La Voie Lactée, que j’ai eu la chance de m’entretenir avec la légende du rap français qu’est Oxmo Puccino. L’artiste et parolier de renom a également pris le temps de répondre à nos questions sur l’ensemble de sa carrière, son rapport à la musique, la manière dont certaines pièces clés de son répertoire sont venues à jour, et sur ce à quoi on peut s’attendre pour la suite des choses. Vous avez donc la chance de lire à votre tour l’entretien généreux qui en résulte. • Pourquoi êtes vous allé vers la musique? Est-ce davantage le besoin de dire, de s’exprimer, ou encore de monter sur scène et de donner un spectacle? Autant que la musique, c’est tout un mouvement qui s’est imposé à moi. Ce fut un véritable flash culturel. Je suis passé par la danse, le graffiti, puis l’écriture et le rap. • J’imagine que vous êtes non seulement musicien, mais mélomane. Les projets auxquels vous avez participé se sont raffinés et diversifiés avec le temps. Quelles étaient vos influences principales il y a 20 ans,lesquelles se sont ajoutées depuis? Je ne crois pas que ma musique se soit raffinée. Elle s’est enrichie, s’est précisée mais j’ai toujours eu cette démarche. C’était la façon d’appréhender la musique que nous avions chez Time Bomb avec Mars et Sek. Dès le premier album j’ai travaillé avec Prince Charles Alexander(Notorious Big, Mary J. Blige…), sur le second il y avait la forte contribution de Ludovic Bource (The Artist). je n’ai jamais cessé de vouloir travailler avec des musiciens et des producteurs ayant une approche très musicale. A la maison nous étions bercés entre musique africaine (Ami Koita..) et grande chanson française (Charles Aznavour…). Puis grâce au hip-hop, j’ai commencé à m’intéresser au jazz, à la Soul et aujourd’hui je continue d’écouter beaucoup de musique de Bach à London Grammar, de Boris Vian à J-Cole. Et comme depuis que j’ai 16 je me suis intéressé aux instruments et à la composition (Basse, MPC, Guitare et maintenant clavier), j’écoute beaucoup de grands instrumentistes comme Vincent Segal, Richar Bona, Avishai Cohen) etc… Comment faire de la musique sans en écouter? Comment écrire sans lire? • Vous dénonciez déjà beaucoup de choses il y a vingt ans, est-ce que c’est mieux ou pire maintenant? Je n’ai jamais rien dénoncé. Notre génération ne faisait que décrire une réalité qui était notre lot quotidien. Beaucoup n’ont pas souhaité l’entendre ou le voir. Notre jeunesse en paye encore aujourd’hui un lourd tribut. • Le jazz a souvent eu une belle place dans votre répertoire, comme sur « Alias Jon Smoke » à la fin des années 90. Est-ce que le projet du Lipopette Bar avec les Jazz Bastards était comme la réalisation d’un fantasme artistique? Est-ce qu’on aura droit à une suite pour le 10e anniversaire? Plus qu’un fantasme c’était un véritable rêve. Une chance incroyable s’est présentée à moi, le bon projet, au bon moment. Se retrouver sur le label Blue note, entouré de magnifiques musiciens, puis cette idée soudaine de rendre hommage à Billie Holiday. Une occasion fantastique de revenir sur scène autrement et de réunir des publics très différents. Lipopette Bar est un événement important. Pour ce qui est d’une suite? Je ne crois pas. En revanche, de lui donner une nouvelle vie dans le futur pourquoi pas. • Sinon en parlant de collaboration, comment c’était de travailler avec Ibrahim Maalouf? Comment le projet est-il né? L’album est génial et vous me semblez être la personne appropriée pour penser à mettre en chansons le récit d’Alice, un récit assez philosophique avec de bons éléments de réflexion sur le langage. Nous nous étions croisés à quelques reprises sur scènes. Ibrahim m’avait ensuite invité sur son album le temps d’un duo. C’était un moment magique. Par la suite, le Festival d’ile de France, l’a sollicité pour faire une création autour du merveilleux. Et il a eu l’intuition de me proposer d’écrire l’histoire. On était comme deux funambules car nous étions tous les deux en pleine promo et tournée de nos projets respectifs. Il travaillait la musique de son côté, j’écrivais de mon côté. Et un jour on s’est retrouvé en studio de répétition et la magie a opéré. Une aventure artistique fantastique, un luxe d’un autre temps. • Était-ce intimidant de retourner écrire et composer après avoir publié un album que beaucoup de gens considèrent comme génial au niveau des textes? A l’époque nous n’étions pas dans une réflexion de carrière. On faisait de la musique parce que c’est ce qu’on aimait et que c’est ce que nous savions faire de mieux. Le second, tout était écrit de manière mentale et aujourd’hui il fait parti des albums dont on me parle le plus avec des titres comme j’ai mal au mic, demain peut-être, souvenirs etc… Chaque album est un nouveau départ, une remise en question. • La Voix Lactée est souvent plus électro, sans être trop moderne, car il conserve une belle touche old-school, et il est égalemenent plus pop. Est-ce que c’est un virage conscient, le désir d’essayer autre chose? On avait en tous cas envie de continuer cette quête sonore, d’éviter de se répéter. On a utilisé peu d’éléments mais on a choisi chacun d’entre eux avec une grande exigence pour arriver un résultat qui est à la fois électronique mais avec une touche funky 70’s et surtout porté par une seule idée: se faire plaisir dans l’objectif de le partager à ceux qui voudront bien l’écouter. • Parlant d’essayer autre chose, est-ce que l’idée de chanter les refrains sur la majorité des pièces est venue naturellement à un certain moment de votre carrière? Le titre « Demain peut-être » donnait une idée de ce dont vous étiez capable mais le chant était beaucoup plus rare dans les pièces qui faisaient généralement la part belle au rap et au spoken word. Cette fois, c’est plus présent et plus assumé, qu’est-ce qui a motivé ce choix? Ce genre de choses ne sont pas préméditées. C’est l’artistique qui guide mes choix. Et puis vous savez le problème d’inviter des gens à faire vos refrains c’est comment vous faîtes lorsque vous êtes sur scène? Mon principal terrain d’expression c’est le live. Je veux pouvoir jouer les titres que je veux, quand je veux. C’est effectivement comme vous l’avez relevé quelque chose qui était présent dès mes débuts cette idée de chanter. J’ai fait des tentatives sur L’amour est mort, puis j’ai pris des cours au moment de « Cactus de Sibérie », ce n’est pas quelque chose de nouveau en fait mais quelque chose qui se précise. Enfin, aujourd’hui, les rappeurs chantent, les chanteurs rêvent de rapper, la musique évolue et c’est une excellente chose. • On trouve toujours à l’oeuvre le même art de raconter et certaines thèmes sont récurrents et de nouveaux sont abordés. Ici on semble osciller entre la mélancolie et la nostalgie d’une part et d’autre part, on trouve des moments plus apaisés ou vous semblez plus réconcilié avec le monde et en apprécier les beaux côtés. Au lieu d’une histoire de fiction, on a plutôt affaire à un questionnement et des impressions, des impressions écrites au « je » plutôt qu’une narration d’évènements. Est-ce que la possibilité de vous exprimer à la première personne vous a manqué dans les projets comme Alice et Lipopette? Effectivement sur ce nouvel album, nous étions dans une seule et unique quête celle du plaisir. Raison pour laquelle l’album est globalement plus lumineux, toujours positif mais quand j’aborde des sujets plus douloureux comme dans « un week-end sur deux » ou « gravir ce monde ». Sur la question du JE, c’est plus l’histoire qui est racontée que son auteur qui compte. Peu importe que l’histoire soit réelle ou fictive, ce qui compte c’est l’émotion qu’elle suscite. Une chanson, c’est une tranche de vie une photographie, une émotion dédiée à être partagée. Pas un acte égoïste qui ne concerne que son auteur. • Vous pouvez aussi bien rapper sur des instrus purement hip hop plus élémentaires et sur des envolées lyriques jazz ou classiques. Est-ce que toutes les musiques sont bonnes lorsqu’on sait quoi dire? Est-ce que des genres facilitent la tâche d’écriture et inspirent plus que d’autre? Je ne me pose pas la question en terme de genre. J’appréhende l’écriture comme la musique. Quel meilleur mot pour exprimer un sentiment, une situation. Pour la musique, c’est la même chose. Quelle meilleur musique pour porter un propos, une émotion. Si pour ça je dois aller chercher un accordéon aucun problème. — La Voie Lactée, septième album studio d’Oxmo Puccino, devrait maintenant être disponible partout où on achète de la musique. https://www.youtube.com/watch?v=1ZTskCDGjtE]]>