Les Momos su’l fly : voyages musicaux – Patrick Watson et Brad Barr

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Patrick Watson et Brad Barr au Théâtre des Grands Bois, ou quand un virtuose de la guitare rencontre un virtuose du piano.

Su’l fly

Saviez-vous que…

Portneuf a de maudits beaux villages?

Par exemple, Saint-Casimir. Havre de paix dans son écrin de rivière, qui était particulièrement haute.

Qui dit village Tim Burtonesque de région dit microbrasserie, et justement celle-ci participe au rayonnement de son idyllique racoin. Peu importe les saisons ou la noirceur de la route pour s’y rendre, la Microbrasserie Les Grands Bois accueille avec bonhomie (et pour les plus chanceux, en chemise léopard moulante) ceux bravant la route, à leur comptoir comme dans leur théâtre. Les kilomètres en valent toutefois la chandelle; en face de l’accueillante bâtisse se trouve une magnifique pergola surplombant tables et chaises champêtres, quelques bancs s’y trouvent pour se mirer dans l’eau, il y a même l’esquisse de la scène extérieure, qui pour le moment sert surtout pour les pique-niques de fin d’après-midi. Et oh, Surprise! On y trouve un magnifique terrain de pétanque, boules comprises, lorsque que demandé gentiment au comptoir.

C’est donc en chic habits du dimanche et accompagné de Titi Cook et des amis-poètes de BDR que je suis montée en région portneuvoise. Pour célébrer, le temps d’une partie et de quelques délicieuses Hully Gully, deux incroyables artistes du label Secret City Records.

Brad Barr

Première partie avec Brad Barr, qui présentait son exploration sur des guitares toutes plus rutilantes les unes que les autres dont une remarquable douze cordes. Parsemée de feedback et de delay, la musique fascinait la foule par la grande maîtrise de l’artiste. les changements de rythmes étaient absorbants, il était impossible de quitter la fougue qui animait ses mains sur les cordes. Seul sur scène et pourtant immense dans sa prestance, Brad Barr dégageait un sentiment d’intimité particulier, tout autant avec ses guitares qu’avec le public, comme s’il écoutait lui aussi les notes et le chemin qu’elles prenaient.

J’aime ça on dirait qu’il est dans son salon.

Un spectateur avec une jolie chemise de grues.

Empreinte de poésie, la musique était planante et atmosphérique, avec cette impression d’être immergé sous l’eau, renforcée par la distorsion, la noirceur et l’éclairage bleuté. Il y avait ce ressenti d’être en catimini avec l’artiste, privilégié d’assister à la dérobée, le musicien nous invitant chez lui pour improviser. C’était un vrai moment de douceur où le silence était d’or, tous écoutait avec recueillement. Tous? Non! Car l’arrière était peuplé d’irréductibles Gueulois résistant encore et toujours à se taire.

Pour finir en beauté cette première partie, c’est nul autre qu’Andrew Barr qui l’a rejoint sur scène le temps d’une dernière chanson.

Son album « The Winter Mission » sorti ce printemps a ce côté folk psychédélique seventies harmonisé par un rythme lent qui se laisse apprécier. Complètement instrumental et axé sur la guitare, c’est un album audacieux qui se démarque par son souci de l’exploration et le grand talent de Brad Barr. Les pièces ANCIENT CALENDARS, BASEBALL ou encore TWO HUNDRED AND SIXTEEN nous amènent immédiatement dans un univers d’écoute in vitro très organique et saisonnier. Avec cette une touche parfois médiévale, où l’on se voit aisément vivre un amour courtois, s’attache un effet d’immensité à l’écoute, une sonorité qui contient quelque chose d’ancien et de nostalgique. À la fois serein et mélancolique, c’est un album complet qui nous transporte avec une délicieuse cohérence chaotique.

Avant-propos

Pause à la fraîcheur du crépuscule pour évacuer la moiteur des corps, sur le béton du parking et dans les escaliers de métal on cherchait à se refroidir dans les bouffées des cigarettes tant la chaleur était immense à l’intérieur du théâtre. C’était, bien heureusement, le dernier spectacle en-dedans avant la saison estivale et la fameuse Commission Brassicole.

Je dois tout d’abord faire un aveu, tout ce qu’il y a de plus sérieux avant cette deuxième partie.

De Patrick Watson j’étais jusqu’alors néophyte.

À l’instar des grands classiques du cinéma ou de la littérature, je passe souvent à côté des œuvres musicales importantes. Connaissant vaguement le contenu pour la forme et pour pas feeler trop wierd dans les soirées mondaines, sans pour autant m’y intéresser en profondeur. (Trop occupée que je suis de réécouter la même chose depuis 92, mais je vous jure, j’ai d’autres qualités.)

Vous connaissez Patrick? Oui chef. Il est bon hein? Oui chef. *

Bref, mon seul contact avec l’artiste a été une conversation dans un horrible anglais alcoolisé au Bar Le Sacrilège, il y a moult années de cela, après un de ses spectacles au FEQ. Sans le que je reconnaisse et sans me contredire sur sa compréhension de la langue de Molière, je lui avais alors râlé une trâlée Shakespearienne de propos incohérents et peu orthodoxes sur l’appareil reproducteur masculin. Aussi étonnant soit-il, cette conservation avait par ailleurs duré beaucoup trop longtemps pour le sujet et mes skills d’anglais.

Sa musique ainsi que l’artiste étaient depuis restés un lointain souvenir cocasse dans ma vie de mélomane jusqu’à ce fameux spectacle du 29 mai.

*Attention blague nichée.

Patrick Watson

Il est toujours fou de voir autant d’humains venir en voir un autre.

L’empreinte de Patrick Watson est énorme et il est impossible de dissocier le créateur de son œuvre, si bien que tout portait sa marque poétique et grandiose. Malgré la douceur et la mélancolie tranchante de la musique, il y avait cette touche spéciale, psychédélique et nerveuse, miroir de son artiste.

Entre les chansons des anciens albums se sont glissées des nouveautés, le chanteur nous a gâté avec plusieurs titres de son album printanier « Better in the Shade » où l’on retrouve son essence primaire avec ce petit côté plus électro très appréciable. Un album concentré sur sept chansons au contenu intimiste où les mots et les images sont centrales. Une ouverture très franche et recherchée sur son univers entrecoupé d’une majestueuse pièce instrumentale Ode to Vivian, doux hommage à l’artiste Vivian Maier. Les harmonies mélancoliques du piano mélangées à l’évanescence de l’électronique donnant ce côté suspendu dans le temps. C’est cette nudité, ce je-ne-sais-quoi du portrait qui rend l’œuvre surprenante. Une simplicité désarmante qui se traduit aussi bien à l’écoute que sur scène.

It’s surgery time folks!

Patrick Watson en réglant un problème technique.

Dans la salle, les lumières se tamisent jaunâtres et brumeuses. Des ampoules géantes parsèment la scène, les nombreux filaments rougeoient sur le rythme, redoublant cette effet de phare nocturne guidant les spectateurs tels des navires. Dès les premières notes de Lost with you, s’entame alors un hypnotisme entre nous et Patrick Watson, le mouvement de houle des corps se synchronisant à son énergie. Comme si le chanteur dansait un étrange slow avec tout ce qui oscillait dans la pénombre.

La basse très présente était à ce point forte que mon chapeau de môdame me shakait drette sur le crâne et certains spectateurs sont partis se réfugier au fond près des portes ouvertes pour toffer la run. Patrick Watson (voix, modular et piano) était accompagné sur scène de ses musiciens monstrueusement talentueux Mishka Stein (basse et guitare), Andrew Barr (batterie et percussion) et Ariel Engle (voix).

Got me more bird whistle!

Patrick Watson en s’adressant à son batteur.

Pour Big bird in a Small Cage, Andrew Barr a sorti un pipeau pour un effet des plus comiques. Le chanteur jouait beaucoup avec le public en lui faisant répéter les sifflements puis en le chicanant, riant de bon cœur, quand ceux-ci se mélangeait les pinceaux.

Comme la plus douce des caresses, la voix de Patrick Watson nous déchirait tendrement avec la lenteur du striptease de l’âme tandis que la musique avait ce rythme de vague écumant les rochers de la grève. Le talentueux batteur ajoutait ses touches de magie tantôt par des sons subtils de cloches cristallines tantôt par celui sec des coques. Une variété astronomique d’objets permettant cet ajout d’une finesse délectable. Subtils donc, mais ô combien importante pour donner vie aux tableaux musicaux.

Une belle union se nouait dans l’interaction des musiciens, entre boutades et regards complices on sentait qu’il était lui aussi monté à Saint-Casimir avec ses amis-poètes.

Livrant de manière magistrale leur art-folk expérimental, les musiciens donnaient une intensité tout autant musicale que corporelle, grands enfants frénétiques ne tenant pas sur leurs chaises. L’émotion qui traversait Patrick Watson le secouait de la tête aux pieds, une passion se dégageait de lui devant son instrument; la nuque luisante, le corps nerveux, changeant soudain de cap, bourrasque vivante entre l’imposant piano Daoust, son micro et la console.

Beau moment entre Patrick Watson, Mishka Stein et Ariel Engle pour la chanson Melody Noir, dans une proximité onirique à couper le souffle. Ariel Engle avait une voix si claire, pure et transperçante qu’elle nous donnait ce feeling d’élévation spirituel. Entremêlé à celle du chanteur et supportée par l’ahurissante technique de Mishka Stein, l’ensorcellement continuait en crescendo, produit par l’ivresse de Height of the Feeling suivi de Turn Into the Noise dont la sensualité prenait au ventre.

Avec son haut-parleur muni d’une sourdine pour en jouer à la manière d’une trompette, celui qui dit avoir le cerveau mushé s’est livré corps et âme entre savant fou, génie de la musique et grand chef d’orchestre d’une chorale de spectateurs un peu chaudailles.

Le silence était désormais presque total (sauf deux trois woop woop ) pour apprécier l’étendue de la voix angélique de Patrick Watson. Le public ne s’est pas fait prier pour chanter, même si parfois c’était de manière chaotique et désordonnée. Faussement insulté de la non-connaissance des paroles de la ô combien poétique chanson en français Je te laisserai des mots (seule connue de mon ignorance crasse), le voici chantant comiquement plus lentement les paroles pour un éclat d’hilarité générale.

J’ai de plus en plus de monde avec des tatous maintenant et les mauvaises paroles.

Patrick Watson sur le massacre des paroles de Je te laisserais des mots.

Patrick Watson est décidément une personne avec un humour débordant et contagieux qui sait manier les mots autrement que pour nous ravir ou nous faire pleurer. J’ai rarement ri de même entre deux chansons qui me soulevaient l’interne. Tout était prétexte à la blague avec une répartie claquante et dans les deux langues, un être décidément aussi sensible que polyvalent. L’artiste appelle au calme pour nous romancer ensuite avec l’aérienne Here Comes the River. Le débordement de nos cœurs s’est alors joint à lui, avant d’aller nourrir celui de la noire rivière Sainte-Anne. Il quitte la scène avec ses musiciens sous un tonnerre d’applaudissements plus que mérités, vu l’étendue de talent présenté par chacun d’eux.

Il reviendra seul sur la scène pour le rappel, un projecteur pour unique lumière et dans la vision de sa silhouette découpée, il a interprété les pièces très attendues The Great Escape et Lighthouse, au grand bonheur de la foule qui se laissait emporter.

C’est un souvenir.

Patrick Watson avant de jouer dans l’obscurité la plus totale.

Dernier morceau, intime dans le noir pour Better in the Shade la chanson éponyme de son nouvel album. Une chanson absolument décrissante de beauté et de douleur à l’écho particulier.(Un magnifique clip est par ailleurs disponible sur les internets et c’est un vrai petit bijou de tissus et de poésie).

Patrick Watson nous a partagé ce souvenir avec beaucoup d’émotions pendant que les paroles et les notes du piano nous serraient les organes. À l’image d’une confidence qui fait mal, mais que l’on n’ose pas exprimer en plein jour de peur qu’elle devienne trop réelle.

Su’l retour

C’est complétement bouleversée, tout d’abord par la musique puis par le personnage que nous sommes reparti avec Titi Cook et les amis-poètes dans la Communauto où résonnait dans l’habitacle mon premier achat watsonnien « Close to Paradise ».

Mais voyez-vous, ce qui me bouleversait bien plus en regardant la route défiler, c’est le partage vertigineux de l’artiste, une porte ouverte sur ses deuils et ses joies, sans compromis et sans filtre. Je suis partie avec cette impression nette que quand Patrick Watson chantait, c’est avec une certaine dose de confiance en nous, tant sa vulnérabilité nous effleurait. Un cadeau éphémère en quelque sorte, fragile papillon, dont il faut prendre soin.

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