Saratoga – « Ceci est une espèce aimée »

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Saratoga, c’est de l’amour en concentré. De la douceur à volonté. Une tempête de tendresse exacerbée. C’est un feu de foyer qui reste chaud et lumineux pendant que dehors, novembre se donne des airs de janvier.

Fleur, le premier album du couple Chantal Archambault / Michel-Olivier Gasse, était magnifique. Les chansons doucement mélancoliques du duo nous invitaient à ralentir l’allure et à danser lent. Une belle thérapie pour les gens qui, comme moi, ont un coeur qui bat parfois trop vite.

Après une longue tournée qui l’a mené partout au Québec et ailleurs, le duo a suivi ses propres conseils et ralenti l’allure, question de faire un peu de ménage dans la maison, de mettre un peu de bois dans le foyer et d’accueillir la toute petite Olive.

Morceaux de toi
Morceaux de moi
Tombés venus le jour
Tombés des nues tout bas
Petite morsure vivra

Morceaux

Quand on a appris que le couple était de retour en studio, on se disait qu’Olive allait donner à Archambault et à Gasse le goût de bouger, d’accélérer le rythme un tantinet. Pas au point de faire du gros disco, mais bon… vous comprenez ce que je veux dire.

Et c’est là que débarque Ceci est une espèce aimée. En effet, on ne ralentit plus l’allure. On ARRÊTE. Carrément. On regarde le monde qui nous entoure sans le flou associé au mouvement. On le peint avec plein de couleurs. On le décrit avec les plus beaux mots de notre vocabulaire. Surtout, on prend le temps d’apprécier les gens. Les plus gentils, comme ceux qui savent moins vivre. Et on dit à tout ce beau monde qu’on l’aime.

L’amour. Sous toutes ses formes.

Oublie le bordel arrosé par
Le jus du fruit du manque d’effort
Re-soufflons nos regards emboucanés
Je veux te voir comme au premier toucher

Passer l’âge

Pas besoin de vous le dire, les textes de Chantal et Gasse sont magnifiques. Ici, aucune surprise, c’est toujours la poésie du quotidien, des petits moments, des grands bouleversements. Y’a moins de Jack ou de Noëla, beaucoup plus de morceaux au je, au tu et au nous, et même si ces histoires de personnages écorchés étaient souvent les chansons qui nous touchaient le plus dans les efforts précédents, on s’en fout, celles que nous propose le duo viennent nous prendre par les tripes parce qu’on se jette carrément dans l’intimité de cette petite cellule familiale remplie d’amour.

Plutôt que d’accompagner le disque du traditionnel livret, Chantal et Gasse nous offrent ici un recueil, « un ramassis d’attendri, une insolence, une embellie, […] un beau bonjour sur l’ombre alentour, un commun accord, un morceau de nous autres ». Rien que ça. Les petits poèmes qui s’y trouvent sont comme des intermèdes littéraires qui s’insèrent tout doucement entre les chansons (comme le feraient les intermèdes musicaux sur un disque).

C’est aussi un peu ça qu’on vous disait quand on parlait d’une invitation à s’arrêter. Ces poèmes intercalés (accompagnés de fort jolies illustrations réalisées par Sarah-Marcotte Boislard), ils nous incitent à appuyer sur Pause un instant, le temps de lire ces petits bouts de texte, d’en savourer la passion et la tendresse qui débordent de tous les côtés, d’avoir envie d’aller se blottir contre son ou sa partenaire avant de reprendre l’écoute.

Ça devient presque un rituel.

À désarpenter l’ennui
Nous baillerons en couleur

L’embellie

Si Chantal et Gasse nous ont toujours charmés avec leurs mots, ils ne font pas oublier qu’ils sont aussi de redoutables compositeurs. Les chansons douces et mélancoliques du duo sont plus irrésistibles que jamais. À la réalisation, on sent que Guillaume Bourque a bien aiguillé la paire vers le résultat escompté, un album de rien du tout qui n’en est pas moins grandiose grâce à ses arrangements étoffés et à son instrumentation qui dépasse (un brin) le classique duo guitare-contrebasse qu’on entend la plupart du temps de la part de nos deux tout doux.

C’est carrément un mini-orchestre de chambre qui accompagne la guitare et le piano d’Archambault et la contrebasse de Gasse : on y retrouve du violon (Fany Fresard), de la harpe (Evelyne Grégoire-Rousseau), de la flûte (Marylène Provencher-Leduc et Aleks Schürmer), du thérémine (Schürmer)… et Bourque donne un coup de main à la guitare, au piano, au bass synth… et à la composition (la magnifique Espèce I, qui ouvre l’album, c’est lui).

Tout ce beau monde colle à la perfection à l’univers fluffy du duo. Sur Morceaux, la flûte colle parfaitement aux paroles chantées tout doucement, pendant que le plancher vibre sur les ondes de la contrebasse. Sur Passer l’âge, c’est la harpe qui vient donner de la couleur à la poésie de nos amis, rendre le tout juste un peu plus léger, comme si on ouvrait le vieux coffre à bijoux de sa grand-mère et que la musique partait. Avec Existe-moi, on tombe dans le langoureux, ce qui est parfait pour le thérémine qui vient nous chatouiller les pieds au refrain.

On pensait avoir déjà tout entendu, mais après une L’embellie d’une grande simplicité, on est pris par surprise par Un sentiment de vieux dimanches, un magnifique poème récité tout doucement (pourquoi en serait-il autrement) sur un fond qui sonne « vieille radio ».

Si j’avais à choisir une chanson préférée parmi les douze titres de cet album de plus de 40 minutes, c’est Amour de passage et ses envolées de flûte. Des envolées qu’on a envie d’attraper pendant que que le « courant remonte, provoque la fonte » (on se demande si c’est la même fonte qui voyait pas le jour dans Brise-glace sur le premier album). Je ne sais pas si c’est à cause de la mélodie, mais quand Amour de passage joue, j’ai l’impression que des rayons de soleil se mettent à percer les nuages tout en n’empêchant pas les gros flocons de tomber.

Mais c’est serré, parce que Petite paix, qui termine l’album, est la plus adorable des berceuses qu’on puisse entendre. Celle-là plus encore que les autres, on sent toute l’émotion du duo, toute la tendresse dans les mots de Gasse et d’Archambault. Ceci est un fichu de beau legs.

Le genre de paroles qui restent gravées longtemps.

Ceci est
Avant toute chose
Une paix embrassée
Une espèce aimée

Petite paix

Tu peux pas mieux finir un album.

Chaque écoute de Ceci est une espèce aimée se termine de la même façon : dans la paix, la béatitude. Que ce soit dans les mots remplis d’un amour décliné de toutes sortes de manières, que ce soit dans les mélodies limite contemplatives de Saratoga, il y a quelque chose de grandement spirituel qui se dégage de cette oeuvre. J’avais envie de sortir des mots comme « liturgique », mais ils sonnaient trop religieux pour cette expérience totalement humaniste.

On n’arrête pas de nous dire de « faire sortir le méchant », mais on oublie souvent d’exprimer le bon, le beau, qu’il soit pur ou pas. Le beau que nous faisons. Le beau que nous sommes. Dans l’intimité du poêle à bois comme au grand air.

C’est ce que fait Saratoga ici. Archambault et Gasse nous montrent le beau. Le bon. Le doux. On a besoin de se rappeler qu’à travers cet époque pas toujours rassurantes, y’a du monde qui s’aime, qui aime. Ne serait-ce que pour s’aimer, pour aimer aussi.

Cet album, je sens que je vais l’aimer d’amour longtemps.

Saratoga sera au Grand Théâtre de Québec le 22 mai 2020. Plus de détails
L’album est disponible chez votre disquaire et sur vos plateformes préférés.

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