissif.

Encore beaucoup de belle chanson (oui, au singulier) pour terminer l’album. Le trio Épaves, Momies et Requins nous ramène à ce qu’on a dit plus haut : de la belle chanson à textes accompagnée de musique bien ficelée. Mais la dernière toune va vous surprendre une fois de plus. Keith Fuckin’ Kouna se met au country sur Aux quatre vents! Du country comme Dylan le ferait, avec de la poésie, des lumières tamisées et des choeurs qui font fondre les coeurs. Cette pièce dédiée à Renée Martel est incroyablement touchante.

Évidemment, Kouna n’a pas fait ça tout seul avec Martel. Y’a eu une belle brochette de musicien.nes qui ont accompagné notre rockeur : Frédérick Desroches s’est amusé aux claviers, au piano et à l’accordéon (!!!), Vincent Gagnon aussi (mais sans violon), Martien Bélanger s’est fait aller la six-cordes, Cédric Martel y est allé pour la quatre, Pierre-Emmanuel Beaudoin a tapé sur sa batterie, Lou-Adriane Cassidy, Ariane Roy et Odile Marmet-Rochefort ont sorti leurs plus belles voix (c’est elles qui m’ont fait pleurer sur Aux quatre vents), Simon Pedneault est venu jouer de la mandoline, Ariane Ouellet du violon, les Mommies on the Run se sont fait aller les cordes, et j’en passe!

Kouna n’a plus vingt ans, mais avec « Métastases » et son côté touche-à-tout, il est plus que jamais dans l’air du temps. Certains prendront les pièces qu’ils préfèrent et les intègreront à leurs listes de lecture. Et ça pourrait aussi être une bonne stratégie pour les plateformes d’écoute où Kouna pourrait se trouver en vedette sur 4-5 listes différentes. D’autres célèbreront la diversité de l’album en l’écoutant d’une traite, parce que ça se fait aussi très bien, malgré les nombreux passages du coq à l’âne.

Et si « Métastases » était tout simplement une version 2023 de « Philippe Katerine », avec ses nombreux exercices de style loufoques, mais aussi des moments très sérieux? Ouais, ça tomberait sous le sens.

Reste à voir comment tout ça va tenir sur une scène. On va le savoir assez vite, l’artiste joue au Pantoum les 29 (complet) et 30 avril.

Mots-clés

VOUS CHERCHEZ QUELQUE CHOSE?