En pleine canicule, Bleu Kérosène lançait à la mi-juin son premier micro-album intitulé La chaleur. Le soir où celui-ci paraissait sur les plateformes d’écoute, je me suis retrouvée à la même table que Jérémie Hagen-Veilleux (claviers, arrangements) et Loïc Paradis-Laperrière (batterie). Intriguée, j’ai jeté une oreille au projet et j’ai toute suite été charmée par la voix envoûtante d’Érika (paroles, voix, composition), la sœur cadette de Jérémie. J’en ai donc profité pour inviter le trio pour une entrevue de cour arrière.
Bleu Kérosène est né d’une volonté de collaboration entre la fratrie Hagen-Veilleux. Le projet a vu le jour quand, en 2015, Jérémie a offert un cadeau de Noël personnalisé et attentionné à sa soeur. « Jer avait imprimé des textes que j’avais écrits et publiés sur les réseaux sociaux et il avait fait des idées d’arrangements musicaux en dessous. On avait déjà discuté de faire une collaboration où on mettrait mes textes poétiques en musique, pas nécessairement en chansons, mais en une formule hybride de poésie et d’accompagnement. Quand il m’a donné ce cadeau vraiment cute, j’ai vraiment beaucoup pleuré, mais ç’a aussi été le départ du projet. On a commencé à explorer ça sans vraiment savoir où on s’enlignait. Au début, c’était un projet qui était plus ancré dans la poésie, juste piano et voix. Puis, peu après, j’ai commencé à écrire des chansons dans une formule plus conventionnelle et des mélodies à la guitare. C’est avec ce matériel-là, finalement, qu’on a eu envie de travailler ».
Désireux d’intégrer une plus grande variété sonore, le duo s’est tranquillement entouré d’autres musiciens, d’abord de Loïc suivi par Chloé Jacques (basse) puis de Jonathan Sonier (guitare). « Ça a pris du temps avant qu’on invite Chloé. En fait, on ne savait pas encore ce qu’on voulait faire, on prenait les chansons d’Érika, on testait toutes sortes d’affaires. Y’a eu beaucoup d’apprivoisement, on avait tous les deux nos influences nombreuses. De trouver le lien commun et la direction dans laquelle on pouvait aller sans que ça tire trop chacun de notre bord, c’est ce qui a pris du temps. Mais là on est là » confirme Jérémie.
C’est grâce au soutien de Première Ovation Musique que toute cette exploration les a menés, en avril 2019, à enregistrer au Pantoum. Selon Érika, l’expérience studio et l’oreille de Samuel Wagner (Harfang, Floes) ont permis au groupe de consolider ses bases. « Le EP nous a permis d’être plus ancrés dans une identité sonore qu’on considère être de la pop-alternative, un peu rock à ses heures, avec des influences très Daniel Bélanger, Radiohead, Patrick Watson avec des clins d’oeil à des poètes que moi j’aime beaucoup comme Marie-Andrée Gill et Steve Gagnon. Ça fait comme un melting pot de nous, de nos sensibilités ».
En partenariat avec Unïdsounds, les trois pièces qui composent La chaleur devaient être lancées au Maelstrøm St-Roch. Malgré les contraintes de la pandémie, le groupe a décidé de sortir virtuellement l’album. « On a vécu un deuil par rapport à ça, mais on s’est reviré de bord. On est entré en studio la semaine passée pour enregistrer notre deuxième EP. On a mis les bouchées doubles, ce qui ne se serait probablement pas passé si on avait eu le lancement. Dans un sens, on se revire de bord pis on est contents d’avoir fait ça de cette manière-là. Le but c’était de ne pas stagner », raconte Érika.
Selon Jérémie, on peut s’attendre à un son encore plus riche pour ce prochain EP. « Y’a une nouvelle énergie qu’on n’est pas nécessairement allé chercher dans le premier. On a plus d’instruments, on va chercher plus de timbres. Sur le plan des arrangements, je pense qu’on est allé chercher une coche de plus ». Tout ceci semble prometteur. Déjà sur La Chaleur, on devine que le jeu des membres formant le quintuor est teinté d’une variété d’expériences. Loïc, par exemple, enchaîne sur sa batterie les ghost notes alors que ses rythmiques en suspension ne mentent pas sur ses influences. « J’ai tendance un peu à déconstruire, à voir ce que je peux faire par rapport à la mélodie. Je pense qu’en général les batteurs écoutent surtout la base pour faire leur rythme, mais moi j’ai tendance a beaucoup écouter la guitare et les mélodies. Sinon, j’ai fait quand même beaucoup de choses. Avant Jérémie, Chloé et moi on avait notre trio de jazz, Naima. Ça se rapprochait de ce que je fais dans Bleu Kérosène où j’ai une approche assez jazz, en couleurs et en nuances. Mais j’ai aussi été dans des projets de black métal, de métal progressif et de folk irlandais ».
Jean-François Lemieux, qui remplace maintenant Jonathan à la guitare, a lui aussi un parcours marqué de Jazz, un style s’intégrant parfaitement à ce que les Hagen-Veilleux cherchent à faire. « On était contents, les deux ont une similitude dans leur écoute et dans leur capacité à trouver la guit sincère. Y’a cette écoute-là dans toute l’équipe de création, on sent que chacun ajoute sa touche,même si les compositions sont écrites par moi et Jer. On sait que ça va peut-être prendre des directions différentes, mais tout le monde peut prendre sa place même si on a fait le travail de structure, le travail charnière. Tous les musiciens du band portent une attention particulière à la musicalité, à l’interprétation, à la pertinence avec la composition et au contexte du projet ».
On peut donc s’attendre à ce que ce deuxième micro-album soit excellent, surtout que le premier se fait déjà une proposition plus qu’intéressante. De plus, soulignons la force qui réside dans les textes d’Érika. Ayant peaufiné son talent pour l’écriture sur la scène slam du Québec, la jeune femme se plaît à nous raconter des récits inspirés d’expériences authentiques. « J’ai l’impression d’écrire des chansons qui ont une certaine mélancolie. Dans la candeur de l’enfance, dans l’impétuosité pis dans l’honnêteté de ces expériences-là, y’a quelque chose qui nourrit beaucoup ma poésie. Souvent j’écris des chansons d’amour, mais qui sont aussi des chansons d’amitiés, des chansons qui ont une certaine revendication féministe, mais subtile au texte. Je dirais qu’en venant du slam, de la poésie orale, que mon univers poétique est cru, très lié aux choses qui sont banales, mais qui ont beaucoup de beauté. Je pense que ça revient beaucoup, que mes chansons traitent des expériences quotidiennes, mais qu’elles les magnifient ».
Tant pour la plume d’Érika que pour les arrangements de Jérémie, les onze minutes du premier micro-album sauront fort probablement vous convaincre de la qualité du projet. Bien entourés de leurs musiciens, les frangins nous laissent donc dans l’attente d’un contenu fort prometteur, qui, espérons-le, aura le lancement qu’il mérite.